Un socialisme à visage humain


par  A. PRIME
Publication : novembre 1990
Mise en ligne : 24 août 2005

Un socialisme à visage humain
Texte d’une conférence d’André PRIME au format A5.

1 - LA CRISE DES MARCHES

La grande question que les gens de progrès doivent, me semble-t-il, se poser est la suivante : pourquoi, alors que des progrès techniques de plus en plus performants depuis plus d’un demi-siècle - et singulièrement depuis 15 à 20 ans - ont permis de créer l’abondance des biens au moins dans les pays industrialisés, pourquoi, dis-je, y a t-il de plus en plus de gens qui ont de moins en moins d’argent pour vivre, ou sont réduits au chômage, souvent sans ressources, marginalisés par la société ? Et que dire, au niveau mondial, des pays du tiers monde où chaque année des millions de gens meurent de malnutrition alors que dans les pays riches on détruit ou neutralise de grandes quantités de légumes, fruits, viande, beurre, lait, et que l’État donne des primes pour "geler" des terres productives ?

Pourquoi, pour la première fois à ce niveau, le chômage croît- il considérablement et inexorablement, en même temps qu’augmente la production ? Telle est bien la question fondamentale qui se pose aux sociétés modernes.

Comment en sommes-nous arrivés là ? D’abord quelques mots sur la monnaie. Pendant des siècles et même des millénaires, il y a eu en gros adéquation entre les biens produits et les moyens de les acquérir, étant bien entendu que leur répartition était très inégalitaire.

Cette adéquation s’est maintenue par l’allongement constant des monnaies, les quantités d’or, d’argent ou de bronze à l’état pur étant insuffisantes pour suivre l’augmentation de la production. Et ce, jusqu’à la monnaie papier qu’on a pu "allonger" à volonté.

C’est qu’avec l’apparition du machinisme (1775, la machine à vapeur) qui va se développer de plus en plus dans les deux derniers siècles, les biens produits, devenant de plus en plus considérables, ont nécessité des moyens d’acquisition de plus en plus importants.

La guerre de 14-18 accélère encore les progrès techniques. De plus en plus la machine va remplacer l’homme. Tous les industriels font de même (concurrence oblige, car les machines, in fine, coûtent moins cher que l’homme). Le chômage commence à apparaître. Mais chacun - chacune des nations - ne voit que midi à sa porte. Le drame se noue petit à petit, se créent les causes et les conditions qui vont conduire à un tournant majeur de l’histoire de l’Humanité : la crise des années 30, commencée par le krach boursier de New York, le fameux jeudi noir 24 octobre 1929.

Que s’est-il passé ?

Les industriels, en mécanisant à outrance, ont créé des chômeurs ; puis le chômage a pesé sur les salaires, qui sont devenus de plus en plus insuffisants pour absorber la production ; d’où mévente, faillites, chômage accru et ainsi de suite : la spirale infernale.

La soudaineté de la crise, imprévue parce que sans précédent dans l’histoire de l’humanité, sans garde-fous sociaux, transforma la société d’abondance naissante en enfer : destructions des richesses au nez des nécessiteux, soupe populaire, chômage massif. Les journaux et les films d’époque sont édifiants.

Pour parer aux révolutions menaçantes (Allemagne, Espagne notamment), les démocraties apeurées n’hésitent pas, soit à laisser monter le fascisme, soit même à le susciter, soit à l’aider (Espagne, Éthiopie, Munich). On connaît la suite. Le fascisme, c’était la guerre : guerre civile en Espagne d’abord, puis guerre mondiale déclenchée et conduite par Hitler. L’enfer grandeur nature.

Les chômeurs devinrent des soldats, des travailleurs forcés... ou des morts par dizaines de millions. A son entrée en guerre, l’Amérique, malgré le New Deal de Roosevelt, comptait presque autant de chômeurs qu’en 1930 : le nombre des soldats U.S. ou per- sonnes mobilisées par la guerre correspondait à peu près à leur nombre (entre 13 et 17 millions). Écoutons Eisenhower lui-même, le 3 octobre 1952 : "C’est la guerre et non le New Deal qui a mis fin au chômage... Le fait tout simple est que la seule amélioration obtenue dans notre situation économique depuis 20 ans ne s’est manifestée que dans les cinq années qui ont suivi la dernière guerre". Le jugement est sans ambiguïté, surtout exprimé par un futur président des Etats-Unis.

1945 : La fin de la guerre. L’Europe est à reconstruire. L’Amérique, qui a développé de formidables moyens de production tous azimuts, lance en 1948 le Plan Marshall adopté par 16 pays. Mais, compensation de taille à cette aide : le 29 juillet 1944, les ac- cords de Bretton Woods avaient fait du dollar le roi des échanges monétaires, supplantant la Livre et presque à l’égal du dieu OR.

On ignore souvent que les Etats-Unis après la guerre ont failli - compte-tenu de leurs nouvelles capacités de production et de la démobilisation - connaître une crise aussi forte qu’en 1930. Un exemple éloquent : alors que quelques milliers d’avions suffisent pour les besoins civils, l’Amérique avait produit pendant la guerre, c’est-à-dire en moins de cinq ans, 297.000 avions.

Alors qu’une nouvelle crise de "surproduction" menaçait les Etats-Unis, Staline, en poussant stupidement la Corée du Nord à envahir le Sud, donna le prétexte à une remobilisation militaire qui n’a plus cessé et atteignit son point culminant dans la guerre du Viet-Nam. Sait-on qu’à la fin de la guerre du Viet-Nam, il tombait chaque jour, sur ce malheureux petit pays, plus de bombes que sur tous les théâtres d’opération européens en 1944-45 ?

Les Etats-Unis étaient sauvés de la crise. En Europe, et ailleurs bien sûr, ce fut la reconstruction, suivie du développement prodigieux de la société de consommation : les fameuses "30 glorieuses".

Et, dès 1973 avec la première crise pétrolière, à nouveau "La Crise".

D’abord les 30 glorieuses. Après les années de reconstruction, c’est l’explosion des nouveaux produits, au sens large : logements, voitures, ménages, loisirs. La société de consommation bat son plein ; peu de chômeurs, un pouvoir d’achat en constante expansion, pour deux raisons principales :

  1. Le développement important de la classe des cadres moyens et surtout supérieurs, et des professions libérales.
  2. Pour les salaires moyens et les petits salaires, le double salaire, les femmes employées étant de plus en plus nombreuses ; en schématisant, un salaire pour vivre, un salaire pour les achats à crédit des produits dont nous venons de parler.

Le premier choc pétrolier marque la fin des "30 glorieuses". Certes il catalyse une crise latente, mais plus aucun économiste sérieux - s’il en est - n’ose soutenir que les crises pétrolières ont été la cause déterminante de La Crise.

Contrairement à la crise des années 30, la production ne s’effondre pas : elle passe de 4 à 5% de croissance l’an, à 2%, 1%, 0%, sauf aux Etats-Unis au début de l’ère Reagan où elle chute de 10%. Mais de nombreux progrès techniques fulgurants - même et surtout dirais-je, à cause de la crise (concurrence oblige) - conjugués avec une baisse de 3 à 4% de la croissance de la production, vont jeter sur le pavé des millions de travailleurs, dans les pays industrialisés d’abord et, par contre-coup, dans le tiers monde. En France par exemple, de 400.000 chômeurs en 75-76, on passe à 1.700.000 en 1981, à 2.500.000 en 85-86, malgré le "traitement social" des socialistes (pré-retraites, retraites à 60 ans, TUC, SIVP, etc.). En réalité, trois millions de chômeurs sur 22 millions de travailleurs. Et malgré cela, la production continue à croître, lentement certes ; des pans entiers d’industries traditionnelles disparaissent. Après une décennie morose mais rarement mortelle, les entreprises retrouvent leurs profits antérieurs à la crise, cela sans compter les produits boursiers, et malgré le krach de l’automne 1987.

Dans les milieux économistes un débat est ouvert depuis des années pour savoir si cette fois nous vivons depuis 15 ans une crise ou une profonde mutation économico-sociale.

En 1975, s’agissant du chômage en France - environ 400.000 chômeurs comme nous venons de le voir - Chirac, alors Premier Ministre, affirmait péremptoire :"Nous sommes au creux de la vague". En 1977-78, Giscard disait : "Nous sommes au bout du tunnel, la crise se termine".

Lionel Stoléru, à l’Université d’été de l’UDF, dans les années 80, s’écriait : "La crise est terminée". Il y a quelques années, dans Le Monde, il tentait de persuader les lecteurs qu’il y a deux sortes de crises, les bonnes et les mauvaises. Celle des années 30 était mauvaise : faillites, chômage, misère, guerre... ; par contre, celle que nous vivons est une bonne crise, saine, constructive parce qu’elle n’a pas conduit à l’effondrement de l’économie et qu’elle est en fait la manifestation d’une grande mutation qui oblige à repenser l’économie et la société. Apparemment les millions de chômeurs ne gênent pas M. Stoléru. Jean Boissonnat, il y a plusieurs années écrivait : "Il faut analyser la crise comme une période de transition qui peut durer un quart de siècle".

La crise des années 30 fut, comme J. Duboin le comprit et l’analysa immédiatement, la conséquence de la forte accélération des progrès techniques dans la production des biens, accélération due en panic à la guerre. L’imprévision totale, le manque de garde-fous sociaux fit que l’économie s’effondra brutalement et qu’on entra dans une crise qui ne trouva de "solution" que dans la seconde guerre, mondiale par essence. On peut donc dire qu’il y eut successivement : grande mutation technologique.., puis crise... jusqu’en 1945, jusqu’aux "trente glorieuses".

Comme nous l’avons vu, dans la crise actuelle, les protections sociales ont joué, l’économie ne s’est pas effondrée malgré un taux de chômage - seul point vraiment noir - de 8 à 14% de la population active dans les principaux pays industrialisés. Alors crise ou mutation ? Crise et mutation ?

Comme avant 1929, il se trouve que les 15 années qui ont précédé le déclenchement de la crise ont connu une fantastique avancée technologique. Du jamais vu, bien illustré par le voyage sur la lune (1969), extraordinaire synthèse des progrès de la science. Les robots se multiplient, l’électronique envahit tous les domaines ; dans l’agriculture, l’amélioration des rendements et la mécanisation réduisent les paysans à moins de 7% de la population active (3 à 4% aux Etats-Unis).

On peut donc résumer ainsi la période actuelle : très forte mutation technologique (années 60) ; crise (vers 1975), avec développement important, continu et irréversible du chômage, malgré un traitement social qui masque le nombre réel de chômeurs ; maintien dune croissance faible pendant 12-13 ans, qui débouche depuis 1987/88 sur une croissance de 3 à 4%, voisine de celle des trente glorieuses ; mais au prix d’un effroyable gachis social. La mutation socio-économique accompagnant toute cette période se présente ainsi : elle est technologique, industrielle, culturelle, démographique.

**1.1 Technologique

Nous ne nous étendrons pas sur ce chapitre patent pour tous et évoqué largement ci-dessus. Rappelons simplement que le tertiaire, voire le primaire, sont envahis par la technique au même titre que le secondaire et les trois secteurs component désormais de larges plages de recouvrement technique.

**1.2 Industrielle

Examinons un des aspects les plus intéressants de la mutation industrielle : la restructuration. Certes, nous connaissons depuis longtemps les multinationales. Ce qui se passe depuis le krach boursier de 1987 est nouveau et déterminant pour le futur. Au moment du krach, c’est à qui découvrait que la spéculation boursière, si juteuse depuis 4 à 5 ans, était totalement déconnectée de l’économie réelle, que cette "économie casino" ne pouvait durer. Il apparaît aujourd’hui que nombreux sont ceux qui, brusquement sortis d’un beau rêve, se retrouvent les pieds sur terre. La spéculation boursière seule ? Dangereux. Retour en force à l’industrie, valeur d’avenir. La guerre économique prend tout son sens. C’est ainsi qu’on assiste à un nouveau spectacle : le "casino- industrie" : raids (en anglais raider : bandit). OPA sauvages pour contrôler de vastes secteurs ; on ne parle plus que des "nouveaux Condottieri", des "Chevaliers noirs"...

Quand ce n’est pas par la violence, les regroupements se font par fusions ou rachats.

Ce "retour aux valeurs sérieuses", l’industrie, n’exclut pas bien entendu les activités financières juteuses autant que douteuses, quelquefois combinées, liées aux OPA sauvages. Ainsi, dans la bataille qui a opposé il y a quelques années l’Anglais Grand Metropolitan au Canadien Seagram pour le contrôle de Firino- Mai-telI, de surenchère en surenchère, l’action est montée à 3.475 F. Quand Grand Metropolitan a renoncé, il a tout de même vendu les 20% qu’il possédait en encaissant la bagatelle de 400 millions ; cela sans aucune production de richesses. Notons que ce sont ces mêmes individus, ou leurs commis gouvernementaux, qui prêcheront une politique d’austérité pour les travailleurs.

De plus en plus, les OPA se font au niveau planétaire. Mais la coïncidence krach boursier 1987-Europe de 1992 fait que les regroupements ou OPA sont nombreux en vue de cet objectif : Européens, Japonais. Américains sont présents.

Autre aspect important de la mutation industrielle : la délocalisation de la production. Elle accentue la "crise" (chômage...) dans les pays riches, qui transfèrent leur production industrielle dans les pays à bas salaires (de 5 à 10 fois moins élevés).

Phénomène nouveau : les usines sont ultramodernes. possèdent toutes les avancées industrielles de nos pays. En effet, la plupart du temps, elles sont montées par des Japonais, des Américains (Corée du Sud, Taiwan, Singapour) et des Européens. La qualité des produits ne diffère pas de celle des nôtres.

Et dans cette stratégie, les Japonais sont passés maîtres : dès qu’ils ont vu - notamment après la forte appréciation obligée du yen - les dangers courus pour leurs produits "made in Japan", ils ont immédiatement (en moins de deux ans) délocalisé leurs usines vers des pays voisins à bas salaires. Ainsi des téléviseurs, dont plusieurs millions sont déjà fabriqués dans ces conditions.

Mais les pays européens - et la France n’est pas la dernière - font également, et de plus en plus, fabriquer dans les pays pauvres. Et nos "bons apôtres", qui n’hésitent pas à importer du chômage en France, sont les premiers, par la voix du CNPF, la presse et autres médias, à dénoncer le gouvernement - surtout s’il est socialiste - comme incapable d’empêcher la montée du chômage, les grèves, les trous de la sécu... Tout leur est permis ils ont le pouvoir réel, l’économie et les moyens "d’information", souvent utilisés pour désinformer.

Peut-on éviter l’évolution d’une telle mutation, je veux dire la délocalisation de productions vers les pays à bas salaires ? A mon avis, non. Il faudra des décennies pour que les nouveaux pays industriels connaissent une augmentation des salaires et des charges qui les mette à égalité avec nous. Et cela serait-il, que de nouveaux pays pauvres prendraient le relais.

Nous avons l’argent, les pays pauvres auront le travail. C’est leur revanche. C’est une nouvelle donne qui peut un jour transformer la mutation en crise aiguë, aussi bien au coeur des pays riches qu’au niveau Nord-Sud.

**1.3 Culturelle

Les fabuleux marchés de l’information qui s’ouvrent tous azimuts et ne font que balbutier excitent également les appétits. Cette information aura des répercussions au niveau mondial et, "orientée", elle peut être désastreuse pour toutes les cultures. Prenons le cas des séries télé et de nombreux films américains : amortis avec 250 millions d’habitants, ils sont revendus à bas prix dais tous les pays, trop heureux de meubler leurs programmes à bon marché. Résultat : des cultures aussi différentes que celles de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, de l’Europe, de l’Asie se trouvent "américanisées". Coca-cola de l’esprit, violence en plus. Très grave, surtout pour les jeunes générations : c’est le super-marché de la médiocrité.

**1.4 Démographique

Ce n’est pas la moins inquiétante. Avec l’évolution des mentalités sur la sexualité et la contraception, les pays industrialisés ont réduit considérablement leur développement démographique : disons même qu’à l’heure actuelle, il ne se fait que par l’augmentation de la longévité. Le taux de reproduction est au mieux de 2 ; en Allemagne, 1,3, le plus bas. Le chômage qui s’aggrave développe également le réflexe : "A quoi bon faire des enfants ? Pour qu’ils soient chômeurs ?". Par contre, les pays pauvres en sont souvent - hygiène, religion, contraception - à l’âge de nos aïeux ; d’où des familles de 6, de 12, de 18 enfants. Et comme à ce jour, ils représentent déjà plus de 2/3 de l’humanité, on voit la direction - et à terme l’importance historique - de la mutation démographique.

Voilà : je crois que nous avons fait à peu près le tour de ce que l’on peut appeler la crise des marchés, engendrée par les contradictions intrinsèques du capitalisme.

2 - L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE

Face à cette situation, nous proposons une solution qui, appliquée radicalement, résoudrait l’ensemble de ces problèmes ; du moins, c’est notre opinion. Notre but est de permettre un large débat, même et surtout contradictoire, la dialectique étant toujours source d’enrichissement, d’approfondissement.

D’abord, un historique rapide.

Très vite J. Duboin analyse les causes de la crise des années 30 et formule la solution : l’Economie Distributive de l’abondance. Et ce, en publiant dès 1932 "La grande relève des hommes par la machine" et, en 1934, "La révolution qui vient" et "Ce qu’on appelle la crise".

J. Duboin est né à Saint-Julien-en-Genevois en 1878, d’un père avocat. Après deux ans à Londres, il passe à Grenoble son baccalauréat. Il commence son droit à Lyon et le termine à Paris. Il est en plus diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce. Il s’oriente vers une carrière diplomatique et est envoyé comme attaché commercial au consulat de France à New-York.

Réformé, il s’engage, à la guerre de 14-18, dès le 2 août 14, monte à Verdun, est blessé. Il devient capitaine. Il termine la guerre, après un passage au Quartier Général à Chantilly, aux côtés du général Estienne, le père des chars.

Le 14 mars 1922, il prononce son premier discours à la Chambre des députés où il a été élu pour représenter la Haute Savoie.

En 1925, il publie "Réflexions d’un Français moyen" où il analyse l’inflation, les progrès techniques.

Le livre attire l’attention du Président du Conseil A. Briand qui lui offre, aux côtés de Caillaux, le poste de sous-secrétaire d’Etat au Trésor. Il est donc aux premières loges pour observer la situation. Il approfondit son analyse.

En 1931, il publie "Nous faisons fausse route", puis, comme je l’ai dit, c’est en 32 et 34... le grand départ sur le route de l’Economie Distributive de l’abondance.

J. Duboin a fondé "La Grande Relève des Hommes par la Science", publié plus de 15 ouvrages, d’innombrables articles, tenu de grandes réunions publiques. Il meurt en 1976 dans sa 98ème année. Sa fille, M.L. Duboin, Docteur ès sciences, continue son oeuvre en même temps qu’elle enseigne à l’Université et poursuit ses travaux de recherches au CNET.

Qu’est-ce que l’Economie Distributive ? D’une façon très simple, récemment, une petite fille de 11 ans résumait -en la découvrant à sa façon - l’Economie Disli-ibutive. Nous, les grands, les "sages", discutions économie, chômage, politique, sans que nous parlions d’Economie Distributive. Tout à coup, Joanna, la petite fille qui nous écoutait dit : "Moi, je verrais bien un monde où on n’aurait pas d’argent, et où on se servirait de tout ce dont on a besoin ; évidemment, pour ça, tout le monde devrait travailler".

C’est un assez bon résumé de notre conception, de notre objectif, mais c’est évidemment un peu court. Permettez-moi la lecture rapide de quelques passages de la brochure de ML. Duboin, rédigée en 1985, "L’économie libérée". On ne peut faire plus per- cutant.

Pendant des centaines de millénaires, la seule énergie dont dispose l’homme est celle de sa propre force physique qu’on estime de l’ordre de 75 watts.

Une première étape sera franchie grâce à l’invention du collier qui permet à l’homme de domestiquer le cheval. Vint ensuite, vers l’an - 200, l’invention de la roue à eau, en Grèce. Ce n’est que mille ans plus tard que l’homme construit le premier moulin à vent.

Il fallut encore un millénaire pour qu’une autre étape décisive soit franchie avec l’invention de la machine à vapeur.

L’accélération du progrès technique devient alors plus sensible, et l’ère des grandes découvertes s’amorce.

Il n’y a que cent douze ans que Gramme construisit sa première machine électrique, cent cinq ans qu’Edison inventa la première ampoule électrique. Il fut d’ailleurs traité de fhu quand il prétendit faire de la lumière dans une bouteille !

Utopie d’hier, réalité d’aujourd’hui !

Avec la découverte de l’électricité, le progrès technique connait une accélération jusqu’alors impensable.

En moins d’un siècle la puissance mise ainsi à la disposition de chaque homme a doublé en 1875.

Mais cette accélération n’est rien auprès de celle des décennies suivantes. Au début du XXème siècle, la puissance disponible a encore doublé. En 1914, elle est multipliée par 8. Elle l’est par 80 au cours des trente années suivantes.

En 1979, c’est d’une puissance multipliée par 460 que chaque habitant du Luxembourg a disposé !

Pour mieux comprendre, changeons l’échelle des temps et ramenons toute l’histoire à une durée dont nous avons tous la notion, une année, l’année 1985 par exemple. Prenons ces douze mois pour représenter toute la vie de nos ancêtres depuis l’âge de la pierre taillée jusqu’à nos jours, laissant donc de côté la préhistoire, qui, à cette échelle, serait représentée par plus de 26 ans. L’histoire commençant le 1er janvier, c’est vers le 11 octobre que débute l’âge de cuivre, c’est le 5 décembre qu’un Grec construit la première roue à eau, c’est le matin du 16 décembre que fut fabriqué le premier moulin à vent. Quand Louis XVI monte sur le trône de Prance, le 29 décembre à 11 heures, il ne dispose pas de plus de moyens mécaniques que les Pharaons n’en avaient au mois de novembre Mais c’est ce même 29 décembre que Watt met au point sa machine ; Lebon découvre le gaz d’éclairage quelques heures après, tandis que Fulton fait marcher le premier bateau à vapeur et que Dallerry invente l’hélice. Le lendemain matin roulent les premiers chemins de fer, le télégraphe fonctionne, le premier câble sous-marin est posé entre Calais et Douvre. Le soir de ce même jour Gramme et Edison nous apportent "la fée électricité". Et avant que s’achève ce 30 décembre, Clément Ader réussit un premier bond de 50 mètres aux commandes d’un avion à moteur.

Alors commence le tout dernier jour de l’année. A 2 heures du matin, Blériot réussit la première traversée de la Manche, puis à 7 heures, Lindbergh relie New York à Paris, au moment où Goddard lance la première fusée à propergol : elle atteint 30 mètres d’altitude ! A l’heure du déjeuner, la radio annonce le premier vol supersonique, puis vers 15 heures les premiers transports par avions à réaction. A 16 heures, une nouvelle stupéfie le monde : les Russes ont réussi à lancer le premier satellite artificiel, Spoutnik tourne autour de la Terre ! Une heure après, un homme est dans l’espace ! Et ce 31 décembre, quatre heures environ avant la fin de l’année, un homme a marché sur la lune...

Il a fallu à peu près toute l’année à l’homme pour parvenir à mettre à son service un premier esclave mécanique, un seul jour pour s’en attribuer huit. Neuf heures après, chaque Français en disposait de 80. Dix heures plus tard, c’est une équipe de près de 380 esclaves que chaque Canadien utilisait, le monde entier disposant de 260 milliards d’esclaves mécaniques.

C’est donc bien une explosion que nous sommes en train de vivre. D’autant que cette multiplication foudroyante du nombre d’esclaves mécaniques s’accompagne depuis peu de l’ouverture brutale d’un champ nouveau de possibilités, dont nous ne sommes même pas en mesure de prévoir tous les effets. Presque tout au long de cette année 1985 qui nous sert de référence, un homme, fut-il le plus grand savant désireux de faire accomplir un progrès à la science, ne dispose que de son cerveau pour faire ses calculs. Il doit compter sur ses doigts ou utiliser un boulier pendant des mois et des mois, car la première règle à calcul a été fabriquée le 27 décembre à 6 heures du soir. Deux heures après, Pascal invente une machine qui ne fait encore que les additions et les soustractions. Le surlendemain, le 29 décembre à 9h40, apparaît la première machine capable de faire les 4 opérations élémentaires. 24 heures après, Boole invente le calcul binaire, et ce n’est que le lendemain, donc encore au cours de ce fameux 31 décembre, que les choses se précipitent : on annonce la mise en route à Harvard, à 12h30, du premier calculateur automatique, Mark I. Une heure après, le transistor est industrialisé et permet la naissance, à 16 heures, des ordinateurs de la seconde génération. A 17h50, IBM lance la troisième génération, avec ses ordinateurs à circuits intégrés. Et c’est encore au bulletin d’information du soir, peu après 20 heures, qu’on annonce la généralisation de la mémoire virtuelle. Dans les quatre dernières heures qui restent avant la fin de l’année, les micro- processeurs envahissent tous les domaines. Et leur prix chutant en flèche, on peut prévoir avec quelle rapidité ils vont se développer : disposant de 100 francs, nous pouvons, en ce moment même, à minuit, engager quelques dix "esclaves calculateurs" ; avec la même somme, nous pourrons, dans l’heure qui vient, en engager 100, si bien que dans trois heures, bien avant le fin de la nuit, 100.000 milliards d’esclaves intellectuels seront au service des habitants de la Terre... Et il n’y a pas de commune mesure entre cette assistance et celle que les esclaves mécaniques apportaient au travail musculaire de l’homme !

Dans tous les domaines, on retrouve cette même accélération prodigieuse. Mais il en est un dans lequel cette accélération est d’autant plus terrifiante que les moyens les plus modernes s’y sont toujours implantés en priorité. Il s’agit de celui des armements : la puissance que transporte maintenant un seul bombardier armé d’une bombe dont la puissance est équivalente à celle de 100.000 tonnes de T.N.T., est celle que transportaient 20.000 bombardiers quand explosa, à midi, la première bombe atomique. Et à 23 heures, les Etats-Unis disposaient sous la seule forme de têtes nucléaires stratégiques, de 70.000 fois plus ! »

Et voilà que ces progrès, qui auraient dû nous conduire au seuil de l’éden se révèlent catastrophiques sur le plan social et économique, la pensée, la réflexion n’ayant pas suivi dans ce domaine : au lieu du bonheur pour tous, le chômage galopant. M.L. Duboin résume : « Un rapport d’enquête effectué en Allemagne Fédérale est éloquent sur cette tendance : un investissement de 100 milliards de DM., fait entre 1955 et 1960, créait 2 millions d’emplois ; fait entre 1960 et 1965, il créait plus de 400.000 emplois ; le même investissement entre 1965 et 1970 supprimait 100.000 emplois ; entre 1970 et 1975, il se traduisait par la suppression de 500.000 emplois... Le jour où ce sont les robots qui travaillent, nous nous retrouvons privés de revenus et nous ne pouvons pas acheter ce que produisent nos esclaves ».

C’est ce que confirme Michel Albert dans son ouvrage "Le pari français". Il pose une équation simple :

 P désigne la production en volume
 p la productivité horaire
 T le temps de travail pour produire P

En économie de marché, du fait de la concurrence - nationale et internationale - p, même et surtout en période de crise, est condamné à croître. Si l’accroissement de P est faible ou nul (ce qui a été le cas pendant des années et risque de revenir), T diminue obli- gatoirement.

Avec quelles conséquences ? Si le temps de travail disponible n’est pas partagé, forcément une aggravation du chômage. Le syllogisme est si parfait de simplicité qu’on a envie d’écrire C.Q.F.D.

De ces constatations, à notre humble avis irréfutables, voilà les solutions qui découlent et qui représentent les propositions de base de l’Économie Distributive :

1) La production. Une production maximale utile. Donc, entre aunts, plus de production de guerre : 1 char = 20 tracteurs. Adéquation permanente de la production et du pouvoir d’achat - pouvoir d’acheter - distribué pour absorber cette production.

2) Pour cela, un revenu social maximum - in fine peut être égal pour tous... par le haut bien sûr, mais certainement pas pendant une phase transitoire sans doute assez longue, pour maintenir les motivations que vous imaginez ce revenu croîtrait au fur et à mesure que croîtrait la production : dès lors jamais de surproduction, de mévente.
Ce revenu serait octroyé sur la base d’une monnaie fondante, c’est-à-dire périmée au fur et à mesure qu’elle aurait servi à acheter un produit. Elle serait en quelque sorte "millésimée", puisque renouvelée chaque année. Son utilisation serait, sur le plan technique, hautement facilitée par les cartes à puce. Avec cette monnaie distribuée et fondante, les impôts disparaissent puisque c’est l’Etat qui ’distribue" tout l’argent nécessaire à l’acquisition des biens produits. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de redistribution de prélèvements obligatoires comme dans le régime actuel, mais de distribution d’une monnaie constamment renouvelée. Tout le monde, de sa naissance à sa mon reçoit ce revenu social, dont le montant bien sûr est modulé avec l’âge. Ce droit correspond au droit acquis par tous les hommes, tous héritiers des progrès réalisés par les générations précédentes.

3) Bien entendu, cet octroi s’accompagne d’un service social (voir Joanna qui, à li ans, a compris et admis que tout le monde doit participer à la création de tous ces biens, en un mot travailler). Travailler.., mais le travail sera de moins en moins long. La semaine de 4 jours est déjà à portée de la main, même en régime capitaliste (voir, en Allemagne, l’I.G. Metal, puissant syndicat de la métallurgie : il a signé avec le patronat en mai 1990 un accord pour passer de la semaine de 37h50 -déjà- à 36 h en 1993 et 35 h en 1995 sans diminution de salaires, au contraire : 6% d’augmentation au 1er juillet 1990).

A l’horizon 15/20 ans, on peut espérer 20h par semaine (objectif-capitaliste-japonais avec les robots : 25 heures à la fin du siècle). Et ce, d’autant plus facilement si on supprime toutes les productions inutiles et surtout nuisibles (guerre, pub, etc.). En fait, tout cela n’est que le prolongement de la tendance amorcée depuis le début du siècle, et notamment depuis les congés payés.

Depuis le début du siècle, le temps de travail sur une vie a été divisé par deux et les biens produits multipliés par quatre. C’est ce qu’il faut bien réaliser.

Donc, ce que nous proposons, en parfaite adéquation avec les possibilités techniques de notre temps, c’est l’ère de l’épanouissement de l’Homme : éducation, temps libre, loisirs de qualité [1].

Même si 80% des travaux sont peu qualifiants, ce n’est pas grave, car à l’avenir, c’est surtout dans le temps libre que la plupart des hommes pourront se réaliser et non dans le travail. Même si son travail social est quelconque (c’est déjà le cas actuellement pour la plupart des métiers), l’homme, en tant qu’individu libéré aura alors acquis la citoyenneté intégrale. Tout le monde a pu le constater : lorsque les besoins matériels de l’homme sont satisfaits, il éprouve un besoin non moins impérieux, le besoin de savoir.

3 - QUELLES SONT LES CHANCES D’INSTAURER L’ÉCONOMIE DISTRIBUTIVE ?

Ces objectifs m’amènent tout naturellement à la troisième partie de mon exposé. Mais me direz-vous, - et je concède que ce n’est pas le point le moins important -, quelles sont les chances d’instaurer l’Economie Distributive, base de cette société idyllique que vous décrivez ? Est-ce possible dans les pays riches ? Et le tiers monde ? Et les forces qui s’y opposeront ? Bonnes questions. Nous voulons être réalistes : on nous traite si facilement d’utopistes. Or, faisons nous remarquer, l’histoire montre que très souvent les utopistes d’hier ne sont que les précurseurs de demain : pour nous les utopistes sont au contraire ceux qui croient qu’une société aussi injuste et irrationnelle que celle que nous connaissons doit et peut durer éternellement, même à l’ère des robots.

Utopique, l’Economie Distributive ? Il y a certainement une moins grande distance entre la situation socio-économique du monde actuel et une société où tous les hommes pourraient enfin vivre dignement et s’épanouir, qu’entre la parution de l’ouvrage de J. Veme "De la Terre à la Lune" il y a plus d’un siècle et le 24 juillet 1969, jour où le premier homme, Neil Armstrong, posa le pied sur le sol lunaire.

Certes les esprits dans leur ensemble ne sont pas prêts pour ce grand bond en avant. Comme le disait si bien Einstein - et il parlait en connaissance de cause - : "il est plus facile de désintégrer l’atome que de changer la façon de penser des hommes".

Mais rien à terme - et même si c’est à assez long terme - ne peut arrêter la marche du progrès humain (sauf destruction atomique ou chimique de notre planète) ; depuis que nos lointains ancêtres se sont dressés dans les savanes pour échapper au danger, la marche en avant pour plus de bien-être s’est poursuivie inexorablement malgré les cataclysmes, les guerres, les épidémies, les révolutions perdues. Pourquoi s’arrêterait-elle aujourd’hui ? Parce qu’au bout de 15 ans (ou plus dun demi siècle si on remonte à la crise des années 30), l’homme n’a pas encore su résoudre la grande crise- mutation due aux développements des techniques, foudroyants surtout depuis un petit siècle seulement’ ?

Qu’est-ce que cela au regard du temps ? Cela prendra 10, 5, 20 ans, peut-être plus, mais soyons assurés que la marche dialectique de l’humanité va continuer avec souvent un pas en avant, un pas en arrière, et même parfois un pas en avant, deux pas en arrière.

Il est donc sage d’examiner la situation pour ne rêver que du possible dans l’espace et le temps : car les résistances à vaincre, naturelles ou organisées, sont colossales.

On peut, en effet, poser beaucoup de questions :

• L’Économie Distributive peut-elle être instaurée dans un seul pays ? ou au niveau Européen ?

 L’échec général pour bâtir le socialisme dans les pays communistes ne prouve-t-il pas que, même en détenant tous les moyens de décision, dans tous les domaines, il est difficile sinon impossible de changer le monde dans le sens d’un progrès décisif ?

 Les milliards d’habitants du tiers monde, qui représentent les 2/3 sinon les 3/4 de l’humanité et qui vivent souvent dans un état de dénuement extrême, qui connaissent une démographie galopante, ne rendent-ils pas utopique l’espoir de créer l’abondance pour tous ?

 Les capitalistes enfin ne sont-ils pas déterminés à tout -guerre y compris comme en 40 -pour défendre leurs privilèges et intérêts ? Voir tous les conflits armés qui, depuis 1945, ont fait plus de 20 millions de morts, la crise du Golfe, etc.

Tout cela revient à poser la question fondamentale : peut-on espérer une sortie de la crise-mutation actuelle à gauche, ou craindre une sortie à droite ? (J’emploie sortie à gauche et sortie à droite par simplification).

Commençons par l’examen de la sortie à droite qui semble actuellement la plus engagée, sinon la plus assurée.

Le capitalisme est loin d’être moribond. Le krach boursier de 1987 a été une alerte sérieuse, et cependant les bénéfices des sociétés n’ont jamais été aussi brillants qu’en 1987, 1988 et 1989.

Pratiquement sans augmentation de CA, de nombreuses firmes engrangent des augmentations de profit fabuleuses sans commune mesure avec l’augmentation de leur chiffre d’affaires. Des pays accumulent d’énormes réserves (RFA, Japon, Taiwan, Corée du Sud).

Certains ont un peu tendance à prendre leurs désirs pour la réalité et donnent un peu trop tôt l’extrême-onction au capitalisme.

Mon opinion est qu’une "sortie à droite" de la crise-mutation actuelle, loin d’être exclue, apparaît comme la plus plausible dans l’immédiat. Cette constatation relève de l’objectivité, non du pessimisme. Malgré la lenteur de l’évolution, je pense que J. Duboin avait - oh combien - raison d’écrire en 1955 dans "Les yeux ouverts" : "Tachons de comprendre que nous vivons une des plus exaltantes époques de l’Histoire".

En ce qui concerne le tiers monde et les dangers que représentent l’explosion démographique et l’augmentation de la misère (on estime à 20 millions par an les morts par malnutrition), les pays capitalistes, et singulièrement les Etats-Unis, veillent au grain. Essentiellement avec des "aides militaires" qui sont en fait des aides à des forces de police élargie (l’armée) pour prévenir ou mater les rebellions, baptisées généralement communistes pour les besoins de la cause.

Don Camara disait lucidement : "Quand je soulage la misère des pauvres, on dit que je suis un saint ; quand j’essaie d’en expliquer les causes, on dit que je suis communiste".

Les ventes d’armes aux pays du tiers monde et leurs budgets militaires sont un solide bouclier contre toute velléité de révolte. En 1986, les ventes d’armes au tiers monde ont augmenté de 38% pour atteindre 35 milliards de dollars, chiffre officiel évidemment sous- estimé si l’on se réfère aux scandales des trafics d’armes.., non chiffrés bien entendu. Ces chiffres sont à comparer aux 45 milliards de dollars que les PVD ont déboursés pour payer les intérêts de leur dette extérieure et aux 35 milliards de l’aide des pays de l’OCDE. Le Pakistan consacre 1,1% de son budget à la santé (espérance de vie = 51 ans), mais 30 fois plus pour son armée. Les pays riches fournissent au tiers monde 50 fois plus d’aide militaire que d’aide alimentaire.

Les gouvernements des pays pauvres ont donc des armées- police chargées de défendre les intérêts des privilèges exorbitants des possédants - autochtones ou étrangers - et de mater la rébellion des pauvres.

L’Économie Distributive n’y est donc sans doute pas pour demain.

En ce qui concerne les pays dits socialistes, la "glasnost’ a clairement montré qu’après 70 ans de pleins pouvoirs "révolutionnaires, on n’a pas réussi à motiver suffisamment les travailleurs et les directeurs de production pour qu’ils fabriquent bien, de façon organisée et créent ces paradis qui auraient été un modèle aux yeux du monde et auraient par là même, ipso facto, ébranlé le monde capitaliste. Et pourtant, certains pays comme la Chine, que j’ai visitée, ont fait des efforts colossaux. Dans les pays de l’Est, la "pérestroïka" (restructuration) a conduit à l’économie marchande. C’est pourquoi on entend dire couramment, qu’alors que le socialisme devait "sortir" du capitalisme, c’est le contraire qui s’est produit. Et Fukuyama, obscur conseiller américain, a fait un tabac en écrivant que le monde était désormais "fini" ... ...sur le modèle du libéralisme. Les pays socialistes ne sont pas le tiers monde. Mais à quand l’abondance et son économie distributive ?

Sur un plan général enfin, est-ce que les ressources de la planète supporteraient l’abondance pour tous ? Problème angoissant. Je me souviens avoir lu, il y a 20/25 ans, dans "Sciences et Avenir" un article d’Albert Ducrocq qui m’avait beaucoup impressionné. Il imaginait que par une sorte de coup de baguette magique tous les habitants de la planète aient le niveau de vie de la moyenne des pays industrialisés. Partant de là, il passait en revue les principales matières premières et leur consommation. Notons qu’à l’époque la planète ne comptait guère que 3 milliards d’habitants.

Pour le pétrole par exemple : dans l’état du monde actuel, on lui donne au mieux 40 ans de vie. Imaginez ce que cela serait si brusquement tout le monde consommait autant que nous. Sur le plan général de l’énergie, quand on sait que seulement 250 millions d’Américains consomment le quart de l’énergie produite sur la planète, on est pris de vertige. Et les forêts, avec des journaux comme ceux des Etats-Unis ? Et le fer, le cuivre, etc.

Avouez que ces réflexions posent problème. Va-t-on renoncer à l’idée d’Economie Distributive pour autant ? Non.

1° Le développement démographique se ralentit considérablement dès qu’un pays connaît le confort et que la loi autorise la contraception ;

2° L’énergie :

 nucléaire : prédiction il y a 20 ans : 2% à la fin du siècle ? Or, actuellement, 35 à 70% de l’électricité, selon les pays, est fournie par le nucléaire.

 solaire : même raisonnement. Alors, on peut résoudre le problème de l’énergie, même par l’énergie solaire à terme les dangers du nucléaire seraient ainsi conjurés.

3° La nourriture. Très grave problème, non dans les pays riches, mais dans les pays du tiers monde. Il faut que cessent le pillage de ces pays, l’imposition de cultures pour notre plaisir (ex. cacahuètes pour l’apéritif) à la place de leurs cultures vivrières. Et, au lieu de leur vendre nos produits, on ferait mieux d’appliquer le proverbe chinois : "Si je te donne an poisson, tu mangeras une fois ; si je t’apprends à pêcher, tu mangeras tous les jours".

On le voit, de nombreuses forces dans le monde entier tendent à favoriser une sortie à droite de la grande crise-mutation actuelle. A ces forces organisées s’ajoutent de nombreux obstacles naturels qui pourraient renforcer l’idée que l’Economie distributive, surtout au niveau mondial, est utopique. Et pourtant la sortie à gauche sera forcément au bout du chemin, ou le monde s’auto-détruira, brutalement ou lentement.

Le chômage, la misère, la surpopulation du tiers monde, vont créer des tensions telles que les dirigeants devront lâcher du lest, comme cela s’est fait pour les conquêtes sociales des siècles derniers. Les plus belles conquêtes sociales ont été gagnées dans l’opposition et la lutte, plus souvent qu’au pouvoir.

Des "accidents de parcours" imprévus peuvent survenir : Mai 68, le krach boursier, un krach boursier plus profond après une reprise économique. Il n’y a aucune raison suffisante de désespérer dans le combat pour l’épanouissement de l’Homme. Pour cela, les gens de progrès sont bien placés à condition de voir large et grand, et d’être patients. Des yeux de plus en plus nombreux, sous la pression des faits, finiront bien par s’ouvrir, car, comme l’écrivait J. Duboin, précisément dans "Les yeux ouverts" : "Se plaindre de posséder des produits ’excédentaires’ quand il est à la fois des gens dans la misère et d’autres obligés de se croiser les bras, n’est-ce pas une contradiction si énorme qu’elle condamne sans appel notre organisation sociale".

La vraie crise, ce n’est pas la surproduction comme on voudrait nous le faire croire : c’est la sous-consommation pour des gens de plus en plus nombreux. C’est le chômage, la société duale qui s’approfondit, les guerres "exutoires" ou répressives, les destructions ou limitations de richesses.

Il faut faire connaître - quelles que soient nos nuances ou différences - l’autre société, l’alternative : celle d’un monde où la guerre et la faim auraient disparu, celle du temps libre pour tous, d’un revenu maximum pour tous (grâce aux robots), celle enfin d’une vraie culture à a portée de tous, car, comme l’écrivait Malraux : "La culture, c’est ce qui répond à l’Homme quand il se demande ce qu’il fait sur la Terre".


[1« La vie n’est pas le travail : travailler sans arrêt rend fou ». Quel révolutionnaire a dit cela ?... Charles de Gaulle dans "Les chênes qu’on abat". Et qui a dit : « Le temps libre devient la vraie mesure de la richesse » ? Un homme finalement de la même génération que de Gaulle : Karl Marx.


Navigation

Articles de la rubrique