Les retraites par capitalisation

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par  G. RACHMUHL
Mise en ligne : 30 novembre 2010

Sur le côté négatif de la capitalisation comme système de retraites, tout ce que j’ai pu lire sur le sujet n’évoque que son aspect statique, jamais son côté dynamique.

Ce qu’il faut bien voir c’est que lorsque le système est mis en place, les institutions qui le gèrent reçoivent beaucoup de cotisations alors qu’elles n’ont pas d’allocations à verser. Elles ne commenceront que plus tard à verser des allocations, d’abord de très faibles montants pour des retraités qui n’auront encore cotisé que très peu de temps, après quoi les allocations augmenteront, progressivement. Le système n’atteindra un régime permanent qu’au bout de 30 ou 35 ans, lorsque le nombre de nouveaux allocataires correspondra à peu près au nombre de nouveaux cotisants. Les assureurs voient donc là une manne qui leur tombera pendant une très longue période, certes, pas éternelle, mais après nous le déluge ! pensent ces spéculateurs !

Qu’a-t-on observé dans les pays anglo-saxons où ces systèmes fonctionnent depuis plusieurs décennies ? — Que bien souvent, lorsqu’il s’agit de payer, il n’y a plus assez d’argent dans les caisses. De nombreux exemples récents montrent qu’alors ou bien l’institution fait faillite, et c’est tant pis pour ceux qui y avaient mis leurs économies, ou bien c’est avec l’argent des contribuables qu’elle est renflouée, pour éviter une catastrophe nationale. La logique est simple : au moment de la montée en charge… les gestionnaires se sont largement sucrés, ils en avaient les moyens ; quand ensuite il a fallu trouver de l’argent, ils ont eu recours à la spéculation, sans se préoccuper des effets pervers de ce type d’opération.

Car que fait un fonds de pension… ? Avec les moyens dont il dispose, il achète en Bourse des entreprises, ou des parts (des actions) suffisantes pour exiger d’elles des dividendes qu’elles ne peuvent pas fournir sans sacrifier du personnel. Peu lui importe des conséquences pour l’entreprise : restructuration, faillite ou délocalisation. On voit la schizophrénie du système : sous prétexte d’assurer une pension aux salariés quand ils atteindront l’âge de la retraite, on détruit leurs emplois !

Pourquoi un tel comportement ? — D’abord parce que les dirigeants de ces fonds de pension, qui n’y restent jamais longtemps, sont d’autant mieux payés qu’ils atteignent mieux les objectifs de profits. Et puis parce qu’un fonds de pension, quand il a fait rendre grâce à une entreprise, place ses liquidités dans une autre… Cela constitue même un des facteurs les plus pervers de la financiarisation du monde capitaliste, puisque près de 50 % des actions des entreprises cotées à la Bourse de Paris seraient détenues par ces fonds.

Voici, à titre d’exemple, un bref historique de la retraite par capitalisation telle qu’elle fonctionne à IBM : elle a été créée dans les années 40 pour offrir un revenu aux cadres supérieurs de l’entreprise lorsqu’ils prendraient leur retraite. À l’époque, ces cadres étaient peu nombreux, proches de la Direction, il fallait les attacher à l’entreprise. Un contrat avait alors été passé entre la Direction d’IBM et la compagnie d’assurances UAP. La cotisation était de 5 % du salaire (défiscalisé, en accord avec l’article 83 du Code Général des impôts) payée moitié par le salarié, et moitié par l’entreprise sur la part de salaire dépassant le plafond de la Sécurité Sociale. L’assureur garantissait, au moins verbalement, de revaloriser les rentes au même niveau que l’AGIRC. Ce contrat prévoyait un rendement minimum de 4,5 % inclus dans le calcul de la rente finale acquise à 65 ans.

Et cela fut fait... grâce à deux phénomènes qui se produisirent simultanément dans l’économie d’après guerre : d’une part le développement très important de l’entreprise et, d’autre part, l’augmentation du pourcentage de “cadres” parmi ses salariés. Encaissant de plus en plus de cotisations dans cette entreprise jeune et en développement où il y avait très peu d’ayants droit, l’assureur pouvait donc démontrer que le système fonctionnait très bien, et même mieux que le système obligatoire en répartition. Du coup, chez les cadres d’IBM, on cotisait bien à 16 % pour sa retraite, ainsi répartis : 11 % en répartition à l’AGIRC (35 % pour le salarié et 65 % pour l’entreprise) et 5 % en capitalisation à l’assurance privée (50 % pour chacune des parties). Dans la période où l’inflation était forte (supérieure à 4,5 %), ce fut une manne pour l’assureur, au point qu’un cadre de l’entreprise dénonça la situation avec des arguments chiffrés et que le conflit se résolut par un versement important de l’assureur aux réserves du système.

Au cours des années suivantes, le nombre de retraités augmenta, l’inflation baissa, l’effectif cotisant, victime des “restructurations”, diminua et l’assureur commença à regimber. Cela débuta par une non revalorisation des rentes [*] puis par une diminution de l’engagement de rendement de 4,5 %, qui fut ramené à 2,5 %.

Enfin, en 2010 l’assureur, entrevoyant une baisse de rentabilité dans un futur proche, envisage de dénoncer carrément le contrat signé avec la direction d’IBM 65 ans plus tôt. Cette dénonciation arrange l’employeur parce que les cotisations à l’AGIRC étant devenues obligatoires à 16 %, cette retraite par capitalisation lui fait payer des charges additionnelles. Bref, il y aurait un arrangement entre la Direction d’IBM et l’assureur AXA pour résilier le contrat que cela ne m’étonnerait pas.


[*celles-ci n’ont augmenté que de 3,1 % depuis 1998, à comparer aux augmentations correspondantes des autres institutions de retraite : régime général 20,8 %, ARRCO 19,8 %, AGIRC 21,2 %, alors que l’indice des prix a augmenté de 21,32 % et celui des salaires de 34,3 %. (Retraité d’IBM, j’ai calculé ces chiffres d’augmentation des régimes sur la base de mes retraites nettes, les indices de prix proviennent de l’INSEE, et celui des salaires, du plafond de la Sécurité sociale).