Et puis quoi encore ?
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Publication : mai 2000
Mise en ligne : 30 avril 2009
Changer radicalement la société est pourtant tout à fait possible. Ce n’est plus une “utopie” si la volonté de transformation est conforme à l’idéologie libérale et si elle est présentée comme une nécessité pour répondre aux impérieux besoins de rentabilité des entreprises. De tels arguments sont alors pris en considération : après avoir menacé pendant plusieurs mois de quitter l’Unedic [*], le Medef a finalement décidé d’y rester encore un an à condition que les syndicats acceptent d’utiliser ce délai pour réfléchir à une “refondation sociale”. De quoi s’agit-il ?
Les licenciements facilités
Il s’agit tout simplement de remettre en cause les contrats de travail à durée indéterminée (CDI) qui jusqu’ici constituent la norme pour le Code du travail [1]. Le Medef veut à leur place créer des “contrats de mission” dont la durée serait limitée à cinq ans maximum, car, pour les patrons, les contrats à durée déterminée (CDD) et le travail temporaire « ne suffisent plus pour faire face aux exigences de la nouvelle économie ». Pour mieux faire passer la pilule, ils parent leur nouveau contrat de mille fleurs : « nous sommes entrés dans l’ère du management en réseau qui valorise l’autonomie du salarié qui va devenir un chef de projet, … » En y regardant de plus près, on voit que ces contrats de mission seraient négociés au niveau de l’entreprise, niveau où la présence syndicale est la plus faible. À défaut, ils seraient subordonnés à un accord de branche. Ils sont présentés comme une “innovation”, inspirée des contrats de chantiers qui existent déjà dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics mais ils ne sont en réalité que l’aboutissement des réflexions entreprises depuis de longues années par l’Union des industries métalliques et minières (UIMM), la branche la plus réactionnaire du Medef. Pour Dominique de Calan, l’un des responsables de l’UIMM, il s’agit de mettre fin « au mythe du CDI, contrat inventé pour un monde taylorien ». Il ne craint pas d’ajouter : « En France, au lieu de dire merci au patron qui embauche, on l’engueule. Quand on débauche, on est des méchants. Là, on serait beaucoup plus libre ». On voit que l’homme ne manque pas de cynisme.
Mais la véritable raison de cette nouvelle offensive patronale est de faire accepter un dispositif qui mettrait les entreprises à l’abri de toute intervention des juges en matière de “plans sociaux”. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 1997 imposant la réintégration de salariés licenciés pour motifs économiques après l’annulation d’un plan social par un tribunal a fortement marqué le medef.
La mort du droit du travail
Les contrats de mission rendraient caduc le recours au droit du travail et donc aux procédures judiciaires en cas de licenciement. Cela n’a pas échappé aux spécialistes du droit du travail :
• « C’est une attaque frontale par rapport au droit du travail, un retour à une individualisation des relations sociales au nom d’une idéologie néo-libérale. Cela rappelle le contrat de louage, quand les ouvriers se présentaient sur la place de Grève [2] »,
• « Plus vous faites des contrats qui échappent aux règles communes, plus le droit de licenciement dans lequel les juges interviennent de plus en plus est mis de côté. Aujourd’hui, il ne serait pas possible au Medef d’obtenir un accord sur le remodelage du droit de licencier. Il a donc choisi de traiter le problème via une diversité accrue des contrats qui lui permet une mise à l’écart des procédures de licenciement collectif en mettant en avant une gestion plus individuelle de l’emploi. Le nouveau contrat de travail n’est pas un mot qui choque, c’est un appât [3] » ;
• « Ces contrats écartent le spectre des plans sociaux. Les chefs d’entreprise seront tranquilles. Ils n’auront pas à provisionner dans l’hypothèse de licenciements collectifs. Mais évidemment, ce n’est pas très avouable de le présenter ainsi [4] ».
Toujours plus
Les contrats de mission ne sont pas les seules “innovations” que souhaite mettre en place le Medef avec sa refondation sociale : il veut aussi changer les modalités d’indemnisation du chômage avec ses contrats individualisés de retour à l’emploi, revenir sur l’âge et la durée de cotisation pour la retraite et, comble de l’audace, réformer le système actuel de médecine du travail, « qui n’est plus adapté » et qui pourrait être confiée à des médecins libéraux « ayant conclu avec l’entreprise un contrat de partenariat ». Cette dernière “réforme” vient du constat qu’en 1998, après des années de baisse, le nombre d’accidents du travail a augmenté de 3,2%, ainsi que le nombre de maladies professionnelles reconnues [5]. Pour le Medef, il s’agit avant tout de préserver la compétitivité des entreprises. D’où l’idée de recourir à des médecins plus souples que ceux du travail.
Après la flexibilité, la baisse des charges sociales, les licenciements économiques… et les superprofits, que vous faut-il encore ? Un paquet cadeau ? Avec autour une faveur … rose sans doute ?
[*] L’Unedic est le régime d’assurance-chômage créé en 1958 par les syndicats patronaux et de salariés.
[1] L’article 121-1 du code du travail, qui reprend la loi de 1990, stipule que « le CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. » On sait que, malgré ce texte, le CDD s’est largement répandu avec la multiplication des contrats aidés.
[2] R. Castel, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
[3] A. Lyon-Caen, professeur de droit du travail à l’université Paris-X- Nanterre.
[4] G. Couturier, professeur de droit du travail à l’université Paris I.
[5] Elles ont triplé en quinze ans, notamment à cause de l’amiante.