La spiritualité dans la civilisation de l’abondance
Publication : 16 décembre 1935
Mise en ligne : 3 juin 2006
Il nous est arrivé à tous, en exposant nos conceptions sur l’Abondance qui en public, qui en petit comité, de rencontrer les objections les plus diverses. Leur valeur est fréquemment quelconque. Toutefois, il en est une que j’ai personnellement rencontrée souvent et qui me paraît grave.
Cette objection, la voici :
« Vous parlez de l’entrée dans le monde de l’Abondance, de la possibilité du mieux-être matériel que nous pouvons en retirer : tout à fait d’accord. Mais tout cela ne concerne que la partie matérielle de l’existence : ce qui vise à nourrir, vêtir, abriter et transporter les hommes.
Que faites-vous donc, dans votre système, du besoin de croire, et d’admirer ; autrement dit, quelle est votre position à l’égard des Religions et des Philosophies, et quelle place faites-vous à l’Art ?
Que faites-vous de la foi qui se refuse à suivre votre matérialisme ? »
Je trouve cette objection grave parce qu’elle m’a toujours été faite par des gens foncièrement droits, épris d’idéal et de beauté, d’un certain rang social il est vrai, mais capables, si nous apaisons leurs scrupules sur ce point, de nous aider très efficacement.
La réponse n’est pas malaisée, mais il nous paraît bon de la préciser.
Nous ne sommes nullement matérialistes. Si nous avons pris position pour résoudre d’abord le problème matériel, c’est que c’est celui dont la solution est la plus urgente. Les problèmes moraux et culturels nous intéressent autant, mais nous n’avons plus le temps de les aborder dans le détail maintenant.
De plus, nous croyons que si le problème matériel n’est pas résolu le plus tôt possible, et résolu par une législation de l’Abondance, il n’existera plus d’autres problèmes.. car notre civilisation aura sombré, et personne ne se souciera plus alors ni de Dieu, ni de Beethoven...
Mais la législation de l’Abondance, assurant à l’homme son existence, lui donnera en même temps des loisirs extraordinaires. Pendant et après quelques années (vingt, dix ans, peut-être moins) consacrées au Service social dans des conditions de confort et de bien-être dont nous n’avons aucune idée, l’homme, sans aucun souci du lendemain, sera LIBRE de penser, de croire, d’admirer.
Libre de croire, car toutes les religions sont défendables et seront admises pour autant que leur exercice ne sera pas hostile à l’ordre nouveau.
Libre et même capable, plus qu’aujourd’hui, d’admirer puisque ses loisirs lui permettront de s’éduquer et de s’affiner. Et le rôle des artistes, ce sera précisément d’éduquer cette masse d’hommes, de l’amener à la pensée, à l’art, à l’élever enfin intellectuellement et moralement.
Connaissez-vous de vrais artistes qui refuseront cette forme de Service social ?
On dira que la masse ne suivra pas et que, « le ventre plein », elle refusera de se passionner et de s’élever.
Je suis sûr du contraire, par expérience personnelle, et beaucoup sont certains, comme moi, que nous assisterons alors à la plus merveilleuse poussée d’art et de foi que nous ayons connue depuis le Moyen-Âge ou la Renaissance.
Mais cela n’est possible que si nous parons au plus pressé, si nous sortons de la misère et si nous cherchons à vivre en hommes libérés par la science. C’est pourquoi nous nous cantonnons aujourd’hui strictement sur le seul terrain économique. Lorsque nous aurons là, défriché la route, nous construirons au bord de cette route les palais de la science, de l’art, des philosophies et des religions, les musées d’hygiène sociale, les maisons de la politique et de l’Administration. Mais pour cela il faut tout d’abord défricher la route, et c’est décidément à ce travail terre à terre que nous consacrons tous nos efforts actuellemuent ....
Mais pourquoi les Bûcherons cesseraient-ils pour cela d’être poètes, artistes, religieux ou philosophes ?...