Inventons le Produit Intérieur Doux
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Publication : novembre 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2005
La richesse est subjective au même titre que le goût d’un aliment. Les satisfactions de chacun peuvent avoir pour origine des éléments différents. D’un pays à l’autre, suivant les cultures, le bonheur dépend de critères différents. De plus, la richesse peut prendre toute sorte de couleur non quantifiable telles la bonne santé, le respect des autres... C’est de ce constat qu’est parti Patrick Viveret pour produire un rapport sollicité en 2001 par Guy Hascoët, alors Secrétaire d’État à l’économie solidaire. Ce rapport, “Reconsidérer la richesse”, a inspiré une journée de réflexion, à Saint-Ouen, intitulée :
Cette journée se déroulait à Mains d’œuvre, un lieu de création, de diffusion, de recherche et d’expériences, destiné à accueillir des artistes de toutes disciplines, des démarches associatives et citoyennes. Pour cela, il propose depuis janvier 2001 des espaces de création et d’accueil des projets, avec des équipements de qualité et d’une grande diversité. L’équipe de coordination, expérimentant autour de la richesse, proposait le 15 octobre un parcours parmi une dizaine d’ateliers.
Cette abondance a permis à chacun de découvrir diverses approches de la richesse, puisque chaque participant organisait sa journée comme il le souhaitait, choisissant jusqu’à cinq ateliers pour les cinq créneaux horaires disponibles. Je résume ici ce que j’ai retenu des ateliers que j’avais choisis. Les autres avaient pour thèmes la possibilité de réaliser son métier autrement, la redécouverte du sens des mots ou encore la perception de soi et des autres à travers des exercices corporels et musicaux.
Ouverture
Patrick Viveret a introduit la journée en rappelant les origines du PIB : il correspond à un choix d’indicateurs et représente une petite partie seulement de la réalité. De plus, le langage économique a dévié le sens originel de mots comme la valeur, l’utilité... En effet, l’argent prédomine désormais dans bon nombre d’analyses puisqu’il est devenu un bien qu’il faut accaparer contrairement à sa fonction de départ qui devait favoriser l’échange.
La mesure de la richesse est un élément souvent utilisé par les médias pour décrire l’état d’un pays. L’indicateur généralement mentionné est le Produit Intérieur Brut qui additionne toutes les valeurs ajoutées. Ceci a pour conséquence de négliger toute activité humaine non mesurable par l’échange monétaire. De plus, une catastrophe naturelle ou industrielle, ou même une guerre, qui sont des événements destructeurs, deviennent des éléments créateurs de PIB puisqu’ils impliquent des reconstructions. La préservation de l’environnement et des liens sociaux est complètement ignorée par cet indicateur.
Des solutions partielles existent, comme les nouveaux indicateurs, mais il propose surtout de reprendre l’idée du bonheur et de richesse fondamentale comme base de réflexion dans notre société en régression émotionnelle, où la peur du lendemain et de l’autre prédomine.
Atelier “Un autre regard sur la monnaie”
Marie-Louise Duboin a animé les réflexions sur la monnaie en présentant un historique des trois formes de support à l’échange qui ont cours (et que les lecteurs de la GR connaissent bien) :
• un objet qui a une valeur marchande propre, par exemple une pièce d’or ;
• un billet, qui était à l’origine le reçu d’une monnaie-marchandise et dont l’usage a transformé l’échange en achat et vente ;
• la monnaie scripturale émise par les banques, à qui profite l’effet multiplicateur du crédit.
Le public, intéressé, a participé activement au débat qui a suivi.
Atelier “Les monnaies complémentaires”
Patrick Viveret a d’abord rappelé que les monnaies officielles ne remplissent plus leur rôle de base et que les acteurs de l’économie sociale se sont mis en quête d’alternatives. Trois axes principaux de monnaies complémentaires ont émergé, se différenciant des monnaies alternatives par le fait qu’elles n’ont pas pour ambition de remplacer les monnaies courantes, comme en économie distributive par exemple.
• Les monnaies libres ou fondantes qui perdent de leur valeur au fil du temps, introduites par Sylvio Gesell. Dans les années 30, le maire de Wörgel, en d’Autriche, s’en inspire et l’expérimente dans son village. Cela s’avère un succès pour le développement des activités locales et est devenu un modèle dont subsistent de nombreuses traces aujourd’hui. D’autres expériences ont été tentées. Elles fonctionnent bien lorsqu’elles rencontrent trois conditions : la garantie par une autorité, la confiance, et une masse critique nécessaire au nombre d’échanges.
Malheureusement, elles sont stoppées par les autorités en place qui y voient une menace ;
• Les Systèmes d’Échanges Locaux (SEL) qui organisent les échanges localement avec leur monnaie propre. Ils sont basés le plus souvent sur une valeur de temps plutôt qu’en correspondance avec la monnaie officielle. Une des difficultés majeures est de ne pas retomber dans le fonctionnement de la monnaie courante avec des personnes qui, en accumulant les unités, mettent en péril le système ;
• Les banques du temps, favorisant l’échange de services.
Atelier “Que montrent les indicateurs de richesse ?”
Christian Geoffray a présenté le travail effectué par le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) afin de mettre en place des Indicateurs de Développement Humain (IDH), comme la durée de vie, l’accès à l’éducation... Dans le but de démontrer l’intérêt d’étudier les données brutes et de ne plus s’arrêter aux interprétations d’experts, il propose, à titre d’exercice, de regarder attentivement les tableaux fournis sur un indicateur parmi les quelques dizaines disponibles. Les différents binômes restituent l’analyse qu’ils peuvent en faire, avec quelques constats :
• un indice seul ne représente aucune réalité car il se situe dans un contexte particulier pour chaque pays et il est difficile, voire impossible, de comparer trois données avec une interprétation valide ;
• le nom même de l’indice n’est pas suffisamment représentatif de ce qui a été mesuré, il faut pour bien le comprendre se plonger dans sa description complète.
L’IDH choisi par le PNUD est la moyenne : du PIB par tête, de l’espérance de vie à la naissance et du niveau d’instruction moyen des jeunes versus celui des adultes. Ce qui ne représente bien sûr qu’un choix parmi d’autres possibles.
Atelier “Les comptes et la comptabilité”
Jean-Patrick Abelson a proposé de partager ses recherches sur la présentation des comptes. En effet, la comptabilité est un milieu très normé, et qui oriente les informations loin de l’apport humain des activités économiques. Son travail porte donc sur l’introduction dans ce milieu de nouvelles méthodes de restitution des données incluant une modification du vocabulaire utilisé. On trouvera par exemple restitution de ressources/mobilisation de ressources à la place de recette/dépense. Une revalorisation du bénévolat dans les domaines associatifs peut apparaître également dans les résultats annuels.
Atelier “Les richesses produites par nos actions”
Cet atelier organisé par le Mouvement pour le Développement Solidaire a pour objectif un échange autour d’un idéal global. Chacun apportant au groupe le petit geste qui a participé à un thème plus général tiré au sort parmi ceux préparés. Un des thèmes abordés est par exemple Lien social, paix sociale, plaisir d’être ensemble décrit par les termes suivants : densification des liens amicaux et d’entraide, des liens professionnels, des liens divers de proximité, mieux vivre ensemble, plaisir d’être ensemble, civisme.
Clôture
L’équipe organisatrice a proposé pour cette fin de journée une présentation de la Compagnie de la Tribouille qui monte actuellement les « Contes de la richesse », trois créations théâtrales adaptées du rapport de Patrick Viveret. Ils ont joué pour notre plus grand plaisir le prologue du spectacle qu’ils sont en train de mettre en place et qui introduit avec humour et finesse les réflexions sur la richesse qui peuvent sembler ardues au premier abord.