1932 - La grande relève des hommes par la machine
Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006
Ce titre résume la constatation du bouleversement des rapports de l’homme et de son économie. C’est pourquoi Jacques Duboin le reprit pour le journal qu’il fonda à cette époque. Il créa aussi, avec un groupe de collaborateurs qui se développe très vite, une association dont le but est de répandre ses thèses en faisant réfléchir. Son nom : « Droit au Travail ».
NE SOYONS PAS UTOPISTES.
...QU’IL soit bien entendu que l’extraordinaire complication des rapports sociaux dépasse, de beaucoup, la force de prévision de l’entendement humain. Vous ne me ferez donc pas tomber dans l’erreur commune des gens qui bâtissent des sociétés de toutes pièces. Les socialistes sont passés maîtres dans l’art d’édifier la cité future, et nos braves attardés de l’économie libérale font comme eux ; ils fabriquent une société composée d’hommes intègres, sages, raisonnables, alors qu’il y aura toujours, tant qu’il existera des hommes, des esprits ardents et inquiets qui se feront des ennemis, des savants qui chercheront à se faire des réputations, des caractères insinuants qui se feront des partisans, et des politiques qui tireront partie des passions de tous les autres.
Si vous me demandez, simplement, dans quelle voie notre société capitaliste pourrait s’engager pour éviter de disparaître brutalement, c’est une autre affaire. Du moment que nous ne vaticinons pas, je veux bien vous confier que je ne vois pas pourquoi la race humaine serait condamnée au travail à perpétuité ? Ou alors il ne fallait pas la doter d’un cerveau grâce auquel elle oblige la matière à travailler à sa place. Des trésors de patience et d’intelligence ont été dépensés par des générations pour inventer et mettre au point des machines qui, de plus en plus, remplacent le travail des hommes. Nous assistons aujourd’hui à la grande relève des travailleurs par la matière disciplinée et animée d’une force de production.
Ne peut-on concevoir une évolution du capitalisme qui tienne compte de cette relève, sans obliger les troupes qui descendent des lignes à mourir de faim ?
Au cours des siècles passés, tous les hommes, sans exception, étaient mobilisés pour la guerre, incessante et sans merci, que la faim, la soif, le froid font à notre pauvre humanité. Tout le monde devait gagner sa vie au prix de la sueur de son front, et passer tous ses jours dans les tranchées du champ de bataille.
Mais voici que, comme au cours de la grande guerre, la défense s’organise, le matériel vient se substituer, en partie, aux poitrines vivantes. Il faut des effectifs de plus en plus réduits pour tenir les lignes contre cet ennemi héréditaire : la misère humaine. Les hommes sont relevés de la fournaise ; petit à petit ils sont libérés de l’obligation de lutter pour leur vie. Ces soldats qui descendent vers l’arrière, ce sont des libérés, des hommes dont on a plus besoin puisque, sans leur présence au chantier, la communauté possède enfin tout ce qui lui est nécessaire.
Les libérés d’autrefois s’appelaient les rentiers. Aujourd’hui, ce sont les chômeurs. Les uns comme les autres ne sont pas indispensables pour la production des richesses. Jamais les récoltes n’ont été plus abondantes, ni les stocks plus élevés.
Un pays devrait donc être fier du nombre d’hommes dont le progrès permet d’économiser l’effort. Le chômeur, au lieu d’être la rançon de la science, devrait en être la récompense.