Au fil des jours
par
Publication : avril 1986
Mise en ligne : 23 juin 2009
« Les Etats-généraux des Etudiants
de l’Europe » - L’invitation couvrait une pleine page dans LE
MONDE du 16 janvier dernier » : hébergement et nourriture
assurée gratuitement. Conférenciers délégués
par l’I.F.R.I., par la Fondation des Etudes de Défense nationale.
En coulisse : la Trilatérale, l’OTAN, l’Alliance Atlantique,
sur un fond d’antisoviétisme de bon aloi. Ainsi sont conditionnés
les Etudiants futurs propagandistes de l’Europe des multinationales.
Dans les années 60, les fonds de la CECA finançaient ce
genre de colloques où l’on matraquait des aréopages de
notables, maires, syndicalistes, présidents d’associations, invités
tous frais payés à un festival de propagande. Aujourd’hui,
ce sont des Fondations américaines et autres qui pourvoient au
financement des bonnes oeuvres de la Commission trilatérale.
Il n’y a jamais assez d’argent pour rembourser les assurés sociaux
mais il coule à flot quand il s’agit de prédisposer l’opinion
à la gloire du profit, de désinformer.
L’entreprise et la vie - A raison de 221 jours de présence pour
chacune des 37 années de travail auxquelles il est astreint,
le salarié qui atteint 75 ans, a consacré 65.416 heures
au service de l’entreprise, soit un peu moins du dixième de la
durée de sa vie (656.000 heures). Guère de quoi faire
de l’entreprise le nombril de la société alors qu’elle
n’est qu’une usine à profits, sans autre finalité, en
dépit de propos hypocrites visant à légitimer LE
COMPORTEMENT DE SES DIRIGEANTS.
La vie n’est centrée ni sur l’entreprise, ni sur le profit. Elle
offre bien d’autres aspects autrement importants : l’éducation,
la culture, le dépassement de soi dans les activités libres
du loisir, les distractions, la vie familiale avec ses joies et ses
épreuves, la communication avec autrui, la santé, l’environnement,
le combat contre les pollutions, contre le bruit, contre les gaspillages,
pour une meilleure justice sociale, les conditions d’habitat, la faim
dans le monde, le désarmement, la gérance et l’organisation
de la cité, l’entraide communautaire, le bénévolat,
l’assistance morale aux malades, aux accidentés, aux déprimés,
aux isolés.
C’est dire que l’Entreprise, les héraults du libéralisme
n’ont pas à faire tout un plat. Le lâcher des prix - On
sait ce qu’avait coûté aux consommateurs salariés,
retraités et chômeurs, la liberté rendue aux prix
par René-MONORY en 1980, le bond d’un certain nombre de service
brutalement majorés de 50 % voire au-delà.
Gel des salaires sans gel des prix ? Loi instituant la flexibilité
de l’emploi ? Où nos socialistes ont-ils la tête pour souscrire
aussi sottement aux revendications d’une fraction ultra-minoritaire
de l’électorat adverse, commerçants et autres prestataires
de services ? L’hypocrisie est manifeste et l’image que donnent les
socialistes à la remorque des affairistes et des marchands n’est
guère de nature à encourager les votes en leur faveur.
Escompter de la libération des prix une série de baisses
durables ? Un pari bien aventureux eu égard aux appétits
illimités du commerce, aux illusions des dévôts
de la libre concurrence, au souci de « rattrapage » propre
à maints secteurs, en matière de services plus particulièrement,
là où, en général, la concurrence n’intervient
guère.
Il eût été plus sage d’avoir l’oeil sur certains
éléments des coûts et des prix : marges commerciales
cumulées, assurances, rémunération des hauts cadres
et dirigeants, loyers commerciaux, amortissements industriels et financiers,
taux d’intérêt, tarif de la publicité, frais de
représentation, de déplacement, de congrès, de
recherche, de stages, honoraires des bureaux d’études. Il convenait
surtout de renforcer les contrôles par la création de milices
fiscales ayant mission de signaler les fraudeurs notoires étalant
au vu et au su de leur entourage, un train de vie peu en rapport avec
leurs revenus déclarés : clientèle des casinos,
des cercles de jeux, celle des commerces de luxe, les acheteurs d’oeuvres
d’art, les possesseurs de coffres à l’inventaire tenu secret.
Il fallait enfin armer les associations de consommateurs, légalement
impuissantes face aux usages du commerce, et à des prix souvent
délirants.
Levée du contrôle des changes - Libre envol des profits
vers les paradis fiscaux, coup de fouet au marché des monnaies,
à la spéculation boursière, aux opérations
de transferts des multinationales, pactole pour les importateurs branchés
sur les pays à bas salaire, aggravation du chômage, inflation.
On n’en attendait pas moins d’un gouvernement de socialistes pareillement
dévoués à la cause du profit.
« Personne, a écrit J.K. GALBRAITH, ne doit supposer qu’il
soit facile ou agréable de s’adapter à l’abondance. Au
contraire, elle menace le prestige et la position de nombre de personnalités
importantes. Elle expose un grand nombre d’entre nous à cette
perspective plus affreuse encore qu’est l’obligation de repenser toute
la situation. Nous touchons là aux intérêts les
plus importants, ceux de l’esprit. Ces derniers temps, il n’y a rien
qui ait soulevé davantage de problèmes pour les gens réfléchis,
que de savoir pourquoi, dans un monde en proie aux difficultés,
nous faisions un si piètre usage de notre abondance ».
Et d’ajouter : « II est tellement plus facile d’être solidement
ancré dans l’absurdité que de voguer sur l’océan
agité de la réflexion ». (1)
Le financement des retraites - Accroitre les cotisations ? Reculer l’âge
de la retraite ou en diminuer le montant ? Substituer au financement
par répartition un financement par capitalisation ? Cette dernière
proposition, chaudement appuyée par les Compagnies d’Assurances
conduit à faire de la majorité des futurs retraités
des candidats aux soupes populaires, faute d’être aujourd’hui
en mesure d’acquitter aux Compagnies de lourdes primes supplémentaires
en sus de leurs charges habituelles.
En matière de financement des retraites, il est certain que l’on
s’approche d’un butoir. Ce n’est là, pourtant, qu’un faux problème
créé par des usages monétaires au travers desquels
nous apprécions une faible part seulement des richesses réelles
et potentielles susceptibles d’être mises à la disposition
des consommateurs. Une monnaie de consommation, concrétisée
dans la carte de paiement à mémoires, jouant le rôle
d’une monnaie - matière à usages polyvalents, gagée
par toute ces productions excédentaires, détruites ou
gaspillées, exportées au quart de leur coût, narguant
les besoins de millions de retraités et de chômeurs, inexplicablement
amputés de droits à consommer, rétablirait ceux-ci
dans leurs droits.
Manque-t-on de lait, de beurre, de pommes de terre, de viande, de fromages,
d’oeufs, de volailles, de poissons, de fruits, de céréales,
de sucre, de vins ? Manque-ton de main d’oeuvre, d’équipements,
de locaux, d’énergie, de charbon, de gaz ? Manque-t-on de chaussures,
de vêtements, de livres, d’ustensiles et mobiliers de toute sorte
? Certes, l’abondance n’est-elle pas générale et ne le
sera-t-elle jamais. Du moins pourrait-on disposer, en faveur d’exclus
du marché, de toute cette masse de surplus, aujourd’hui stockés,
détruits ou exportés, que l’on ne parvient plus à
vendre, surplus auxquels une monnaie de consommation, distribuée
aux ayants-droits, laissant à ceux-ci lé choix à
consommer, attribuerait la valeur d’une source de financement ?
Ni la diminution du nombre des actifs, ni l’accroissement de celui des
retraités n’ont d’effet sur le volume de la production dont la
progression, impulsée par les technologies nouvelles et l’abondance
d’énergie, n’est freinée que par les exigences du profit,
par des impératifs financiers. C’est dire l’absurdité
de pénaliser par une amputation de leur revenu, ceux dont la
production n’a plus besoin, sous prétexte que d’autres devraient
leur transférer une part de leurs propres revenus.
Instrument providentiel pour financer les retraites sans prélèvement
sur quiconque, la monnaie de consommation, inventée il y a près
d’un siècle, a connu quelques applications maladroites sous la
forme de bons d’achat, monnaie-timbre, monnaie-matière, et autres
moyens de paiement non transférables. Un usage simplifié
de la carte à mémoires lui rendra, demain, ses lettres
de noblesses, transformant les comportements, mettant’ fin à
l’insécurité.
(1) « L’ère de l’Opulence » Calmann Lévy Ed. 1961