Tirer la leçon de Proudhon ?

Lectures
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 2 avril 2006

Dans une collection au titre ambitieux de Savoir penser l’essentiel les éditions lyonnaises Chronique sociale ont publié l’an dernier Agir avec Proudhon de Jacques Langlois, ancien cadre de l’EDF-GDF.

L’admiration que l’auteur voue à son maître domine nettement les deux premières parties, qui sont consacrées à la vie, la pensée et l’œuvre de Proudhon. La présentation en est assez scolaire, avec résumés aux fins de chapitre et glossaire des “concepts-clef proudhoniens“, mais c’est pour mieux préparer la suite. Et celle-ci, le dernier tiers du livre, annonce un vrai désir d’innovation en proposant d’adapter certaines idées de Proudhon à notre temps. On lira donc avec intérêt comment il imagine les bases d’un régime politique plus démocratique afin de “réorganiser la société” en passant par la création de contre-institutions et de contre-structures. Pour promouvoir “une attitude collective” et un “esprit de solidarité et de coopération”, il faut, dit-il pour commencer, empêcher l’État d’édicter des règles qui encouragent l’individualisme. Et puis éduquer, former, orienter chacun dans le cadre d’associations diverses, ce que les partis qui se disent de gauche devraient encourager. Il entre alors dans les détails de structures à installer pour instituer une double représentation, territoriale et corporative. Et sur ce dernier point, il précise « à partir des métiers », ce qui suggère que cet ancien militant CFDT n’a pas bien mesuré la révolution du travail au cours du siècle dernier, ce qui fait craindre que ses propositions ne soient que l’extension d’une organisation pensée au XIXème siècle, non adaptée aux activités du XXIème.

Sur la laïcité et le respect de règles communes, on apprécie la vision de J.Langlois. Sur la formation, ensuite, il dit lui-même n’actualiser « qu’à la marge » l’approche proudhonienne. Et sur la protection sociale, ses innovations sont encore plus pauvres : faire gérer les institutions de protection sociale « directement par les salariés et [...] notamment par les chômeurs ». Le chômage a donc de l’avenir... Affirmant que le niveau de rémunération doit « permettre à chaque salarié de s’assurer » dans une mutuelle, il déclare qu’on ne fera pas appel à des cotisations patronales « parce que construire une contre-société ne saurait introduire le loup dans la bergerie » ... la société démocratique et conviviale qu’il annonçait se révèle être définitivement à deux vitesses, deux mondes distincts et bien séparés.

Notre auteur ayant eu le bon sens, trop peu partagé, de constater, dans l’introduction à ses propositions, que « la finance est devenue folle et ne repose plus sur quoi que ce soit de réel », on s’attendait à quelque proposition courageuse au chapitre sur la finance. Celui-ci est introduit par ce constat qui commence de façon réaliste : « le moyen essentiel du développement des forces productives est la monnaie de crédit qui finance les investissements et facilite la demande, notamment pour les biens coûteux de longue durée. » mais se poursuit par :« Mais est l’objet d’un vol permanent au profit de l’État et de la bancocratie ». Oui, au profit de l’État, on a bien lu ! À quel aveuglement sa phobie de l’État mène notre proudhonien pour qu’il ignore, comme tant de ses semblables il est vrai, que l’État se refuse à lui-même le privilège qu’il accorde aux banques, au point qu’il oblige les contribuables à verser une rente au privé !!