Dernière chance avant insurrection
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Publication : avril 2012
Mise en ligne : 18 juin 2012
Déjà plus de ONZE MILLIONS de pauvres, ici, en France. Tous les jours, l’annonce de nouvelles suppressions d’emplois, de suicides au travail, de manifestations de protestation contre de nouvelles décisions arbitraires.
Et pourtant, à l’approche des présidentielles, les candidats qualifiés de “grands” par les médias continuent à s’invectiver en parlant d’autre chose. Par exemple de la sécurité, parce que l’expérience leur a montré qu’en faisant peur, ils attirent des votes !…
Pas question d’un débat public sur le bilan du candidat sortant. Bilan catastrophique à tout point de vue, et d’abord au plan humain.
Mais surtout, silence total sur les deux traités entre gouvernements européens, dont l’un est déjà signé et l’autre doit l’être dans quelques mois. Pourquoi cet accord tacite pour cacher que l’objectif de ces deux traités est de figer dans le marbre la toute-puissance de la “troïka” ? S’impose ainsi, en silence, en l’absence de tout débat public, et grâce au gonflement organisé des dettes souveraines, la “règle d’or” qui institue la suppression définitive de la souveraineté des peuples, l’enterrement de toute démocratie dans l’UE. Or, de nos deux vedettes, le candidat sortant est à l’origine des deux traités, et son challenger a choisi l’abstention sur le premier et ne s’engage pas à s’opposer au second après les élections…
Si le prochain président est un de ces deux-là, la France est donc condamnée, sans jugement, sans débat, après la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, à une misère noire et que rien ne justifie, sous prétexte que c’est pour rembourser une dette…dont on ne discute pas.
Le parti politique majoritaire semble celui des abstentions, estimé, début avril, à un nombre record de 32 %. Notre ami Benjamin montre clairement plus loin que cette attitude peut avoir un sens politique très profond et fort défendable. Il est donc vraisemblable que le parti des abstentionnistes recrute surtout parmi ceux qui rejettent totalement le simulacre de démocratie qui consiste à n’avoir à choisir qu’une alternance apparente, cachant une même vision désastreuse de l’Europe imposée par la finance, alors qu’ils veulent une véritable alternative, pour pouvoir créer une autre Europe, définie cette fois par les peuples qui la composent, retrouvant ainsi leur souveraineté.
Cette majorité n’est pas silencieuse, même si les grands médias n’évoquent que quelques manifestations, quand elles se produisent sur des lieux publics, et semblent ignorer l’immense mouvement de protestation qui, pourtant, ne cesse de s’amplifier. Il faut donc ouvrir internet pour s’apercevoir qu’une multitude d’associations se créent, se développent, organisent des réunions de réflexion et des débats publics. Ces “collectifs” dénoncent l’absurde obligation de croissance et de rentabilité, les rôles néfastes de la finance sur l’économie, l’appropriation des biens communs, le gaspillage des ressources humaines et des réserves naturelles qu’engendre la quête de profit, etc, bref sur tout ce que nous dénonçons depuis plusieurs dizaines d’années. Sous une forme ou sous une autre, les propositions que nous faisions y sont reprises, par exemple celle d’un revenu garanti suffisant indépendant de l’emploi exercé, celle d’une monnaie non capitaliste, l‘idée que la coopération est préférable à la compétition, etc… Dans de nombreuses villes de France, et dans la banlieue parisienne, à Antony par exemple, des citoyens ont organisé, parce que les responsables politiques ne le font pas, un “audit” de la dette, pour débattre quelle part de la dette est légitime (pour investir, préparer un avenir meilleur), et quelle autre est “odieuse” et n’a donc pas à être remboursée par les populations.
Parallèlement à ces réflexions se développe une économie sociale et solidaire, bien plus proche de l’économie distributive que du capitalisme. Je sens personnellement qu’une page se tourne en constatant que des associations qui m’avaient autrefois écoutée en souriant quand je leur parlais de ce qui leur semblait une utopie irréalisable, me demandent de revenir, et non pas pour seulement évoquer vaguement une économie distributive, mais pour en discuter sérieusement.
Et ce n’est pas qu’en France que ce mouvement de masse se développe, c’est partout, même en Allemagne. Ainsi par exemple, le 31 mars dernier était organisée « la journée européenne d’action contre le capitalisme » : 10.000 personnes se sont rassemblées à Milan, 6.000 à Francfort, où les manifestants ont tenté de bloquer l’entrée de l’édifice de la Banque Centrale Européenne (la BCE), ce qui a déclenché une forte répression policière : plus de 450 personnes ont été arrêtées, et 130 blessées.
Il a fallu du temps aux populations d’Europe pour découvrir quelles conséquences préparaient pour elles les traités signés sans elles. Certains ont peut-être attendu d’apprendre que des Grecs n’ont d’autre ressource pour survivre que se faire infecter par le sida pour toucher une indemnité…
Mais maintenant, c’est un énorme mouvement de révolte qui se lève contre cette politique d’asservissement des peuples à la finance. Cette révolte peut conduire soit à une révolution sanglante, sans précédent à cette échelle, soit à une insurrection civique, si l’alternative est encore possible. Le choix est donc bien, comme l’avait prévu André Gorz (voir l’encadré ci-dessous) « entre une sortie barbare ou une sortie civilisée du capitalisme »…
La “sortie barbare”, par la violence, personne ne peut dire à quoi elle peut conduire, mais elle semble inévitable si la “sortie civilisée” n’a pas lieu. Les “non violents” que nous sommes sont donc enclins à essayer la sortie par les urnes, en faisant confiance au seul parti de gauche qui semble crédible parce que, précisément, il se propose d’agir pour que s’arrête l’escalade de ces traités scélérats au niveau européen.
Dans Nous on peut ! le livre de Jacques Généreux, que nous avons déjà signalé, l’économiste du parti de gauche, après avoir expliqué que ce n’est pas l’euro qui engendre la crise, mais bien le capitalisme et les politiques qui l’ont institué, montre qu’il ne faut pas compter sur une renégociation des traités, mais que, si on en a la volonté, il est possible d’agir dans le cadre légal, en invoquer le Compromis de Luxembourg pour exiger une clause d’exception et s’affranchir du traité de Lisbonne. Il s’agit donc de rétablir légalement la souveraineté nationale sans se replier dans le nationalisme et le protectionnisme, c’est-à-dire sans mettre fin à l’Union Européenne, mais au contraire pour travailler à sa refondation, sociale et démocratique, avec les autres peuples. Alors il devient possible d’imaginer autre chose que l’austérité.
On peut espérer que la politique française soit au service de la population, avec un programme qui s’exprime en deux mots éloquents : l’humain d’abord ! Et c’est celui du Front de Gauche, analysé plus loin par Guy Evrard.
La question qui reste est évidemment de savoir si Jean-Luc Mélenchon tiendra ses promesses, sachant qu’il aura à s’affronter avec le probable nouvel élu, le social-démocrate qui a affirmé que si les électeurs avaient voté non au référendum de 2005 c’est parce qu’ils n’étaient pas capables de comprendre. Outre le caractère volontaire de Mélenchon, qu’il a manifesté en s’opposant déjà, de l’intérieur, à la politique flexible du PS, outre la clarté de ses convictions, les optimistes ont une autre raison de lui faire confiance : c’est le fait que l’un des objectifs qu’il met fermement en avant est sa volonté de mettre fin au pouvoir monarchique du président, sous la Ve République. Le seul fait de son engagement à convoquer une Assemblée constituante pour établir une VIe République et rendre le pouvoir au peuple, vaut de prendre le risque de le soutenir.
Je vois ce vote pour lui comme une dernière chance : celle d’éviter une révolution sanglante en soutenant une insurrection citoyenne.