Le chômage : Un virus de notre temps
par
Publication : mars 1988
Mise en ligne : 16 juillet 2009
Je prends la plume aujourd’hui ; et ce, pour la première
fois afin de m’exprimer au nom de tous les chômeurs actuels à
qui l’on ne donne que trop rarement la parole.
Quelle personne, à notre époque, peut se vanter d’elle-même
ou de son entourage de ne pas être ou avoir été
touchée par ce si terrible virus et pour lequel on ne voit pas
poindre l’antidote tant espéré, malgré toutes les
grandes phrases qu’utilisent si habilement nos dirigeants avant tout,
afin de se donner bonne conscience et de gagner par là même
au scrutin majoritaire.
Il ne suffit plus aujourd’hui de promettre ou de calmer l’opinion publique
par de médiocres résultats du style de ceux offerts au
journal de vingt heures, j’entends par là, ceux des données
corrigées des variations saisonnières qui frisent l’hypocrisie
à en être écoeurants.
On attend, pour l’heure, des résultats plus concrets et non des
pourcentages en baisse tirés par les cheveux ou des tentatives
vouées à l’échec par manque de volonté,
mais surtout parce que la balance financière s’use à détruire
plutôt qu’à bâtir ou à conserver.
La jeunesse, dit-on avec une certaine fierté, est l’avenir du
monde de demain que l’on qualifie prématurément déjà
de meilleur mais quel privilège de voir que celle-ci fait partie
des inutiles et de la masse des oubliés.
Que signifie à votre bon vouloir, ce terme tant employé
et si avilissant de « fins de droits », panache de la commission
paritaire des ASSEDIC qui à elle seule possède le droit
de conclure sur le sort de milliers de gens et par là même
de leur supprimer le droit de vivre et de manger. Quelle finesse de
psychologie que de faire comprendre aux êtres en dérive
qu’ils sont arrivés à échéance de l’aide
qui leur avait été si aimablement octroyée. Après
cela, que reste-t-il sauf cette merveilleuse chose qu’est la volonté
de survivre. La volonté d’être encore quelqu’un aux yeux
des autres et non un quidam. De ne pas se sentir rejeté comme
un vulgaire objet usagé. Et tout cela parce que notre société
n’est plus capable, dans son si bel essor, de faire face au seul droit
de tous, celui du travail.
Il existe bien entendu, des couloirs d’orientation comme par exemple
celui de l’aide à la création d’entreprise certes, créée
pour la circonstance afin de sauver la face et montrer que l’on ne nous
oublie pas, mais vous franchissez la porte avec conviction et ressortez
de l’entretien ahuri tant le chemin de la procédure est semé
d’embûches et vous apparaît comme impossible.
Comment voulez-vous aussi rester crédible aux yeux des organismes
financiers alors que pour tous vous être arrivés à
l’issue fatale des classés sans revenus. A cause de cela toutes
les portes se referment.
Je ne parlerai pas non plus de cette fâcheuse étiquette
qui aujourd’hui vous colle à la peau. Comme si vous étiez
fautif et coupable de votre condition de chômeur.
Une des choses les plus injustes aussi est le fait même, que tant
que vous percevez une allocation, que celle-ci soit de base ou de fin
de droits, on ne vous laisse pas tout-à-fait tomber. C’est-à-dire
que régulièrement on vous convoque afin d’établir
ce que l’on appelle un bilan de situation afin d’essayer de trouver
une solution à votre cas personnel. Quant à l’A.S.S.E.D.I.C.
elle vous adresse tout aussi régulièrement un questionnaire
à compléter afin de s’enquérir de vos démarches
personnelles en matière de recherche d’emploi. Mais, là
où les choses deviennent insupportables, c’est lorsque vous faites
partie des simples demandeurs d’emploi sans toucher la moindre allocation.
Alors là, vous vous rendez compte qu’à ce stade vous êtes
seul et n’intéressez plus personne. Finies les convocations,
finis les formulaires. Vous êtes déjà classés
dans les oubliés, car vous ne coûtez plus rien à
la société, mis à part le fait que vous restez
un assisté au niveau de la couverture sociale.
Il est très facile de dire que la jeunesse se refuse au travail
lorsque les seules propositions faites ne sont que diverses formes de
contrats à durée déterminée ou encore, plus
proche de nous, la pire des trouvailles en matière d’exploitation,
je veux dire bien entendu les T.U.C. et que la seule contrepartie de
votre travail ne dépasse pas 1.700 Frs par mois, mais il est
vrai que cette somme représente aujourd’hui, on ne sait trop
sous quel critère, le minimum vital.
En continuant de la sorte, nous conditionnons les jeunes à se
laisser aller, à se démotiver pour la vie et par là
même nous grossissons volontairement ce qui nous fait le plus
peur, la jeune délinquance.
Il est intolérable de penser que la seule solution à ce
grave fléau que représente le chômage se trouve
entre les mains de ceux qui gouvernent, mais que, faute de ne pouvoir
posséder l’argent, c’est toujours lui qui les dirige.
Malgré tout, nous continuons à investir en tous moyens
de destruction plutôt que de sauver les hommes du grand piège
du monde moderne que représentent les nouveaux pauvres.
Il n’y a pas pire pensée que de se rendre compte qu’en période
d’abondance, naissent de plus en plus nombreux les milieux défavorisés.
Tout cela parce que les hommes ne maîtrisent plus ce qu’ils appellent
la finance et par là même deviennent aveugles à
ce qui ne rapporte pas.
C’est pour cette raison qu’il faut continuer à lever la tête,
à montrer que nous sommes là, ainsi qu’à clamer
inlassablement notre droit au travail comme tous, dans ce monde d’égoïstes.
Je ne pouvais terminer cette réflexion sans remercier certains
organismes tel que les restaurants du coeur, créés par
un grand homme comme COLUCHE qui lui seul avait compris combien son
aide apporterait aux laissés pour compte, chaleur, réconfort
et pain quotidien. Derrière tout cela, il faut aussi tirer un
coup de chapeau aux bénévoles qui mettent leur temps,
mais aussi et surtout leur coeur au service des autres car sans eux
rien de pareil n’aurait été possible.
Merci aussi à tous ceux qui dans l’ombre et dans l’anonymat font
grandir la solidarité et surtout lui donne son vrai sens. Ceux-là,
pour nous, tous, sont de grands hommes.