Au fil des jours
par
Publication : mai 1990
Mise en ligne : 23 mars 2009
Mois de Mars, riche en manifestations marquantes :
congrès du PS, prestation de Mitterrand à "7 sur
7", émission de Jean-Marie Cavada sur FR3 dans "la
marche du siècle", élections en RDA, prestation de
Khol à "l’Heure de vérité", élections
en Hongrie, et, pour l’URSS, situation en Lithuanie, Estonie et même
en Ukraine.
Comment un distributiste peut-il analyser ces événements
?
1 . LA FRANCE "SOCIALISTE"
° Six éléphants... ça trompe
énormément ! C’est ce que des congressistes de Rennes
chantaient, tristement sans doute... parce qu’énormément
trompés, floués. Nous avons pu voir ces congressistes
pleurer pendant que les éléphants - c’est ainsi qu’on
désigne les grands chefs du PS se malmenaient, se vendaient,
changeant de camp ; et que parmi eux, les "présidentiables"
s’étripaient pour conquérir le parti, tremplin pour la
succession du Père.
Vue de Sirius, cette sarabande n’offrirait sans doute qu’un mince intérêt.
Mais au niveau français, à l’aube d’une décennie
capitale, sinon décisive, pour l’avenir de l’Europe et du monde,
quelle tristesse ! De vrais éléphants seraient peut-être
morts de honte et de chagrin. Eux, non. Le PS n’a plus aucun débat
d’idées, aucune idéologie, aucun projet socialiste.
Voilà ce qu’en dit une militante de Metz, inscrite au parti depuis
1982 : "Nous avons suivi un congrès désastreux. Pour
la première fois de ma vie, j’ai eu honte de ma famille politique"
: Et dans son bulletin hebdomadaire Synthèse Flash, Poperen résume
: "le constat de base... c’est un glissement du PS sur sa pente
de droite". Simple glissement ? Depuis plusieurs années,
la Grande Relève est plus catégorique. Delors, qui s’est
tenu prudemment - futur présidentiable lui aussi - à l’écart
des joutes, a laissé tomber au lendemain du congrès :
"II ne faudrait pas que la déception se transforme en désespoir"’
° Mitterrand à "7 sur 7
Le 25 mars, une semaine après la clôture du congrès,
Mitterrand qui, de notoriété publique, soutenait son poulain
Fabius - lequel est apparu comme un ambitieux forcené - a voulu
rassurer, atténuer les conséquences sur l’opinion et les
militants de ce lamentable show que fut le congrès de Rennes.
II reprit l’antienne qui n’engage que son image de marque : mieux répartir
les fruits de la croissance retrouvée, passer à une troisième
phase par la redistribution de la prospérité française.
II reconnait :’Avec 60 d’augmentation en trois ans, comment voulez-vous
que les gens se logent à Paris et dans les grandes villes. On
est en train de rattraper Tokyo (entre parenthèses, certains
privilégiés S’y logent fort bien !)... Dans beaucoup de
domaines aujourd’hui, on peut travailler à restituer les chances
de l’égalité".
Cela fait près de dix ans que Mitterrand répète
la même chanson. Mais l’air se fait de plus en plus rare pour
la grande majorité des Français dont le pouvoir d’achat
régresse (voir les études du très officiel CERC
: ça, c’est la réalité). En arrivant à Matignon
en juin 1988, Rocard demandait encore 15 mois de rigueur - à
qui ?- avant d’entamer le fameux partage des fruits de la croissance.
Près de deux ans ont passé et il en est à refuser
toute augmentation de pouvoir d’achat aux fonctionnaires, et même
discuter de rattrapage. Erik Izaelewicz, dans le Monde du 27 mars, ne
s’y trompe pas. II écrit
"Redistribuer la prospérité retrouvée sans
changer de cap. telle est, en matière économique et sociale,
la mission qu’assigne au jourd’hui le Président de la République
à son gouvernement. Modéré, le discours de M. François
Mitterrand n’est pas, en ce domaine, exempt de contradictions... Le
ton à l’égard des milieux d’argent était beaucoup
moins virulent que lors de sa prestation précédente à
la même émission "7 sur 7" au début de
1989 . ....Dans sa vision des choses, le "système "
(capitaliste) conduit inévitablement à un accroissement
des inégalités sociales. En déclarant qu’il avait
désormais "cinq ans pour démentir qu’un gouvernement
de gauche puisse être producteur d’inégalités" ;
M. Mitterrand n’a pas nié que les écarts de richesse se
sont accrus au cours de la décennie écoulée, et
donc pendant son premier septennat (1981-1988). La prospérité
retrouvée ne profite qu’aux riches".
° Etre au PS en 1990
Deux jours après la prestation du Président, J.M. Cavada,
dans son émission "la Marche du siècle", avait
invité Mauroy et quelques têtes mineures du parti, deux
ex-militantes, le journaliste Jacques Julliard.. Le "nouveau"
Premier Secrétaire du PS qui se succédait à lui-même
après une élection peu reluisante, fut, comme à
l’accoutumée, tout en rondeurs, "heureux" que la synthèse
se soit enfin faite... au siège du PS, minimisant les heurts
du congrès qu’il essaya de faire prendre pour des débats
un peu vifs.
II reprit bien entendu le seul point qui semble constituer tout le programme
du PS aujourd’hui : un meilleur partage des fruits de la croissance,
sachant très bien que pour Rocard, attentif à gérer
au mieux l’économie capitaliste, ce ne serait qu’un voeu pieux
:"Hier, on rêvait, dit-il (il voulait parler du temps où,
avant 1981, et pendant quelque temps après l’élection
de Mitterrand, le PS affichait un projet vraiment socialiste). II faut
apporter une réponse aux chômeurs et aux précaires
.... promouvoir une "nouvelle étape sociale" que Mauroy
appelle une "idée force" !!!
Pressé par Julliard, les ex-militants, Cavada (qui lui dit :
"le vide idéologique socialiste est total, il va falloir
remplir la marmite °) - Mauroy promet pour le printemps prochain
un PROJET. Une exmilitante fait remarquer que la représentation
des ouvriers (31% du monde du travail) au congrès de Rennes était
de 1 %. Julliard constate :"La vieille maison a gagné",
voulant dire par là que le PS était revenu à Guy
Mollet. Un député PS regimbe :" La droite et la gauche,
ce n’est pas tout à fait la même chose". Pas tout
à fait : ce n’est guère enthousiasmant
En résumé, on le voit : congrès de Rennes, plaidoyer
Mitterrand ou "projet" Mauroy, rien d’essentiel ne distingue
plus la gauche de la droite dans l’exercice du pouvoir. La gauche amuse
le tapis avec des problèmes certes importants pour tous (tels
l’immigration, l’écologie) mais non spécifiques d’une
politique socialiste, c’està-dire contre l’exploitation et les
méfaits du capitalisme dominant.
A ce train-là, les législatives de 1993 seront sûrement
perdues. Serait-ce un mal, tout compte fait ? Les socialistes, dans
l’opposition, devraient retrouver un langage de gauche, ne fut-ce que
pour reconquérir le pouvoir. Ils devraient prendre part aux luttes,
aux revendications ; des avancées sociales seraient alors possibles,
comme cela a été le cas pendant deux siècles d’opposition,
à l’exception de la parenthèse de 1936.
2. LES PAYS DE L’EST
° Elections en RDA
Triomphe de la droite : près de 50 % des voix. Comme nous l’avions
prédit, le PC, rebaptisé, a recueilli 15 % des voix, le
SPD, donné vainqueur, 22 seulement. Un fait très significatif,
très important est passé inaperçu : l’ancien Forum,
qui a déclenché la révolution a récolté...
2,5 % des voix. Autrement dit (et cela, nous n’avons cessé de
le répéter) les vrais révolutionnaires ont tiré
les marrons du feu pour la droite qui a ainsi récupéré
tout le mouvement.
II faut dire que l’argent de la CDU a coulé à flots pendant
la campagne. Kohl s’est dépensé sans compter... au propre
et au figuré. Cohn Bendit constatait amèrement :"Ceux
qui n’ont rien fait depuis cinquante ans remportent la mise du travail
des autres".
Ces résultats confirment ce que craignait Marie-Louise Duboin,
commentant dans son éditorial de la Grande Relève d’Avril
(rédigé avant les élections) la lettre de notre
ami Karl de Berlin-Est, : le triomphe du capitalisme.
A "l’heure de vérité", Kohl est apparu serein,
rassurant, heureux, sûr de lui "Je n’ai pas commis d’erreur"
a-t-il dit. Modeste !
A une question d’un journaliste sur la neutralité d’une Allemagne
réunifiée, il a répondu sans ambiguité,
qu’il n’était pas question d’une neutralisation militaire de
l’Allemagne réunifiée.La Grande Allemagne fera partie
de l’OTAN. Que Gorbatchev se le tienne pour dit, lui qui voulait marchander
la réunification contre la neutralité (1).
Et pourtant, Kohl a avoué, goguenard "sans la perestroïka,
il n’y aurait jamais eu les élections en RDA, en Hongrie, etc..."
Merci Gorby. Autres affirmations de Kohl : "Nous allons assister
à un boom des investissements industriels... La décennie
en cours sera celle de l’Europe et non celle du Japon". Voire.
Gageons qu’elle sera plutôt celle des deux compères : Japon
et Allemagne.
Kohl a voulu faire une prestation rassurante, majestueusement calé
dans le fauteuil qu’occupa Adenauer. Mais il s’est posé en homme
politique avec qui il faudra compter de plus en plus, surtout s’il fait
coup double en 1990 après avoir gagné au pas de charge
le pari de la réunification, gagner les élections de RFA
fin décembre.
La fête finie, il y aura probablement des pleurs et des grincements
de dents en RDA. On a pu voir une jeune femme qui avait animé
le Forum (comme cela semble déjà loin) très déprimée
par les résultats des élections : "Je ne crois plus
à l’espoir des générations futures" ditelle.
Et, de fait, beaucoup d’acquis risquent d’être perdus. II est
curieux de lire, dans le Figaro du 20 mars, sous la plume de Michel
Tournier : `Au total, la RDA ne mérite pas d’être purement
et simplement rayée de la carte. L’absence de chômage,
le logement assuré pour tous, le statut de la mère célibataire,
le réseau des jardins d’enfants, et surtout, les équipements
sportifs pour les jeunes, voilà ce qu’on trouvait à l’Est,
et ce qu’on chercherait en vain à l’Ouest capitaliste".
° Hongrie
Un mot pour rappeler que, dans ce pays, la droite a également
remporté les élections. L’ex-PC ne récolte que
10 % des voix.
A la veille du vote, un Hongrois, à la question :"Que craignez-vous
?" répondait :"le chômage qu’on ne connaissait
pas avant". II y a eu quarante licenciés dans son usine.
Pauvre Hongrois : il faut savoir que la compétitivité,
en économie marchande, est à ce prix.
° URSS.
Quant à Gorbatchev, élu premier Président de l’URSS,
il a bien des soucis avec ses nationalités : après la
Lituanie, l’Estonie, et l’Ukraine qui commence à s’agiter. En
Lituanie, il a été contraint de "montrer la force"
sinon de l’employer.
Après la "perte" pour l’URSS de tous les pays de l’Est
(comme nous l’avons déjà signalé, Comecon et Pacte
de Varsovie sont des coquilles vides), trouvera-t-il une voie originale
préservant un minimum de vrai socialisme ? Un socialisme qui
soit autre chose que ce fauxsemblant que représentent les sociaux-démocrates
de l’Ouest ? (Voir plus haut la France). Nous le lui souhaitons, car
les pôles d’ancrage s’amenuisent. On peut raisonnablement craindre
(voir l’activisme d’un Boris Elskine) que, comme dans les autres pays
de l’Est, les forces réactionnaires représentent 50% de
la population et soient prêtes à lui porter l’estocade
au premier faux pas. L’Ouest, soyons-en persuadés, veille sur
la dernière proie qui lui résiste entre l’Atlantique et
l’Oural.
(1) Le 10 mars 1952, Staline, dans une note à la RFA, proposait une réunification de l’Allemagne contre une neutralisation militaire, mais Staline avait alors des atouts que Gorbatchev n’a plus.