Le marché ou la démocratie ?
par
Publication : mai 1005
Mise en ligne : 3 novembre 2006
Guère plus de trois semaines ne resteront aux électeurs français, quand paraîtra ce numéro, pour réfléchir avant de lier leur avenir, et pour des décennies, en acceptant ou non le texte de traité élaboré sous la direction de V.G.E. et proposé comme constitutionnel.
Que l’approuvent ceux d’entre eux qui souhaitent que l’Europe soit cette zone de libre échange organisée depuis cinquante ans, ils sont logiques, ils souhaitent que règne la loi du plus fort parce qu’ils sont certains de faire partie des gagnants. Leur vote ne tient compte que de leurs intérêts mercantiles, et c’est leur droit.
Tout aussi logiques sont ceux qui le rejettent parce qu’ils veulent que l’Europe soit l’Union de ses peuples et non pas celle qui a été préparée sans eux. Mais au lieu de croire indéfiniment des promesses rassurantes, ils ont fondé leur opinion soit en constatant les effets de cette Europe telle qu’ils la vivent (voir par exemple, pages suivantes, comment se décide une transformation radicale de l’enseignement), soit parce qu’ils ont eu le courage de lire le texte trop long et pas simple du traité, et de refuser de se laisser culpabiliser par toutes les annonces de catastrophes s’il était rejeté.
Ces menaces sont aussi la preuve que cette Europe qu’on nous propose de développer préfère le marché à la démocratie. Et que c’est bien entre marché et démocratie que se situe le choix à faire [*].
Ne pas se prononcer est une lâcheté que rien ne justifie.
Quand il s’agit de choisir un candidat, l’abstention ou le vote blanc/nul, peut avoir pour prétextes qu’aucun des programmes présentés ne convient, et qu’on n’est jamais sûr qu’un élu sera fidèle à ses promesses. C’est le problème de la démocratie représentative, qui n’est préférable qu’à l’absence de consultation, quand les décisions sont prises par des “personnalités” qui n’ont pas été élues.
Mais il s’agit d’accepter ou de refuser un texte qui nous engage directement, et il concerne définitivement déjà 456 millions de personnes dans 25 pays, bientôt plus, paraît-il, dont chaque électeur français est ainsi, personnellement, co-responsable de l’avenir.
Et cet électeur devrait aussi savoir que si le oui l’emporte c’est la dernière fois qu’il sera directement consulté, puisque dans son article I-46 le traité proposé « fonde le fonctionnement de l’Union européenne sur la démocratie représentative », excluant ainsi le référendum.
S’il se défile devant cette dernière occasion de donner son avis, qu’il ne vienne pas ensuite protester ou critiquer : en laissant faire, il a pris, mais par lâcheté, sa part de responsabilité. Il n’aura donc plus, ensuite, qu’à supporter avec humilité, sans broncher, toutes les conséquences du vote des autres et de leurs élus.
DERNIÈRE MINUTE.
Ce numéro était bouclé quand a eu lieu sur TF1 l’entretien direct, à l’Élysée, entre Jacques Chirac et un “panel représentatif des jeunes” sur le traité soumis à référendum ; mais je tiens à utiliser ce bas de page pour dire mon enthousiasme pour cette démonstration, involontaire, mais tellement éloquente, de l’immensité du fossé qui sépare les “responsables politiques” de la réalité du peuple, de ses soucis, de ses aspirations.
Il faut en tirer la leçon : dans le Conseil de l’Union européenne (qui partage avec la Commission le pouvoir exécutif, rappelons-le), le Président de la République et les ministres qu’il a choisis sont les porte-parole du peuple français : ils parlent en son nom et ils décident pour lui. En constatant cette distance astronomique qui les sépare de lui, et au moment de voter, il faut se demander si cette incompréhension vient des personnalités actuellement en fonction ou bien du mode de fonctionnement de l’Union.
[*] Rappel des analyses, à propos du traité, présentées à nos lecteurs au cours des derniers mois, pour les aider à peser le sens de leur vote (les numéros cités sont encore disponibles) :
GR 1043, MAI 2004 : QUEL AVENIR NOUS PRÉPARE LE PROJET DE CONSTITUTION POUR L’UNION EUROPÉENNE ? (Les raisons de s’opposer à ce projet. Ses implications nationales. Ce que nous voulons.)
GR 1044, JUIN 2004 : Les élections européennes QUESTIONS AUX CANDIDATS SUR LE PROJET.
GR 1049, DÉCEMBRE 2004 : DOSSIER : LE RÉFÉRENDUM : La vraie question. L’Europe du libéralisme (résumé des principes et lignes de force sur lesquels les gouvernements ont établi et signé le traité. Les aspirations sociales du PS sont incompatibles avec cette politique néolibérale). Non à la société des marchandises. Relevé d’articles du traité qui le rendent inacceptable.
GR 1051, FÉVRIER 2005 : Les autres textes de la Convention (Le préambule du traité constitutionnel contient des explications qui serviront à interprêter la Constitution et qui limitent les libertés annoncées).
GR 1052, MARS 2005 : Dérive à gauche, réponse aux éléphants qui trompent énormément. Aux urnes citoyens ! (Réactions d’un lecteur).
GR 1053, AVRIL 2005 : L’agitation autour de la directive Bolkestein sur la libéralisation des services. Incohérence verte (En quoi le projet est incompatible avec les aspirations au développement durable des écologistes).