Qui est utopiste ?
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Publication : octobre 2019
Mise en ligne : 25 janvier 2020
Comment le pays qu’on désigne couramment comme “la plus grande démocratie au monde” a-t-il pu élire comme Président un D. Trump ? Il est vrai qu’en fait, Trump n’a été élu que par 26 % de la population en âge de voter. Mais, comme l’exprime Joseph Stiglitz : « les dommages à long terme que ce président aura infligés à notre économie et à notre société risquent de les affecter en profondeur ». Et dans son ouvrage Peuple, pouvoir et profits
, l’économiste étatsunien consacre un paragraphe intitulé « Comment nous en sommes arrivés là » à répondre à sa propre question. Son verdict est net, je le cite : « nous avons fait fausse route sur l’économie, sur la politique et sur les valeurs. » Et en particulier sur l’économie, il résume : « Nous avons cru que les marchés sans entrave - avant réduction d’impôts et dérèglementation – étaient la panacée qui résoudrait tous les problèmes économiques. Nous avons cru que la finance, la mondialisation et le progrès technologique, par eux-mêmes, apporteraient la prospérité à tous. Nous avons cru que les marchés, laissés à eux-mêmes, étaient toujours concurrentiels… Nous avons cru qu’en recherchant aveuglément le profit on aboutirait au bien-être de la société… Nous n’avons pas compris les dangers de l’argent en politique, le pouvoir qu’il exerce ». Il précise : « la capacité à maintenir les prix au-dessus des coûts reflète un pouvoir de marché… donc nous n’avons pas compris tous les dangers du pouvoir de marché. » Il dirige ainsi très clairement son accusation sur ce qu’il désigne par le pouvoir de marché, qu’il décrit en lui consacrant un chapitre fort explicite, concluant : « Les présidents Carter et Reagan, et ceux qui les ont suivis, ont réécrit les règles du capitalisme de telle façon que nous avons une économie plus instable, moins efficace et plus inégalitaire – une économie caractérisée par l’omniprésence du pouvoir de marché ». Ce “prix Nobel d’économie” reconnaît bien que « le pouvoir de monopole constitue, naturellement, une distorsion de l’économie de marché – il la rend moins efficace », et donc « qu’il est essentiel de réformer le secteur financier » puisque « avec 5 lobbyistes par membre du Congrès, les 10 plus grandes banques du pays ont eu autant ou plus d’influence que 250 millions d’Américains ». Mais hélas, en bon économiste classique, il affirme qu’« il n’est pas encore trop tard pour sauver le capitalisme de lui-même, de réécrire à nouveau ses règles » ! Qu’il s’agit “simplement” (!) de « juguler les pires excès du capitalisme américain du XXIème siècle », de chercher comment « réparer la mondialisation », comment contrer « le travail de sape contre les institutions publiques que mène Trump », d’assurer le plein emploi, de réduire l’exploitation, de rétablir l’égalité des chances et la justice sociale, de réduire la discrimination, etc, etc. Donc pas question pour lui d’imaginer une organisation non capitaliste : même la simple idée d’un revenu de base universel « que quantités de livres préconisent » est écartée d’emblée, dans une courte note.
L’enquête Capital et idéologie, que vient de publier Thomas Piketty, remonte plus le moral. L’économiste français a fait une découverte : les nouvelles technologies permettent à ses collègues de fonder leurs affirmations sur la réalité. L’appliquant, il conclut que la leçon à retenir de l’histoire mondiale des trois derniers siècles est que le progrès humain existe sur la longue durée (en moyenne, le pouvoir d’achat d’un habitant de la planète a augmenté d’environ 0,8% par an), mais qu’il n’est pas linéaire : c’est un combat, qui doit s’appuyer sur une sérieuse analyse de l’évolution passée. Il en tire une conclusion essentielle : d’autres régimes, plus égalitaires et plus justes, sont toujours possibles. Ce qui l’amène à réfléchir sur l’inégalité qui, dans les “sociétés de propriétaires”, est « justifiée par la peur du changement et vise à justifier une forme particulière de domination sociale » : il lui semble possible de s’appuyer sur les leçons de l’histoire pour dépasser cette attitude « nihiliste et paresseuse » et « définir une norme de justice et d’égalité plus exigeante en matière de régulation et de répartition de la propriété que la simple sacralisation des droits issus du passé… C’est sur cette base, précisait-il dans Le Monde du 16/9…que peuvent se construire des idéologies et des mouvements politiques novateurs en ce début de XXI° siècle… »
Alors, soyons optimistes, nous les distributistes si souvent qualifiés d’utopistes : car voilà que c’est un professeur à l’école d’économie de Paris qui suggère de construire, au niveau européen, un socialisme participatif.