“La patrie”, vous connaissez ?


par  P. VINCENT
Publication : décembre 2009
Mise en ligne : 1er janvier 2010

Comment peut-on prétendre vouloir rassembler les Français et avoir pour souci prioritaire de régler des comptes personnels avec l’un d’eux, appartenant à son propre camp ? Car si dans les discours c’est toujours “La France”, “La Patrie”, l’intérêt général, le bien commun, dans la réalité il y a différents camps, à l’intérieur desquels il y a des clans, et l’on se bat pour son camp, on se bat pour son clan et, à la fin, on se bat pour soi. Quid de l’intérêt général ?

Ceci, c’est sur le plan politique, mais c’est encore pire sur le plan économique. On suscite des jalousies entre les salariés du privé et les salariés du public qu’en définitive on maltraite tout autant, entre les jeunes qui trouvent difficilement du travail et les vieux qu’on veut mettre en retraite le plus tard possible. Tout cela dans la France d’en bas, celle de la grande majorité des Français qui gagnent moins de deux fois le SMIC et dont on calcule les salaires avec deux chiffres après la virgule, pas chez la minorité dont on évalue seulement au million près les revenus et qu’on a peur de faire fuir en lui faisant payer trop d’impôts. Pas question de surtaxer les profits rapidement réapparus des banques accidentées sauvées avec l’argent des contribuables, mais on envisage sans honte d’imposer les modestes pensions d’invalidité des accidentés du travail.

Nicolas Sarkozy, à son arrivée au pouvoir, laissait entendre que le stock de chômeurs dont il héritait, certes d’un septennat de droite mais entaché de socialisme (Ah ! cette maudite semaine de 35 heures ! C’est bien mieux de chômer une semaine par mois comment cela se fait aujourd’hui), n’était constitué que de paresseux ou d’incapables. Il allait donc mettre les premiers en demeure d’accepter n’importe quel emploi, les autres un stage de formation dans des domaines où ils pourraient immédiatement trouver du travail, et le problème serait réglé. Or il y en a un demi-million de plus aujourd’hui, dont il connaît la provenance et dont il sait qu’il ne s’agit pas de fainéants ou d’incapables.

Le problème viendrait plutôt du côté des employeurs. On aimerait y rencontrer davantage de vrais entrepreneurs plutôt que des acquéreurs d’entreprises dont le seul objectif est de gagner beaucoup d’argent à court terme, pour eux et leurs gros actionnaires, à coup de licenciements et de délocalisations, bref des fossoyeurs d’entreprises. Et pourquoi, à leur place, l’État ne s’y est-il pas mis, au lieu de subventionner leurs défaillances ? De la part de ceux qui se disent encore gaullistes quand cela les arrange, ce n’eût pas été renier De Gaulle. Mieux valait son dirigisme en soutien à de grands projets, ou à des PME comme la Société de l’ingénieur Jean Bertin, dont l’aérotrain, que torpillera plus tard Giscard d’Estaing, fut longtemps en avance sur le “transrapid” de Siemens qu’ont aujourd’hui acheté les Chinois. Et personne ne soutiendra, sauf peut-être Jean-Marie Messier, que l’eau privatisée nous était alors vendue à un plus juste prix que de l’électricité ou du gaz étatisés.

Au moment où le 11 novembre est l’occasion de beaux discours sur le patriotisme et le sacrifice de millions d’hommes, il serait bon de s’interroger sur la liberté accordée à quelques-uns de planquer leur fortune dans des paradis fiscaux. Si la Patrie était à nouveau en danger, il me paraîtrait difficile d’empêcher celui qui n’a que sa peau à sauver d’aller lui aussi la mettre à l’abri en Suisse. Je ne comprendrais pas qu’on osât lui faire la morale dans une société du “chacun pour soi” où l’on se porte mieux d’avoir des ancêtres négriers que d’avoir eu un père mort pour la France. Que restera-t-il d’ailleurs du patrimoine commun que nous aurions à défendre ? En ce qui concerne le patrimoine matériel, on est en train d’en achever la privatisation et il ne nous restera bientôt plus en commun que les dettes de l’État.

Quant au souvenir glorieux de nos victoires militaires et de nos conquêtes sociales, ce ne sera pas un patrimoine trop lourd à emporter, et ce n’est pas ce qui restera de la Patrie à la semelle de ses souliers qui sera de nature à retenir quiconque.