Le fric, toujours le fric
par
Publication : avril 1987
Mise en ligne : 21 juillet 2009
A propos d’un livre sur la dette mondiale, de Richard
W. Lombardi (Flammarion)
LE PIÈGE BANCAIRE
L’auteur a été vice-président
de la First National Bank of Chicago, l’une des plus grosses banques
multinationales, et c’est donc en praticien de la haute finance qu’il
parle de la faillite menaçant le système bancaire mondiale.
R. Lombardi démystifie la fameuse rationalité financière,
il constate que depuis les années 1970, les grandes banques se
sont impulsivement, par esprit de compétition, engagées
dans une course au plus gros bilan. Elles se sont ruées comme
des moutons de panurge dans une politique de prêt tous azimuts
aux pays du Tiers-Monde, quel que soit l’emploi de l’argent prêté.
Toute la science des grands banquiers a consisté simplement à
répartir les risques sur un grand nombre de pays et à
parier que tous les pays ne feront pas faillite en même temps.
Prêter autant sinon plus que les autres et ne pas être plus
engagés que d’autres au Sénégal, au Pérou
ou aux Philippines, voilà tout le "génie" de
nos grands financiers.
Résultat : la dette mondiale dépasse aujourd’hui les mille
milliards de dollars et les pays débiteurs ne peuvent que s’appauvrir
dramatiquement davantage s’ils veulent essayer de rembourser, ne serait-ce
que les intérêts de la dette.
Si encore l’argent prêté leur avait servi à quelque
chose. Mais, ici, R. Lombardi rejoint la pensée de R. Dumont
(pour l’Afrique, J’accuse, Plon) et montre de manière identique
que ces prêts ont développé le sous-développement
!
Pour l’auteur du "piège bancaire", l’origine des erreurs
commises est à chercher dans la conception occidentale du développement
économique. La stratégie économique que les banquiers
ont partagée avec la plupart des dirigeants occidentaux, dont
ceux du FMI et de la banque mondiale, se caractérise par la primauté
absolue accordée à la recherche de "l’avantage comparatif"
(1), génératrice d’une division internationale du travail
fondée exclusivement sur la productivité optimale des
facteurs de production, avec son corollaire, le libre échangisme
posé comme un dogme absolu. Ce qui conduit à privilégier
la production et non le développement.
Les dimensions sociales et culturelles du développement ne sont
bien sûr pas prises en compte. Les décideurs occidentaux
sont mûs uniquement par leurs intérêts ; ainsi conditionnés
ils sont en guerre permanente avec leurs semblables, et donc incapables
de "penser" la coopération pourtant indispensable.
Pour R. Lombardi, cette attitude suicidaire remonte au 18e siècle,
dont la philosophie politique nous inspire encore totalement aujourd’hui
: I’"intérêt" et l’"instinct" seraient
les principes fondateurs de l’ordre social. La nature aussi bien que
l’ordre économique procèdent par la violence et la compétition
illimitée (Hobbes, Smith, Hume, Malthus, Darwin, etc...)
Voilà donc un banquier lucide qui remet courageusement en question
les fondements philosophiques du libéralisme, qui ridiculise
les sacro-saintes lois du marché et qui plaide pour la réflexion
contre la force : l’Homo rationalis contre l’Homo oeconomicus. Sera-t-il
entendu ? à temps ?
(1) La "loi" de l’avantage comparatif est
enseignée comme un dogme dans les écoles de commerce et
à tout étudiant en économie : cette théorie
prétend que chaque personne, chaque pays doit produire ce pourquoi
il est le plus apte, il doit se spécialiser et pousser son avantage,
lutter pour le faire admettre, pour le vendre, l’exporter.
L’efficacité économique optimale viendrait de cette spécialisation
et de cette concurrence permanente.