Au fil des jours
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Publication : décembre 2012
Mise en ligne : 14 mars 2013
Il ne dit pas l’essentiel !
Gros titre en dernière page du supplément Eco@entreprise du Monde du 6/11 : Quand la Suède redressait ses finances publiques. Son auteur, Jean-Marc Daniel [1], met son lecteur tout de suite dans le bain : « Dans ces périodes de débat sur l’opportunité de mener une politique budgétaire restrictive, un retour vers les expériences de redressement des finances publiques s’impose ». Il choisit de décrire la politique mise en œuvre en Suède au début des années 1990. Gouverné sans discontinuité de 1932 à 1976, puis de 1982 à 1991, par les sociaux-démocrates, le pays, célèbre par son modèle social basé sur une gestion keynésienne de l’économie et un État-providence généreux, traverse au début des années 90 une grave crise économique. Il perd les élections de 1991. Le gouvernement de centre droit qui arrive au pouvoir commande un audit sur la situation économique dont les résultats sont « accablants » : fort accroissement du nombre des fonctionnaires, poids des dépenses publiques et montant des prélèvements obligatoires, représentant respectivement 61% et 57% du PIB. Le rapport d’audit se conclut bien sûr par des propositions de réforme qui vont toutes « dans le sens d’une plus grande liberté économique et d’une plus grande rigueur budgétaire ». Bientôt revenus au pouvoir, les sociaux démocrates reprennent ces propositions et décident de rompre avec l’ancien “modèle suédois”. Ils intègrent même l’UE en 1995 pour s’assurer une plus grande ouverture sur l’extérieur mais, pas fous, refusent d’adopter l’euro comme monnaie. C’est cette dernière décision qui leur a permis de dévaluer quand il le fallait. Mais ça, J-M Daniel n‘en parle pas une seule fois dans sa pleine page du Monde. C’est sans doute inconvenant ! Il préfère s’attarder sur la “réussite” de la politique d’austérité mise en œuvre qui n’a pas pénalisé les entreprises puisque leurs impôts n’ont pas été augmentés et que la baisse du revenu des ménages, due à “la recalibration” de l’État-providence a été compensée par une certaine “desépargne”. Vous devinez la conclusion : « À notre gouvernement de tirer les conclusions souhaitables de ce qui s’est passé dans la Suède dirigée par les sociaux-démocrates ». Il oublie simplement que la France a signé le traité de Maastricht et perdu ainsi sa souveraineté monétaire.
Shadow banking et dark pools
L’ouverture à la concurrence du marché boursier traditionnel a conduit à la multiplication de marchés financiers spécialisés dans l’échange confidentiel d’actions. On les appelle les “bourses de l’ombre” ou “dark pools” [2]. Ce sont des marchés électroniques ultra sophistiqués permettant à un investisseur de vendre ou d’acheter anonymement des actions. Les banques et autres opérateurs de marché, compagnies d’assurance, fonds d’investissement, ont trouvé là une excellente opportunité de se procurer de nouvelles sources de revenus qui échappent au contrôle des autorités financières et qui ne sont pas prises en compte dans le bilan des banques. La Banque centrale européenne envisageait de réglementer ces activités afin d’éviter de futures crises financières de grande ampleur. Trois ans plus tard, rien n’a encore été fait. Fin octobre dernier, à Toronto, Mme Lagarde, directrice générale du FMI, s’est emportée contre le développement du “monde bancaire de l’ombre”, et en novembre le Conseil de Stabilité Financière [3] (CSF) a évalué, pour 2011, à 67.000 milliards de dollars le montant du “shadow banking” échappant à toute régulation (soit 5 à 6 mille milliards de plus qu’en 2010). Selon le rapport du CSF consacré à 25 pays (représentant 90% des actifs financiers mondiaux), ce secteur parallèle représente à lui seul la moitié du montant des actifs totaux des banques. Rapporté au PIB, le montant des actifs des “banques de l’ombre” est de 520% à Hong-Kong, de 490% aux Pays-Bas, de 370% au Royaume-Uni, de 260% à Singapour et de 210% en Suisse. Dans ce secteur secret, en 2011, les États-Unis occupaient la première place avec 23.000 milliards d’actifs, la zone euro la deuxième avec 22.000 milliards et le Royaume-Uni la troisième avec 9.000 milliards [4].
Le 18 novembre, le CSF a présenté ses propositions visant à mieux encadrer ce monde bancaire parallèle, mais ce n’est qu’en septembre 2013 qu’il publiera ses recommandations pour mieux surveiller et réguler les entités systémiques de ce secteur… qui a donc encore de beaux jours devant lui [4].
Toujours le chômage…
Comme si c’était inattendu, Le Monde du 29/11 consacre sa page “L’événement” au chômage en France, avec des titres et sous titres propres à terroriser les populations : Le chômage explose en France, Les statistiques d’octobre sont catastrophiques, La France n’a jamais connu autant de demandeurs d’emploi, toutes catégories confondues… Le corps de l’article n’est guère mieux : « en six mois, près de 240.000 personnes supplémentaires sont venues s’inscrire à Pôle emploi. C’est déjà presque le quart de toute la hausse enregistrée au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy » (ah ! le bon temps…). Comme si le chômage de France était uniquement un phénomène français [4]. Ces braves journalistes ont même le culot de nous proposer l’exemple des pays de l’Europe du Sud qui ont rendu les licenciements plus faciles et moins coûteux [5], mais finissent tout de même par reconnaître qu’en Espagne, la réforme du droit du travail facilitant la “flexibilité” de l’emploi a conduit à l’augmentation des licenciements collectifs (+45%), des suspensions temporaires d’activité (+58%), des départs “volontaires”, suite à des modifications des conditions de travail (184%) ou de mutation (150%)…
[1] De plus en plus “médiatisé”, c’est un grand technocrate : Polytechnique, l’ENSAE, puis administrateur de l’INSEE, direction du Budget,… actuellement professeur à l’ESCP Europe, directeur de la revue Sociétal et membre du conseil d’administration de la Société d’économie politique.
[2] Voir GR1105, janvier 2010
[3] Organisme mis en place par le G20 en avril 2009 dont la mission est d’identifier les vulnérabilités du système financier mondial, de développer et mettre en place des principes en matière de régulation et de supervision dans le domaine de la stabilité financière.
[4] Les Echos, 18/11/2012.
[5] Voir, entre autres, GR 1136, novembre 2012.