Vous avez dit “refondation sociale” ?


par  A. PRIME
Publication : mars 2001
Mise en ligne : 4 décembre 2005

Qui a trouvé cette jolie formule ? Les syndicats ? Non, c’est le Medef. Le projet venant du patronat, mieux valait a priori s’en méfier : il faut toujours chercher à qui profite le crime. La discussion entre les partenaires sociaux durait depuis des mois. L’intransigeance de Seillière et de son bras droit, Denis Kessler [1], a provoqué la grande manifestation du 25 janvier : 300.000 personnes dans les rues des grandes villes.

De quoi s’agit-il ? Précisons tout d’abord que notre but n’est plus de faire un exposé exhaustif du problème des retraites [2], mais de montrer la manoeuvre et le but du Medef.

Premier objectif du patronat : faire sauter la retraite à 60 ans, pour la reporter progressivement à 65, voire 67 ans.

Deuxième objectif : prolonger la durée des cotisations (qui est déjà passée, il y a peu, à 40 ans pour le privé) jusqu’à 42,5 ans, pour atteindre 45 ans en 2023 [3].

Troisième objectif : essayer de démontrer qu’il n’y a pas, pour les retraites complémentaires, d’autre issue que les fonds de pensions. Récemment, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, j’ai entendu un député de droite poser péremptoirement la question au premier ministre.

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En ce qui concerne la retraite à 60 ans, l’argument de base du Medef est qu’il faut tenir compte de l’allongement de la durée de vie. Lionel Jospin a dit son opposition à une modification de l’âge de la retraite :« Le gouvernement reste vigilant, car il n’entend pas que la retraite à 60 ans soit remise en cause... c’est un acquis ». Nicole Notat elle-même, qui avait eu une attitude plutôt ambiguë dans les précédentes discussions, a précisé qu’un « accord ne peut se faire sur la base d’une remise en cause de la retraite à 60 ans ».

Le Medef cite en exemple les autres pays européens et notamment l’Allemagne. Mais lorsqu’on fait remarquer au Baron Seillière que les firmes débauchent [4] massivement à 56/57 ans avec mise en pré-retraite (aux frais de la communauté, bien entendu), il répond évasivement en évoquant la liberté des entreprises !!

S’agissant de la durée des cotisations, les deux compères du Medef se montrent provocateurs et machiavéliques (ou alors, c’est que la droite française, comme au temps de Guy Mollet est restée la plus bête du monde). Le progrès, au sens large, fait que les jeunes entrent dans la vie active, quand ils trouvent du travail, en moyenne à 23 ans. Or 23 + 42,5 ans de cotisations pour avoir une retraite à taux plein = 65,5 ans (et 23 + 45 = 68 ans en 2023). Curieuse adéquation entre progrès technique et progrès social ! Nul ne nie que le déséquilibre qui ira croissant entre le nombre d’actifs et celui des retraités (déséquilibre dû à la fois au progrès technique, à la retraite à 60 ans, à l’augmentation de la durée de vie et au bas taux de fécondité) pose le problème du financement des retraites, mais le Medef avance un scénario catastrophe : 186 milliards de déficit cumulé en 2020. Curieusement l’AGIRC (retraite complémentaire des Cadres) et l’ARRCO (ensemble des salariés) font un calcul diamétralement différent qui aboutit à un solde excédentaire de 198 milliards en 2020... Concluons que ce n’est pas simple et que, d’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts.

Venons-en à l’objectif clef du patronat, fer de lance du néolibéralisme : les fonds de pensions. Nous serions les seuls, dans les pays avancés, à ne pas les adopter pour résoudre le problème des retraites dans la nouvelle configuration du futur. Il est clair que les milliards en jeu font saliver assureurs [5] et banquiers, tout comme les milliards de dépenses de santé : à Davos, les Américains (de quoi se mêlent-ils ?) ont dénoncé le poids de nos charges sociales et plaidé pour les fonds de pensions.

Le gouvernement Jospin défend sa solution : la constitution d’un fonds de retraite alimenté tout d’abord par les cessions des droits UMTS (nouvelle génération de téléphones portables). Signalons qu’en Allemagne, cette opération a rapporté à l’État 300 milliards et en Angleterre plus de 200. Or en France, le gouvernement escomptait 120 milliards, pour 4 opérateurs. Deux, à l’heure où j’écris, se sont récusés. Si bien que pour le moment l’État ne peut compter que sur 60 milliards. Mais cela peut changer. Son but est d’atteindre 1.000 milliards en 2020, date à laquelle on estime que le problème des retraites entrera dans sa phase aiguë. Ces 1.000 milliards généreraient les sommes nécessaires, que les défenseurs des fonds de pensions prétendent seuls pouvoir offrir. Et si la Bourse s’effondrait ?...

L’imposture suprême du patronat c’est, prenant prétexte que les valeurs boursières françaises sont en grande partie aux mains des fonds de pensions anglo-saxons [6], de prétendre que le but des fonds de pensions français serait de les contrebalancer, de s’y substituer. Comme si l’argent n’allait pas se placer dans le monde là où les profits du moment sont les meilleurs !

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Compte tenu de l’ampleur de la manifestation du 25 janvier, approuvée par 78 % des Français, le Medef est devenu moins arrogant. Provisoirement ? Il se dit prêt à reprendre les discussions, se défend d’avoir posé un diktat. Il est vrai que des patrons, non des moindres, tel J-M. Meissier de Vivendi, mais aussi des PME, n’ont guère apprécié l’ultimatum de Seillière demandant que l’ASF qui, avec les cotisations patronales qu’elle recueille, est chargée de financer la retraite complémentaire de 60 à 65 ans, cesse de percevoir les cotisations. Dans ce cas, les salariés qui auraient pris leur retraite à partir du premier avril 2001 auraient vu leur complémentaire amputée de 22% !!

Jospin laisse faire les partenaires sociaux. Mais il prévient :« La refondation sociale, ce n’est pas la déstructuration sociale... Je ne resterai pas spectateur si le blocage actuel perdurait ».

Le problème étant explosif, parions qu’il va plus ou moins être mis en sommeil avant que les grandes élections de 2001 et 2002 ne soient passées. Malgré ses imperfections, voire ses reniements, je souhaite personnellement que la gauche les gagne, car, si la droite revient au pouvoir, elle instituera sans tarder les fonds de pensions, puis cédera sans effort au Medef sur l’allongement de la durée des cotisations, et, conséquemment, sur l’âge de la retraite !


[1ex-gauchiste, élève de DSK à HEC et devenu ensuite son ami.

[2Nous l’avons déja fait : voir le dossier retraites, l’intox dans GR-ED N°989 de juin 1999 (des exemplaires en sont encore disponibles) Notons que depuis, de nouveaux chiffres sont venus conforter notre analyse.

[3La pression de la droite se fait très forte pour dénoncer la différence de durée des cotisations entre les fonctionnaires, 37,5 ans et le privé , 40 ans.

[4à Stéphane Paoli sur France Inter. Précisons : Les banques prévoient 20.000 mises en pré-retraite. Renault, 15 à 20.000 personnes. L’Union des industries chimiques a mis en place le 15 décembre un dispositif de départ à 57 ans pouvant concerner 65.000 personnes d’ici 4 ans. Les préretraites coûtent à l’État 12 milliards et 9 à l’Unedic, selon le Ministère de l’emploi.

[5Rappelons que D. Kessler, N°2 du Medef, est aussi le grand patron de la Fédération française des assurances...

[6Et n’oublions surtout pas à ce sujet que N.Sarkozy a fait voter une loi dispensant les fonds de pension des étrangers de tout impôt sur les dividendes, précisément pour... qu’ils investissent en France. Voir GR-ED N°996 de février 2000.