Peugeot, un cas exemplaire
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Publication : novembre 1989
Mise en ligne : 4 mai 2009
A l’heure où nous écrivons, fin septembre,
nous ne pouvons savoir bien sûr comment évoluera le conflit.
Mais ce n’est pas l’objet de cet article (ce qui ne nous empêche
pas de souhaiter la victoire à ceux qui luttent). Comme d’autres
journaux, la Grande Relève, Juin 1989, a signalé les bénéfices
de Peugeot pour 1988, 8,8 milliards après impôts, précisant
que Peugeot était devenu le premier contribuable de France ;
nous notions également quelques réflexions amères
- et anonymes car on licencie facilement chez Peugeot - d’ouvriers sur
leurs salaires et le manque de perspectives de changement. Les événements
en cours ont permis de voir plus clair et montrent à travers
le cas exemplaire de Peugeot comment s’instaure et se renforce la société
duale dans les pays du "libéralisme". Nous ne mentionnerons
aujourd’hui que pour mémoire les laissés pour compte,
chômeurs, précaires, pour nous intéresser au sort
des "nantis", ceux qui ont encore la chance d’avoir un emploi.
Peugeot compte 158.000 salariés. Des diverses déclarations
connues par les médias, il apparait que la rémunération
nette moyenne mensuelle des ouvriers se situe autour de 5.500 F. Quand
on sait que les revendications pour le SMIC sont de 6.500 F., on comprend
aisément d’où viennent les super bénéfices
de Peugeot et la façon dont Monsieur Calvet a "su"
redresser la situation de la firme.
Le Canard Enchainé du 27 septembre a fait l’effet, toutes proportions
gardées, du "j’accuse" de Zola, en révélant
que Calvet, qui refuse obstinément toute discussion avec les
grévistes depuis plus de quatre semaines, s’était octroyé
en deux ans une augmentation de 45,9%, ce qui porte son salaire mensuel
net à 185.312 F. Autrement dit, le salaire MENSUEL du PDG atteint
PRESQUE TROIS FOIS le salaire ANNUEL moyen d’un ouvrier. Le Canard note
encore que, selon les documents officiels PSA, les dix dirigeants les
mieux payés du groupe ont vu, en 1988, leur salaire progresser
de 12,6%, pour les ouvriers et employés, par contre, les prévisions
d’augmentation pour 1989 ne sont que de 2,7%, quand l’inflation atteint
déjà 3,2%.
En bref, l’éventail des salaires entre l’ouvrier de base et le
PDG est de 1 à 30,8 ; pour mémoire, l’éventail
moyen des salaires en France est de 1 à 20, contre 1 à
10 en Allemagne, au Japon, etc..
Il faut vraiment que les salariés de Peugeot en aient eu "ras
le bol", eux qui n’avaient pas fait grève depuis 17 ans !
Qu’invoque M. Calvet pour refuser de faire participer
les salariés aux gains de l’entreprise qui sont essentiellement
les leurs puisque assurés par des salaires de smicards ?
" La santé de l’entreprise reste fragile. Or les prévisions
de bénéfices pour 1989 sont - étaient - de 10 milliards,
soit une progression de 13,65 %.
" Le spectre de la concurrence japonaise qui ne fera de nous qu’une
bouchée si on baisse les bras (traduisez si on augmente décemment
les salaires).
" Les investissements.
" Le pourcentage sans cesse croissant de la pénétration
des voitures étrangères en France, près de 40%,
notamment allemandes (pour le moment, les japonaises sont contingentées).
Alors, si M. Calvet est le bon économiste, le
bon gestionnaire que décrivent M. Périgot et même
certains membres du Gouvernement, qu’il nous explique comment font les
Allemands. Un reportage dans l’automobile allemande, réalisé
pendant le conflit, nous a montré des ouvriers qui, avec une
semaine de 35 heures (victoire de l’IG Metall) gagnaient 12.000 F./mois,
soit, traduits en équivalence de pouvoir d’achat, environ 10.800
F. : le double d’un ouvrier de Peugeot. Certes, la société
duale se développe également en Allemagne, comme dans
tous les pays capitalistes, mais disons qu’elle est moins duale qu’en
France !
Il faut des patrons butés et bornés comme Calvet pour
refuser tout partage des gains de l’entreprise ; deux sondages lui donnent
heureusement tort : 70 % des Français et 57 % des patrons sont
pour une ouverture des négociations.
Dans ce conflit, on peut noter la mollesse du gouvernement "socialiste"
qui se retranche derrière le non-interventionnisme dans l’entreprise
privée. Déjà, il y a quelques mois, Bérégovoy
avait invité à petit-déjeuner les deux Grands de
l’Automobile pour leur demander d’être "raisonnables"
dans leurs prochaines augmentations du prix des voitures. Et le Ministre
de faire claironner son intervention dans la presse : indice des prix
et gouvernement socialiste obligent. Las ! quelques jours plus tard,
après l’augmentation, les médias constataient que l’appel
du Ministre n’avait pas été entendu. Les prix étant
libres, Bérégovoy ne pipa mot.
Et comme il est discret dans le conflit actuel ! Après tout n’est-il
pas le premier bénéficiaire, dans son ministère,
de l’impôt sur les sociétés : plus de 6 milliards
pour le premier contribuable de France en 1988. Alors que si Peugeot
avait des salaires plus décents, les bénéfices
de l’Etat seraient amputés d’autant ; il n’en retrouverait qu’une
petite partie à travers la TVA des produits supplémentaires
qu’achèteraient les salariés de Peugeot mieux payés.
Mais, question à M. Bérégovoy : en France, la fraude
fiscale est estimée à 160 milliards de francs, soit en
gros 10% du budget. Or seulement 25 milliards sont rattrappés.
Un petit effort, Monsieur le Ministre, comme vous le demandent aujourd’hui
vos grévistes d’inspecteurs et vous trouverez bien les quelques
milliards qui vous feraient défaut si Peugeot, et tant d’autres
patrons pleurnichards payaient un peu mieux leurs ouvriers et employés.
Ce qui aurait au moins le mérite de mettre un frein à
l’aggravation de la société à deux vitesses dans
laquelle nous nous enfonçons de plus en plus.