Incohérences
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Mise en ligne : 4 juin 2006
La Banque nationale du Danemark a annoncé le 31 mars un surplus de 36 milliards de couronnes (4,8 milliards d’euros), en précisant en tête de son communiqué qu’il s’agissait d’une première « depuis la deuxième guerre mondiale » [1]. À la fin des années 1980, la dette danoise atteignait presque 50 % du produit national brut (PNB). La politique de réduction de cette dette, entreprise depuis vingt ans, a finalement été couronnée de succès. Le Danemark rejoint ainsi le petit cercle des pays qui se sont débarrassés de leur dette extérieure. « C’est aussi le signe que notre économie est très saine, commente J.Thustrup, le directeur d’IFKA, un institut danois d’analyse de la conjoncture. Et cela montre au reste du monde que l’on réussit plutôt bien ». Pourtant, le ministre des finances, Thor Pedersen, a prévenu qu’il ne s’en suivrait ni baisses d’impôts ni hausse de la consommation : « Nous pouvons être heureux sans distribuer de cadeaux ». Les économistes danois expliquent que la bonne situation actuelle est aussi due au fait que depuis une dizaine d’années, le Danemark est devenu exportateur net de gaz et de pétrole. Même s’il est prévu que la croissance se tasse cette année (2,4% contre 2,8 en 2005), le taux de chômage devrait baisser à 4,4 %, l’excédent public serait de 2,25 % du produit intérieur brut (PIB) tandis que la dette publique devrait également être réduite à 30 % du PIB.
Or ces succès ne suffisent pas au premier ministre “libéral” A. F. Rasmussen, car le 4 avril, il a présenté un plan de réforme à long terme de l’État-providence qui prévoit notamment une hausse de l’âge de la préretraite de 60 à 63 ans, applicable à partir de 2017, et la possibilité, à compter de 2025, de toucher sa retraite à partir de 67 ans au lieu de 65 ans aujourd’hui. S’il a annoncé une hausse des fonds pour la recherche publique, il a aussi prévu un durcissement des règles pour les chômeurs “trop peu actifs” (sic). Selon le gouvernement, ces réformes sont destinées à garantir la pérennité de l’État-providence. Refrain connu !
La riposte n’a pas tardé : le 17 mai, avec 70.000 manifestants à Copenhague, 100.000 dans tout le Danemark (qui ne compte que 5,4 millions d’habitants), le pays a connu la mobilisation la plus massive depuis vingt ans [2]. La France “qui manifeste pour un oui ou pour un non” aurait-elle fait école ? Toujours est-il que le mouvement initié par les syndicats et soutenu par le parti social-démocrate, a fortement irrité le gouvernement, en pleine négociation avec l’ensemble des partis politiques, y compris les sociaux-démocrates, afin de dégager un consensus et une majorité parlementaire pour faire aboutir ces “réformes” de l’État-providence.
Un très grand nombre de jeunes ont pris part à ces manifestations, notamment pour s’opposer au projet gouvernemental de réduction des bourses d’études. (Le Danemark est le pays qui consacre la plus grande part de son PNB à ces bourses). Le gouvernement souhaite que les jeunes démarrent plus vite dans la vie professionnelle et passent moins de temps à leurs études [3].
Nous ne polluons pas assez !!
Le Monde du 2 mai annonçait une catastrophe d’un nouveau genre, sous le titre : « la Bourse des “droits à polluer”, Powernext, essuie un mini-krach ».
De quoi s’agit-il ? Le journaliste expliquait d’abord le fonctionnement de Powernext : « En application du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre, l’Europe a attribué près de 2 milliards de certificats à ses entreprises, dont 156 millions à la France pour 1.100 sites industriels (25 millions pour Arcelor, 21 millions pour EDF, ...). Chaque jour, suivant leur activité et la pollution qu’ils génèrent, les industriels peuvent échanger ces quotas de gré à gré, en acheter et en vendre au comptant sur Powernext ou les négocier sur les marchés à terme, comme celui de Londres. »
Puis il déplorait que ces marchés venaient de « subir la même dégringolade » car « les émissions de CO2 n’ayant pas atteint le niveau attendu, de nombreux certificats risquent donc de ne pas trouver preneur. D’autant que, au terme de la première période d’attribution, qui court jusqu’à la fin de l’année 2007, leurs détenteurs ne pourront pas en reporter l’utilisation ».
Ainsi, dix mois après son lancement, on constate que la Bourse française du dioxyde de carbone subit de fortes turbulences... à cause de l’amélioration imprévue de la qualité de l’air ! En effet, le prix du certificat d’émission (un droit à polluer équivaut à 1 tonne de CO2) échangé sur ce marché est tombé de 30 euros le 19 avril à 13,19 euros le 28 avril. Pour des groupes comme Rhodia, qui y ont beaucoup investi, cela représente des pertes sensibles. Comme quoi un bien pour la santé publique ne fait pas le bonheur des spéculateurs sur le marché.
Pour le directeur de Powernext, la « raison fondamentale » de ce mini-krach est la faiblesse imprévue des émissions de CO2 en France, aux Pays-Bas, en République tchèque, en Estonie et en Belgique (Wallonie). Ce sont en effet 36 millions de tonnes de CO2 qui n’ont pas été rejetées dans l’atmosphère en 2005, dont 18 millions pour la France. Et la chute pourrait se poursuivre si, dans les prochains jours, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne annonçaient aussi qu’elles ont moins pollué que prévu.
Encore un problème dû à une croissance trop faible...!!
[1] Le Monde, 19/04/2006.
[2] Le Monde, 19/05/2006.
[3] À la différence de la France, beaucoup de jeunes Danois en quittant l’école passent plusieurs années (4 ans en moyenne ) à voyager et à travailler avant d’entamer leurs études supérieures. Le gouvernement voudrait que cet intermède diminue afin que les jeunes entrent dans la vie active au moins un an plus tôt.