Au fil des jours
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Publication : avril 2018
Mise en ligne : 18 juillet 2018
Un nouveau syndrome…
L’Angleterre, berceau de l’industrie et du libéralisme économique, est en train de devenir le pays d’Europe où, pour la première fois depuis un siècle, l’espérance de vie commence à décroître dans une dizaine de régions. Éric Albert, envoyé spécial du Monde, fait un compte rendu édifiant de la visite qu’il a faite récemment dans le nord-est de l’Angleterre dans le comté de Durham, à Hartelpool, 18ème ville la plus pauvre d’Angleterre. Les chantiers navals, les mines et les usines chimiques ont fermé depuis bien longtemps, il ne reste guère que la centrale nucléaire à quelques kilomètres de là. Avec le chômage et la politique d’austérité du gouvernement, la pauvreté et les difficultés sociales se sont généralisées. « Depuis quelques années, un nouveau phénomène vient de s’ajouter à ces maux : les gens meurent plus jeunes. Pour la première fois depuis un siècle, l’espérance de vie diminue. Jusqu’à récemment, même des endroits comme celui-ci voyaient la population vivre plus longtemps, malgré un fort retard sur les régions riches. C’est désormais fini » [1]. Le surpoids, l’obésité dus à la malnutrition conduisent à des cancers et des maladies cardio-vasculaires ou respiratoires qui sont la cause de la baisse de l’espérance de vie. À cela, il faut ajouter le mode de vie : l’alcool, les cigarettes, la drogue,… et les logements insalubres, et la difficulté de l’accès aux soins : le service d’urgences de l’hôpital a fermé, il faut parfois attendre plusieurs semaines pour voir un médecin,… Pour résumer les problèmes de leurs patients, les médecins locaux utilisent l’expression : “shit life syndrome” [2] . Espérons que la folie libérale de Macron s’arrêtera avant que nous en soyons là !
La fin de la social démocratie
Les dernières élections italiennes ont confirmé, si besoin était, la décrépitude des partis sociaux-démocrates européens (même les partis sociaux-démocrates scandinaves sont atteints !). Pour Guy Standing [3], les sociaux-démocrates ne font que payer l’erreur fondamentale qu’ils on faite pendant tout le 20ème siècle en réduisant le travail à l’emploi ou à une activité assurant un revenu [4] . Ils sont ainsi tombés dans leur propre piège politique en mettant sur un piédestal la notion de plein emploi, qui signifie maximiser le nombre de personnes qui sont en position de subordination aux patrons. Pourquoi mettre au travail le maximum de gens serait-il considéré comme une politique progressiste, demande-t-il, et il précise : « Il faut rappeler aux sociaux-démocrates qui ont basé leur politique sur l’emploi, qu’au milieu du 19ème siècle ce sont les employeurs et non les représentants des travailleurs qui ont érigé en dogme la stabilité ou la sécurité de l’emploi. Au 20ème siècle, une étrange alliance d’idéologies politiques a rendu l’emploi obligatoire (sauf pour la noblesse et les nantis). Ce qui aurait dû être considéré, au moins, comme une lourde nécessité dans un système capitaliste est devenu une nécessité pathologique dans la Constitution soviétique, résumée dans la phrase de Lénine “celui qui ne travaille pas ne doit pas manger” et a pris un sens tout à fait anti-émancipation dans toutes les démocraties sociales » [4] (Marx appelait pourtant l’emploi « une activité aliénée »…). Très délibérément, le droit à une sécurité sociale décente a été limité à ceux qui travaillaient pour un patron. Les héroïnes et les héros de la social-démocratie en ont tiré des conclusions logiques : Beatrice Webb, “la mère” du socialisme Fabien [5], a ouvertement défendu la création de camps de travaux forcés… et plusieurs générations plus tard, les ministres Blairistes y ont trouvé une justification pour défendre le workfare [6] . Et William Beveridge, « le saint patron » de l’État Providence britannique, un libéral avoué, croyait aux « vertus du fouet de la faim » pour obliger les gens à travailler !
À moins qu’elle échappe enfin à la folie d’identifier emploi et travail, la gauche se marginalisera de plus en plus.
Un rapport intéressant
« Nous avons besoin de plus d’investissements sociaux et non de Partenariats Public Privé », titre Richard Pond [7] pour présenter un rapport transmis récemment à la Commission européenne par l’Association Européenne des Investisseurs à Long Terme (AEILT). Selon ce rapport [8], « entre aujourd’hui et 2030, l’Europe devrait dépenser 1,5 trillions d’euros en infrastructures sociales pour rattraper le sous-investissement massif de ces dernières années et pour répondre à la demande croissante de services sociaux ». Il très bon dans l’appréciation de l’échelle des problèmes, mais il ne donne pas les principales raisons pour lesquelles les dépenses en infrastructures ont été trop faibles pendant trop longtemps. Qui plus est, il insiste trop sur le rôle croissant de la finance privée.
Bien qu’il fasse référence à « la longue crise économique », le rapport n’insiste pas clairement sur la consolidation fiscale imposée à l’Europe, consolidation qui a contribué à retarder et affaiblir la récupération économique. Il se borne à déclarer que « accablé par le poids de la dette et les demandes croissantes et coûteuses de l’État providence, les ressources publiques d’investissement ont été comprimées ou, au mieux, ont stagné ». Il fait aussi l’hypothèse qu’il n’y a pas de possibilité d’accroître significativement les investissements publics dans les infrastructures sociales puisque la dette et les déficits prévus dans le Pacte de Stabilité et de Croissance sont « gravés dans le marbre » et que « lorsqu’on finance des infrastructures on doit mettre moins de pression sur les finances publiques ». En conséquence, le rapport se focalise sur les moyens que le secteur privé pourrait utiliser pour combler le trou, et considère comme une option intéressante les partenariats public-privé (PPP). « Malheureusement, dit Richard Pond, la HTLF n’a pas bien fait ses devoirs » lorsqu’elle a pensé aux PPP. Les risques encourus ont pourtant été récemment mis en lumière au Royaume-Uni avec la faillite de la société Carillon, impliquée dans plusieurs PPP, dont l’abandon du Midland Metropolitan Hospital pourtant appuyé par le Fonds Européen pour les Investissement Stratégiques.
Peu après, le système des PPP a été sévèrement critiqué par une commission de contrôle des dépenses publiques britannique, la NAO, qui a montré que la plupart des projets réalisés par des PPP ont des coûts jusqu’à 40% plus élevés que ceux qui sont directement financés par des fonds publics.
Un rapport récent de la Cour des Comptes Européenne est tout aussi accablant : après avoir analysé 12 PPP cofinancés par l’Union Européenne, la Cour a trouvé une dépense inutile de 1,5 milliard d’euros et des comptes peu clairs. Elle recommande que la Commission Européenne et les États membres ne promeuvent plus les PPP ou les arrangements risqués.
[1] Le Monde, 11-12/03/2018.
[2] « Syndrome d’une vie de merde ».
[3] Professeur de développement à l’École d’études Orientales et Africaines de l’Université de Londres. (ayant travaillé pendant de nombreuses années au Bureau International du Travail, il connaît le sujet !).
[4] Left Should Stop Equating Labour with Work ( = La Gauche doit arrêter d’égaler travail et emploi), Social Europe, 23/03/2018.
[5] La Fabian Society, ou Société fabienne, est à la fois un cercle de réflexion et un club politique anglais de centre-gauche créée en1884. De mouvance socialiste et réformatrice, il a été partie prenante de la création du Parti Travailliste en 1900 et de la refonte de celui-ci dans les années 1990 avec le New Labour (selon Wikipedia).
[6] Les programmes de workfare, posent comme principe que les bénéficiaires de l’aide sociale doivent travailler pour toucher leur allocation.
[7] Fédération européenne des Syndicats d’Agents des services Publics.
[8] Social Europe, 28/03/2018.