La nouvelle Résistance
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Mise en ligne : 30 juin 2010
Plateau des Glières, 16 mai 2010 : 4ème rassemblement citoyen organisé par les résistants d’hier et d’aujourd’hui. |
La fatalité de la religion libérale, si elle domine encore ceux qui gouvernent, ne s’impose plus à tous les gouvernés. La politique imposée fait même naître une nouvelle résistance qui est un véritable espoir. Qu’on en juge : Christian et Dominique étaient au plateau des Glières le 16 mai, ils en sont revenus enthousiamés et ils témoignent.
Un extraordinaire bain de jouvence attendait notre couple, ce matin du dimanche 16 mai 2010, au terme du périple montagnard qui a nous conduits à 1.500 mètres d’altitude, sur le plateau des Glières. Les véhicules laissés à la limite du bitume en contrebas, notre longue colonne multicolore de marcheurs s’étira sur un chemin de terre, au milieu des alpages enneigés et du tintement des clarines de dizaines de robustes vaches savoyardes, pour atteindre le périmètre du mémorial de ce haut lieu de la résistance armée, au cœur du maquis de Haute-Savoie. Malgré le froid glacial du matin, nous étions plusieurs milliers de manifestants de tous ages, sans badges ni banderoles, réunis à l’appel de l’association “Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui” (CRHA) pour défendre le modèle social issu du programme du CNR, le Conseil National de la Résistance.
Sur la modeste tribune (au centre de la photo) se succédèrent, pendant deux heures et demie, des représentants de la résistance d’hier et d’aujourd’hui. Témoignant de leurs luttes passées et actuelles, ils affirmèrent avec force leur opposition résolue à l’entreprise de destruction systématique et sans merci menée par les forces politiques au pouvoir dans notre pays, contre des conquêtes sociales issues de la Résistance.
Cette politique résulte d’une volonté de revanche qui s’inscrit dans la durée, comme l’a déclaré, le 4 octobre 2007, Denis Kessler, ancien vice-président du Medef : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance. (…) Le gouvernement s’y emploie ». Même si les gouvernants et les médias de masse à leur service cherchent à le nier.
Nombreux sont ceux de nos concitoyens qui commencent seulement à mesurer la portée du programme du CNR et le changement radical qu’engendra sa mise en application au lendemain de la guerre. Magnifiquement intitulée Les jours heureux, l’édition clandestine du 24 mars 1944 de ce texte fondateur était une œuvre collective rédigée par des résistants, au péril de leur vie, et signée à l’unanimité par les représentants des principaux mouvements et partis de la Résistance.
La lutte pour l’application de ce programme ambitieux fut victorieuse, de sorte que la France devint, à la Libération, un “pays d’exception” marqué par des conquêtes majeures comme la sécurité sociale, les retraites, la mise sous contrôle des banques, la liberté de la presse, les services publics, le droit du travail. Les “Trente Glorieuses” ont largement prouvé l’efficacité sociale de ces réformes, même si on était encore loin d’en avoir exploité toutes les potentialités.
Mais lorsque survint le renversement du rapport des forces entre le capital et le travail et que cette situation s’aggrava fortement à partir des années 80, les puissances financières et leurs relais politiques s’acharnèrent au pillage et à l’accaparement privé des richesses produites par la collectivité nationale, en s’efforçant de balayer tous les obstacles à leur domination sans partage.
Les fantastiques gains de productivité réalisés grâce aux progrès des sciences et des techniques, qui auraient dû permettre d’accentuer le progrès social, de développer la culture, la santé, les loisirs…, furent utilisés pour aggraver l’exploitation et la précarisation des salariés.
Détruisant les principes de solidarité, durement acquis dans les luttes, instaurant le retour du temps du mépris des droits humains, au bénéfice de l’enrichissement sans limite d’une poignée de prédateurs multimilliardaires, le dogme capitaliste sans contre-pouvoir fait courir de nouveau, à notre pays et à la société humaine mondialisée, des risques terribles, et à brève échéance.
On mesure, aujourd’hui, en France, l’ampleur de cette revanche capitaliste sur le monde du travail et sur les simples citoyens. On la mesure d’autant mieux que l’essentiel des forces politiques et syndicales s’est effondré dans la collaboration de classe.
Les autorités nationales et supranationales organisent de gigantesques transferts financiers en faveur de la spéculation et de l’évasion fiscale. Le pillage des fonds publics est en plein développement. La manipulation des institutions, par les traités et par des réformes constitutionnelles, se fait au mépris du suffrage universel. Elle est conçue pour empêcher tout recours démocratique des peuples contre les injustices qu’ils subissent. Elle est particulièrement forte dans les pays de l’Union Européenne où la misère gagne du terrain.
Ce travail de démolition est déjà largement engagé. Chaque jour, la justice, la santé, l’école, le code du travail, les libertés publiques, etc… en font les frais.
Mais tout n’est pas aussi simple pour la coalition réactionnaire au pouvoir. Car si la cupidité des spéculateurs et des tenants de la haute finance est manifestement sans limite, les dégâts de la guerre économique contre les peuples “pour satisfaire les marchés” provoque un réveil des consciences, que le matraquage audiovisuel incessant peine de plus en plus à contenir.
Ainsi, aux Glières. L’organisation et le déroulement du pèlerinage annuel de l’actuel chef de l’État, ses tentatives de récupération des hauts faits de la Résistance, ont scandalisé. En riposte, en 2007, une poignée de militants haut savoyards a initié un rassemblement citoyen annuel. Sous la pression des évènements et du comportement “débridé” du pouvoir, cette manifestation, d’abord locale, a pris maintenant une dimension véritablement nationale. Les témoignages de résistances citoyennes montrent que s’élargit sérieusement la base d’indignation et de légitimes revendications.
Le lien qui s’établit ainsi entre ce mouvement de désobéissance civique et les luttes de jeunesse des anciens du CNR pour “les jours heureux” constitue une véritable rupture avec le pessimisme ambiant.
Nous avons eu des témoignages émouvants et combatifs d’anciens résistants. Ceux d’Odette Nilès, internée avec Guy Moquet au camp de Chateaubriand, dont elle préside l’amicale, et de Léon Landini, membre des bataillons FTP-MOI, à Lyon.
Nous avons reçu des messages soutien de la part de grandes figures de la Résistance : Stéphane Hessel, qui fut déporté, Ambassadeur de France et co-rédacteur de la Charte universelle des Droits de l’Homme ; et Raymond Aubrac, ex commissaire de la République. Tous deux militants infatigables sont actuellement à l’étranger, d’où ils nous ont envoyé leurs messages.
En leur faisant écho, les résistances actuelles prennent toute leur dimension historique : Didier Poupardin, médecin de quartier à Ivry, milite avec acharnement contre les déremboursements de l’assurance maladie, qui pénalise les familles modestes.
Dominique Liot, agent EDF membre des Robin des Bois, est poursuivi pour avoir remis le courant à des foyers en difficulté.
François Ruffin, journaliste victime de procès dans l’exercice de son métier, lutte pour l’indépendance de la presse.
Serge Portelli, magistrat et vice-Président du Tribunal de Paris, fut éclairant, je le cite : « nous ne sommes plus dans une démocratie, pas dans un Etat autoritaire, mais dans un Etat limite… Il y a aujourd’hui une haine de notre passé : ce n’est pas simplement mai 68 dont on ne peut plus parler, ce sont des valeurs, effectivement, de la Résistance et même au delà, des valeurs de la Révolution et celles des Lumières. »
Enfin, Didier Magnin, pilier de l’association CRHA avec le résistant Walter Bassan et le réalisateur Gilles Perret, nous a appelés à réinventer notre modèle social, en référence à celui du CNR, à construire un programme du XXIème siècle, à « construire une nouvelle utopie réaliste ».