Misère des retraités


par  G.-H. BRISSÉ
Mise en ligne : 4 novembre 2005

Les médias représentent souvent les retraités comme des citoyens menant une existence agréable, propriétaires d’appartements ou de villas cossus, titulaires d’un compte bancaire bien garni de valeurs boursières, à la recherche de croisières ou de destinations touristiques ordinairement réservées à la jet-set.

Mais en titrant dans son édition du 18 octobre 2005 : “600 000 retraités concernés par la pauvreté”, le quotidien Aujourd’hui nous révèle une autre face de la réalité. Même son de cloche dans La Croix du 9 août dernier, qui remarque que « les vieux pauvres » font leur apparition en France.

Selon le Comité national des retraités et personnes âgées, une érosion de 10 % sur cinq ans de leur pouvoir d’achat a été enregistrée. Et des centaines de milliers de retraités ne perçoivent en moyenne que 718 euros mensuels pour quarante ans de carrière complète, alors que le seuil de pauvreté a été fixé par l’INSEE à 600 euros par mois pour une personne seule.

Les retraités sont parmi les principales victimes des hausses de prix intervenues depuis l’instauration de l’euro, la monnaie unique qui devait mettre un terme à l’inflation. Que ce soient les fruits et légumes et autres denrées alimentaires, des impôts de plus en plus lourds (en particulier les taxes locales ou régionales) qui s’insèrent dans la marée montante des prélèvements obligatoires, des logements inabordables livrés sans retenue aux spéculateurs financiers, des tarifs de gaz et d’électricité en forte hausse, sans oublier le quasi doublement des prix du fioul et de l’essence.

Les retraités doivent acquitter en outre à l’instar de tous leurs compatriotes, même les plus démunis, des visites médicales à un prix plus élevé et pour une part non remboursable par leur mutuelle, s’ils ont les moyens d’y cotiser, et ils auront à prendre en charge un forfait de 18 euros sur les actes médicaux lourds et le non-remboursement de certains médicaments.

Condamnés au surendettement, les retraités vont rejoindre les 5 millions de citoyens et citoyennes en situation d’exclusion financière et bancaire, à la vente forcée de leurs biens, à la fréquentation des soupes populaires. Au final, ils ne perçoivent le salut que dans l’acte de suicide, seule porte d’entrée vers un hypothétique monde meilleur. Ce qui, dans un pays qui se targue de figurer dans le club des plus riches de la planète, relève en réalité de l’atteinte la plus scandaleuse à la dignité de la personne humaine. Que répondre en effet à votre conseiller bancaire lorsqu’il vous déclare tout de go : « En 2006 une fois déduits sur votre compte les prélèvements obligatoires, il vous restera 200 euros pour vivre ! », alors que cinq ans plus tôt, le montant de votre retraite vous permettait de subsister modestement, mais décemment ?

Rassurez-vous, braves retraités, on vous annonce une hausse de 0,2 % de vos pensions à partir de janvier 2006 ! Voilà donc vos soucis surmontés !

Quelque chose ne tourne décidément pas rond dans cette société d’abondance où l’on produit de plus en plus de richesses en quantité, en qualité, en variété, jusqu’à mettre sur le marché tant de gadgets inutiles, une publicité surabondante pour des produits dont on n’a que faire, où l’on observe dans les médias à longueur de reportages des privilégiés de fortunes mal acquises se pavanant dans des résidences de luxe, où la spéculation effrénée est mieux récompensée que le travail bien fait et où les gouvernements successifs demeurent sourds à ces réalités. Le petit peuple souffre et utilise en silence la seule arme en sa possession pour exprimer sa réprobation : le bulletin de vote. Jusqu’au jour où, excédé, il descendra dans la rue !

Comme une toupie folle

Les retraités, une espèce en voie de disparition ou au contraire un peu trop prolifique ? Certains en viennent à se demander pourquoi ces gens-là coûtent si cher aux actifs. Ne ferait-on pas mieux de pratiquer à leur égard une variante d’eugénisme ? Ils n’ont qu’à travailler comme les autres ! Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une agence de travail intérimaire vient d’être créée spécialement pour eux. On s’étonne en effet que les salariés soient déclarés “seniors” à 40 ans, qu’ils bénéficient de “confortables” pré-retraites. Pourquoi ne pas prolonger l’activité obligatoire jusqu’à 75 ans ? Pourquoi pas ? À l’heure où sévit le chômage de masse, où se multiplient les licenciements dits “boursiers”, où proclamer la cessation d’activités d’une entreprise est un honneur là où naguère une telle démarche conduisait ses dirigeants au suicide, remettre les citoyens au travail peut apparaître étonnant mais il en est bien ainsi. Bientôt, on supprimera la Sécurité Sociale, les Caisses de retraite, les établissements mutualistes, pour leur substituer les assurances vie et les fonds de pension. Adieu le “modèle français” basé sur la solidarité entre les générations ! Vive le modèle anglo-saxon, qui fait appel à l’individualisme forcené et triomphant, à la “modernité” du renard dans le poulailler ! Notre société s’est muée en toupie folle, incontrôlable : nos dirigeants scient consciencieusement la branche sur laquelle ils sont assis. Ils sont pris d’une sorte de vertige qui les entraîne vers l’abîme. À moins qu’ils ne manquent singulièrement de courage, ou s’abandonnent à la pusillanimité, en dénonçant des dérives qu’ils perçoivent bien, tout en éludant les remèdes.

Nos politiciens font mine de prendre des initiatives en multipliant les textes de lois qui ne sont jamais suivis de décrets d’application, des mesures qui relèvent de la pure technocratie sans consultation préalable des aspirations populaires, les structures inopérantes, de comités en commissions, les dépenses dispensées pour faire plaisir au petit nombre. Et lorsqu’une loi est votée, la boucle est bouclée, la société est transformée, les consciences au garde-à-vous. Alea jacta est...

Un univers fort étrange...

Les médias servent de courroie de transmission aux élans populistes, pas nécessairement populaires, dès lors qu’ils sont vite perçus comme des promesses non tenues. Nos politiciens se révèlent d’excellents comédiens (certains n’ont aucun mal à s’y convertir) et les beaux parleurs ont la cote. Ils font partie de la société du spectacle, aux côtés de cohortes de jolies filles à la poitrine pigeonnante et au nombril apparent, comme autant de danseuses orientales en chaleur, levant les bras sur des rythmes chaloupés, à l’instar des chanteurs à la mode.

Ils ont l’art de faire oublier le loft de 600 mètres carrés aménagé aux frais du contribuable, n’hésitent pas à étaler leur vie privée dans la press people, ou à se ménager de confortables prébendes en violant délibérément, sans que personne ne trouve à y redire, la loi sur les cumuls. Un Ministre d’État, tout à la fois chef de parti, Président de Conseil général, et non des moindres, voire maire adjoint d’une commune importante, j’en passe et des meilleures, affirme publiquement sa capacité à accéder a la magistrature suprême, ce à quoi il aspire ouvertement, comme un glorieux fleuron ajouté à son palmarès. À moins qu’entre temps l’Histoire ne les juge sévèrement (ce qui leur pend au nez comme un sifflet de deux sous), ceux-là n’ont rien à redouter pour leurs vieux jours, on leur trouvera toujours un siège de sénateur, ou de conseiller au Conseil économique et social, ou encore une rente de situation dans les palais dorés de la République.

Pendant ce temps-là, le petit retraité, à l’instar de ses collègues salariés, souffre et peine à équilibrer son budget.

Curieuse conception d’un gouvernement ami du peuple, dans une démocratie où “le marché” boursier régule tout, décide de tout, résout tous vos problèmes, mais laisse sur la rive une majorité de citoyens, condamnés à subir, résignés, l’injustice.

En ignorant délibérément les quelques mesures de bon sens qui permettraient de déboucher sur une société plus juste, plus équitable et en fin de compte plus harmonieuse, ils passent sous silence une relève qui ne demande qu’à s’exprimer mais qui, faute de moyens, d’outils de communication, demeure dans l’ombre.