Rien à faire ?

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : novembre 2000
Mise en ligne : 25 mars 2009

Face à la violence, la force brute, la déraison et tous les intégrismes, la réaction est, du moins peut-on l’espérer, le dégoût, la réprobation de la plupart de nos concitoyens. Mais leur réflexe est souvent de dire « je n’y peux rien ». Quand il s’agit de la violence qu’on montre en direct, comme ces soldats qui tuent des enfants qui lancent des pierres, ou cette foule qui lynche un soldat, l’argument est :« c’est trop loin et je n’y suis pour rien. » Quand il s’agit de la violence couverte par les autorités et qu’on n’apprend qu’après coup, (massacre d’Algériens jetés dans la Seine à Paris il y a un demi siècle, pogrom des immigrés d’El Ejido en Andalousie, en février dernier) l’argument est « on ne pouvait pas savoir ». Quand il s’agit de la violence permanente qui consiste à affamer des peuples maintenus sous embargo, à en massacrer d’autres, à en maintenir en esclavage sous la tutelle d’intégristes, le prétexte pour prétendre qu’on n’y peut rien devient« c’est dans la nature humaine et le fait qu’il y a toujours eu des guerres prouve qu’il y en aura toujours ». Ou la charge est reportée sur l’autorité :« il faudrait que les gouvernements donnent à l’ONU les moyens de faire respecter les Droits de l’Homme », mais sans chercher comment les citoyens pourraient imposer ces droits officiellement et universellement reconnus, sinon en rêvant qu’un gouvernement mondial serait plus sage que ceux des actuels états de droit qualifiés de démocratiques.

Le citoyen ne commence en général à réagir que lorsque le souffle du boulet passe un peu plus près de lui. Quand il apprend qu’une mafia s’est organisée pour financer les campagnes électorales en prenant l’argent destiné aux biens publics ou aux logements sociaux, par exemple, il sent qu’il a été berné, mais il réagit par un « tous pourris, tous les mêmes, je ne vote plus. » Il faut que la magouille le touche d’encore plus près pour qu’il ait envie de réagir. Avec l’affaire du sang contaminé ou celle de l’amiante, cela se rapproche, mais il y a des mailles au filet. C’est quand il s’agit de sa bouffe de tous les jours, quand son beefsteack peut être mortel, que le problème lui paraît sérieux. Les consommateurs se découvrent alors citoyens, mais pas tous de la même façon. Il y a ceux qui réagissent en protégeant leur assiette « je veille sur les miens. Pour les autres, vive la liberté ! » Certains théorisent cette attitude en expliquant « le plus urgent est de se transformer soi même, l’amélioration pour les autres suivra… sûrement… ou peut-être ». Heureusement, il y a aussi ceux qui ont conscience d’appartenir à une société et donc cherchent comment y agir en citoyens responsables. Pour les en dissuader, on essaie bien de les démoraliser [1], mais soit leur nombre augmente, soit ils s’organisent mieux, en tout cas, ils commencent à se faire entendre.

Et s’il fallait d’abord créer chez nous une véritable démocratie, donnant la priorité aux droits de l’Homme sur les “lois” économiques et sur tous les autres intégrismes, pour qu’elle puisse s’étendre au monde ?


[1par exemple en les traitant d’utopistes.

Dans notre dernier numéro , J.Auribault a tenté d’appréhender le sens du vocable “utopie”, tant galvaudé actuellement, par effet de mode. L’interprétation abusive de J-F Revel, confrontée à l’histoire des utopies, relève plus d’un point de vue passionnel que d’une analyse objective des œuvres utopiques ou des faits historiques.

L’importance des utopies reste toujours d’actualité et aux 3èmes Rendez-vous de l’histoire à Blois, du 13 au 15 octobre 2000, les historiens devaient même se prononcer sur « Les utopies, moteurs de l’histoire ? »