Un constat d’échecs permanents de droite et de gauche
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Publication : avril 2017
Mise en ligne : 8 août 2017
La croissance du chômage n’a fait que s’amplifier, malgré les déclarations fracassantes sur l’emploi proférées par nos hommes politiques. En voici quelques unes, collectées le 26/12/2012 par le journaliste Donald Hebert sur le site nouvelobs.com :
• 1967 : 174.000 chômeurs. « Si un jour on atteint les 500.000 chômeurs en France, ce sera la révolution » (Georges Pompidou). |
• 1994 :
Ces échecs répétés incitent La Grande Relève à rappeler les thèses de l’économie distributive dans une bande dessinée :…
• 1999 : le nombre de chômeurs passe sous la barre des 3 millions, sans doute l’effet des 35 heures. Lionel Jospin se dit « heureux ». |
Mais :
• 2007 : 2,1 millions de chômeurs. « Je veux m’engager, par exemple, sur le plein emploi : 5% de chômeurs à la fin de mon quinquennat ! Et si ce n’est pas le cas ? Je le dis aux Français : c’est un échec, j’ai échoué et c’est aux Français d’en tirer les conséquences » (Nicolas Sarkozy). |
Quarante ans après l’article de P. Buguet qu’est-ce qui a changé ?
Le taux de chômage a atteint 9,7% et il n’est pas près de baisser.
Depuis 2000, un million d’emplois ont été perdus dans le secteur industriel qui n’assure plus que 12% du PIB alors qu’il y contribuait pour 25% dans les années 1960. D’après l’Observatoire Trendeo près de 600 usines ont disparu en France depuis 2009.
La rentabilité du secteur manufacturier a chuté de 70% entre 2000 et 2014, ce qui ne freine pas l’optimisme du président du Cercle de l’industrie, M. Varin, qui proclame que « l’industrie est un levier incomparable de croissance et une arme anti-chômage » et annonce que le numérique est l’occasion pour le pays de recoller au peloton de tête mondial. Selon lui, la nouvelle industrie qui va naître sera faite de petites unités automatisées près des lieux de consommation produisant à la demande des biens personnalisés…
Combien de nouveaux emplois ? — il ne sait pas !
On dit aussi qu’heureusement le secteur des services restera vigoureux… Sauf que les grandes banques commencent à fermer des agences pour développer des relations bancaires numérisées. BNP va supprimer 200 agences d’ici à 2020, ce qui entraînera des réductions d’effectifs de 2 à 4% par an, qui viendront s’ajouter aux 110 postes qui doivent disparaître en 2017 dans les centres de traitement. Dans le réseau Caisses d’épargne et Banque populaire, près de 4.000 emplois seront supprimés entre 2017 et 2019. LCI, filiale du groupe Crédit Agricole, prévoit la fermeture d’environ 250 agences et la suppression de 750 à 850 postes à son siège. En bref, les effectifs du secteur bancaire qui restait encore un des gros pourvoyeurs d’emplois en France, diminuent progressivement depuis plusieurs années et la vague numérique qui s’annonce devrait renforcer cette tendance. Force Ouvrière estime que quelque 30.000 emplois sont menacés.
Jusqu’à quand va-t-on continuer ainsi ?
Rien ne bougera tant qu’on sera dans le régime capitaliste
Il faut en effet se rappeler que le capitalisme a pour but de maximiser les profits et que le plus sûr moyen d’y parvenir a toujours été de réduire le coût du travail. D’où la recherche constante d’augmentation de la productivité par de nouvelles techniques de production, l’automatisation, l’informatisation, la robotisation.
Si les craintes que font peser sur l’emploi la mise à profit capitaliste de la technologie sont aussi vieilles que le capitalisme industriel lui-même, la peur d’un chômage de masse et maintenant le problème de l’obsolescence du travailleur, sont exacerbés par la conjonction de la stagnation des salaires, d’une reprise économique sans création d’emploi et d’un développement rapide de l’automatisation et de l’intelligence artificielle.
Mais les conservateurs de tous bords continuent à chercher des solutions… Comme par exemple taxer les robots.
Taxer les robots pour sauver l’emploi ?
C’est déjà c’est ce que proposait, il y a quarante ans, Michel Bosquet, alors journaliste au Nouvel Observateur, dans un article intitulé Les économistes communistes ont-ils raison ? [1]. Se basant sur une analyse des calculs effectués par le PCF, il y soulignait que ce parti ne faisait que « proposer ce que la gauche a toujours dit : il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Or un tel transfert au cours de l’année qui venait ne représenterait, selon lui, que 9% du PIB français. « D’ailleurs, ajoutait-il, cette somme à verser aux pauvres pourrait même ne pas être prise aux riches grâce seulement à l’élimination de la sous-utilisation du potentiel productif, une économie accrue des moyens matériels et une efficacité supérieure des investissements ». Pour réaliser ce transfert, Michel Bosquet proposait « cette solution absolument géniale : il n’y a qu’à pénaliser les entreprises qui utilisent des machines capables de remplacer l’homme ». La Grande Relève ne pouvait pas laisser passer une telle déclaration sans réagir. Dans son éditorial du mois suivant, intitulé La Gauche fera-t-elle l’effort nécessaire ? [2], Marie-Louise Duboin rétorquait : « Pourquoi ne proposez-vous pas, M. Bosquet, à votre directeur de remplacer l’imprimerie du Nouvel Observateur par quelques centaines de milliers de copistes ? Si un seul quotidien suivait ce bel exemple, le problème du million de chômeurs serait résolu ! Mais est-ce bien là ce que vous appeliez plus haut une efficacité supérieure des investissements ?
Il est tout de même bien triste de voir que les économistes de gauche, qu’a priori on estime plus libérés du carcan de l’idéologie capitaliste que ceux du camp adverse, sont tout aussi incapables de pousser leur raisonnement jusqu’à conclure : puisque les moyens existent de faire faire par les machines les travaux pénibles, il faut inventer un système économique qui permette aux hommes ainsi libérés d’en profiter ! Partout on cherche à inventer, à innover, partout on veut que l’imagination prenne le pouvoir … sauf en économie ! Comme le souligne M. Bosquet, les économistes du PCF, formés à l’INSEE et dans les grandes écoles, sont tout aussi technocrates que les autres et nous nous posons avec lui, mais aussi à propos de lui-même : ne serait-ce pas précisément leur formation économique qui les égare ? »
Dans sa conclusion, M-L Duboin rappelait que « l’économie capitaliste ne fonctionne que pour satisfaire les seuls besoins solvables… elle n’est donc pas faite pour satisfaire ceux des pauvres […] C’est bien pour ça que démocratie et capitalisme sont incompatibles. Et c’est pourquoi, Monsieur Bosquet, il ne peut y avoir de vrai socialisme sans changement des principes mêmes du système économique ».
Michel Bosquet (devenu depuis André Gorz) ne prit pas par le mépris cette provocation de M-L Duboin : trente ans plus tard, en juin 2007, il lui rappelait dans une lettre combien son interpellation par La Grande Relève l’avait frappé. Il lui dédicaça d’ailleurs son ouvrage Misères du présent, richesse du possible [3] (dont le bandeau avait pour titre Dépasser la société salariale) en ces termes : « À Marie-Louise Duboin qui m’a fait faire beaucoup de chemin ». Chemin qui l’a conduit à défendre l’allocation universelle et, au-delà, l’économie distributive dont il exposa les grandes lignes dans la revue Transversales [4] en 2002.
Aujourd’hui, face à l’explosion du chômage, c’est le très célèbre Bill Gates, un des hommes les plus riches du monde, le cofondateur de Microsoft devenu philanthrope, qui propose, après tant d’autres, que « les robots qui volent le travail des hommes soient taxés » [5]… « Il y aura bien sûr des impôts liés à l’automatisation, dit-il, et c’est tout à fait normal : Aujourd’hui, un salarié qui gagne, en gros, 50.000 dollars pour le travail qu’il effectue dans une usine, paie des impôts sur son revenu, pour sa sécurité sociale, etc… Si un robot le remplace pour faire la même chose, il est normal de penser qu’il faut le taxer au même taux ». D’après lui, une telle mesure prise par les gouvernements permettrait, au moins temporairement, de ralentir la généralisation de la robotisation et de financer la formation à d’autres types d’emplois comme les aides aux personnes âgées ou la garde des enfants… Gates semble donc penser qu’il ne faut pas encourager le remplacement des hommes par des robots.
« Mais si c’était une mauvaise idée ? », se demande le sociologue T. Prochazka : « Nous devons au contraire souhaiter que les robots travaillent de plus en plus à la place des humains, les libérant ainsi pour des tâches plus enrichissantes » [6]. Il estime que les nouvelles technologies doivent être utilisées dans tous les domaines possibles : si une machine peut faire le travail de quelqu’un mieux et moins cher il faut la mettre en œuvre. Pour lui, le problème n’est pas l’élimination d’emplois, c’est la répartition des bénéfices qui en résultent : « Obtenir le partage des fruits pour tous exige une intervention au niveau de l’État et non au niveau de l’entreprise. La meilleure façon d’y parvenir est l’attribution à tous les citoyens d’un revenu de base entièrement déconnecté de l’emploi. Ce qui leur permettra de refuser les emplois mal payés et de servir en quelque sorte de fonds de grève et éventuellement de protection contre le chômage. Le revenu de base permettrait donc aux travailleurs de se défendre et de préparer l’éclosion d’une société d’abondance. » [7]
Les dessins ci-dessous montrent que l’humour aussi peut faire prendre conscience de l’arrivée en masse des robots :
Ils sont reproduits de Welcome, Robot Overlords. Please Don’t Fire Us (sur http://www.motherjones.com/media/2013/05/robots-artificial-intelligence-jobs-automation , Kevin Drum, May/June 2013 Issue).
[1] Le Nouvel Observateur, 23 /05/1977.
[2] La Grande Relève, n°747, juin 1977.
[3] éd. Galilée, 1997.
[4] Transversales, n° 3.
[5] The Economics Times, 20/02/2017.
[6] Tyler Prochazka, Basic Income News, 11/03/2017.
[7] Peter Frase, Four futures : lifes after capitalism, Jacobin, 2016.