Les entreprises en économie distributive
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Publication : juin 1991
Mise en ligne : 18 mars 2006
La monnaie de consommation n’est pas thésaurisable et ne circule pas. Elle s’annule quand une production ou un service est parvenu à son consommateur. C’est un moyen pour ce dernier d’exprimer son choix quand à la production à renouveler (la loi du marché retrouve donc son rôle) et d’orienter les investissements en fonction des besoins.
Le lecteur attentif aura reconnu quelques phrases de notre résumé de l’économie distributive figurant habituellement en dernière page de couverture de la G.R. Mais alors puisque la monnaie ne circule pas, comment les entreprises fonctionnent-elles ? Comment se réapprovisionnent-elles ? Comment leurs résultats sont-ils jugés ? Voici des questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.
LE STATUT
Rappelons que dans notre conception, l’économie est entièrement vouée à la satisfaction des besoins fondamentaux plus tous ceux qui peuvent être atteints par les moyens scientifiques et techniques évolués. Nous ne voyons que les limites suivantes :
a) la durée du travail acceptée par les citoyens qui en décident en toute liberté étant entendu qu’elle est répartie dans la journée, la semaine, le mois, l’année, la vie, au mieux des intérêts des consommateursproducteurs et en fonction de la pénibilité et de l’intérêt des tâches qui ne peuvent être encore accomplies par les machines automatiques.
b) l’énergie et les matières premières à disposition qui seront utilisées rationnellement, c’est-à-dire sans gaspillage, ni parcimonie excessive, en pensant aussi bien au présent qu’au futur, compte tenu des procédés d’extraction, de transformation, de synthèse existants, en préparation ou à prévoir. c) le respect de l’environnement et des équilibres écologiques, ce qui suppose le souci d’y penser dès la conception des projets dans tous les domaines.
Ces limites seront fixées concrètement sous la responsabilité des organismes autogérés, coopératifs et fédéralistes qui orientent l’ensemble du système.
Rappelons aussi que les entreprises ne seront pas nationalisées, mais socialisées. Les PME et PMI fonctionneront en principe au niveau de la commune. Dans une autre étape du passage à la nouvelle économie, elles pourraient être gérées, au moins sur le plan technique, par leur patron actuel afin d’assurer une évolution souple. La marche des grandes entreprises agricoles, industrielles et commerciales sera assurée suivant leur importance régionale, nationale ou internationale par leur conseil d’administration ou mieux conseil de gestion. Dès la période actuelle, ce conseil sera composé à part égale de représentants
1) du personnel,
2) des élus, au niveau précité,
3) des consommateurs.
La transition se poursuivrait ainsi par cette démocratisation qui se substituerait à l’archaïsme de la société à propriété personnelle ou par actions, de même que, dans le domaine politique, le suffrage universel a remplacé le suffrage censitaire en 1848.
L’ORGANISATION INTERNE
Outre le Conseil de gestion, l’organisation interne de l’entreprise comprendrait un Comité d’entreprise et éventuellement, pour les sociétés à filiales, un Comité de groupe. Les institutions représentatives du personnel pourraient être celles définies par les lois d’octobre, novembre et décembre 1982, dites lois Auroux de démocratisation du secteur public qui ont largement étendu les droits des travailleurs et qui seraient généralisées à l’ensemble des entreprises socialisées. Bien entendu, ces lois devront être encore perfectionnées en concertation tripartite et suivant l’état des relations du travail au moment de l’instauration de la nouvelle économie. Elles n’en constituent pas moins une base intéressante et utile.
De même, la comptabilité interne se rapprocherait de la comptabilité analytique actuelle étant entendu qu’elle serait uniquement matérielle et sociale, non plus financière.
Une batterie d’indicateurs telle que celle qui existe dans la plupart des grandes sociétés permettrait aux organismes de gestion interne et externe de suivre les résultats obtenus par l’entreprise, comme les directions générales le font déjà. L’utilisation intensive de l’informatique assure immédiatement la visualisation de "tableaux de bord" avec suivi en temps réel de tous les ratios nécessaires. La bureaucratisation excessive des sociétés est ainsi évitée.
Le bilan social [1] affiche dans le détail les effectifs, les rémunérations, les conditions et la durée du travail, les mesures de formation et de promotion, les relations internes, les oeuvres et les avantages sociaux, etc.
La comptabilité matière et le plan de production fournissent le détail des besoins de l’entreprise vis-à-vis des fournisseurs et des clients.
La nécessité de transcrire toutes ces données en une unité monétaire, même immuable, à la différence du franc capitaliste, n’est nullement évidente.
LE CONTRAT
Les organismes autogérés sont ainsi en mesure de juger de l’utilité, éventuellement de la suppression ou de la réforme des entreprises multiples nécessaires à l’économie des besoins. Ils peuvent également envisager la création de nouvelles sociétés.
Le plan d’entreprise fixe les stratégies de développement et de fonction, les actions et leurs éléments chiffrés pour, par exemple, les cinq années a venir [2].
Il constitue un contrat entre l’entreprise et la collectivité dont il dépend qui peut ainsi en assurer la surveillance et décider les mesures nécessaires a un redressement qui pourrait s’avérer nécessaire. Un rapport annuel établi par la société précise les résultats atteints en fonction des objectifs fixés et facilite ainsi le contrôle.
Lorsqu’une décision est prise, aussi bien au niveau de l’entreprise que de la collectivité, elle est immédiatement suivie d’effets sans qu’il soit nécessaire d’assurer, en plus, le financement par une banque ou un organisme de crédit.
Au nom de quel pouvoir, un tel intermédiaire vient-il d’ailleurs s’immiscer, dans le système capitaliste, entre le client et son fournisseur ? La plupart du temps, ces financiers ne connaissent pas et ne veulent pas connaître les impératifs de la production, les procédés techniques, le niveau de compétence des différents personnels, ni les délais, etc. Ils ne tiennent compte que de la rentabilité brute d’un investissement spéculatif. Ces parasites sont, dans notre système, éliminés. Ils sont transférés vers des activités utiles à la collectivité.
Les décisions sont donc prises en fonction des hommes. L’économie est tout entière consacrée à la satisfaction des besoins réels et non pas des seuls besoins solvables.
LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX
La monnaie de consommation, en raison même de sa définition, est essentiellement propre a la nation ou aux nations qui l’ont adoptée. Si l’Europe, par exemple celle de la CEE, décide, après des étapes transitoires dont nous avons déjà tracé ailleurs quelques perspectives [3], de passer à l’Economie distributive, les échanges interentreprises s’effectuent comme il vient d’être dit. Si, dans une phase intermédiaire qui peut éventuellement durer plusieurs années ou plusieurs décennies, seuls quelques pays ou même un seul pays, le nôtre en particulier, se trouve à la pointe de l’évolution, il convient de prévoir les mesures propres à assurer les échanges internationaux. L’état présent du commerce est caractérisé par une multiplicité des transactions et une interdépendance que nous ne pouvons ni ignorer, ni faire cesser sous peine d’irréalisme.
Dès lors, deux solutions apparaissent qui pourraient être appliquées simultanément ou choisies en fonction de l’opportunité du moment : le troc ou l’utilisation d’une monnaie spéciale. Le troc n’est pas, comme tes tenants du capitalisme essaient de nous le faire croire, le retour au temps des cavernes. C’est un moyen d’échange moderne puisque, comme nous l’avons déjà précisé, il régit présentement la moitié [4] du commerce mondial. Les pays, dont la monnaie n’est pas convertible ou dont elle est très faible, l’emploient forcément pour leurs importations et leurs exploitations. D’autres l’utilisent afin d’éviter les transferts en devises toujours onéreux et pour empêcher les fuites... Il faut reconnaitre néanmoins que l’autonomie souhaitable des entreprises envers I’Etat parait peu compatible avec ce processus. D’autre part les achats ou ventes de détails seraient malaisés. Néanmoins le troc reste le recours en cas d’opposition politique hostile venant de l’extérieur.
Le choix d’une monnaie spéciale externe offre un remède à l’indivisibilité relative du troc. La marche de l’Europe vers l’écu qui parait inéluctable rend tout à fait possible l’utilisation de cette seconde monnaie. Elle devra, de toute façon, coexister, au moins pendant une période transitoire assez longue avec les monnaies nationales actuelles. Les entreprises ayant leur siège en France pourront donc l’utiliser, en économie distributive, sans difficultés prévisibles.
A propos des entreprises, nous croyons avoir démontré que l’économie distributive est :
– une économie où tout ce qui est physiquement possible peut être réalisé,
– une véritable économie de marché dans le sens où elle permettra une vraie confrontation entre les besoins et les moyens de les satisfaire,
– une véritable économie de liberté puisque tous les citoyens, et non pas seulement les plus favorisés, pourront recevoir leur part du prodigieux héritage commun des sciences et des techniques,
– une économie compatible avec la démocratie puisqu’elle ira progressivement vers l’égalité économique, gage de l’égalité politique,
– un système vraiment concurrentiel où les résultats obtenus par les entreprises peuvent être vraiment comparés grâce à la diversification des critères au lieu de chiffres bruts exprimés dans des unités fluctuantes,
– un système simple sans bureaucratisation excessive où l’autonomie des personnes et des entreprises sera possible grâce à la décentralisation des décisions et à l’autogestion.
Contrairement au capitalisme qui prétend être tout cela et dont ceux qui nous lisent voient, mois après mois, qu’il n’en est rien. Mais l’emploi mêlé du conditionnel, du futur et du présent montre que la transition est déjà engagée. [5]
[1] Tel que celui défini par la loi du 12 juillet 1977 dans les entreprises de transport.
[2] Afin d’assurer une vue à long terme. Mais une mise à jour annuelle parait indispensable afin d’ajuster en permanence les moyens aux objectifs. C’est la notion de plan "glissant" édité tous les ans ex. 91-95, 92-96, 93-97, etc...
[3] Voir notamment "Stratégies" GR n° 897.
[4] Soit plus de l’équivalent de 1000 milliards de dollars d’après le Monde du 1er novembre 1988.
[5] Ceux qui veulent étendre leur connaissance de nos thèses doivent évidemment lire les ouvrages de Jacques Duboin et "Les affranchis de l’an 2000" ainsi que nos brochures.