— Pourquoi tant de hâte ?
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Publication : mai 2005
Mise en ligne : 3 novembre 2006
Lu dans Le Monde du 18 février dernier : « Prendre les lycéens de vitesse. Confronté à une mobilisation qui ne désarme pas contre son texte, François Fillon, le ministre de l’éducation nationale, a déclaré la procédure d’urgence, mercredi 16 février, sur le projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école. Déjà dépouillé de la réforme du baccalauréat, le texte ne passera donc qu’une fois devant chaque Chambre du Parlement… » Pourquoi une telle hâte ?
En septembre 2003, le Ministre de l’éducation nationale crée la commission du Débat national sur l’avenir de l’école. Elle est présidée par Claude Thélot. Derrière son but officiel de réformer le système éducatif français (qui en a bien besoin), son objectif implicite était d’éteindre l’agitation qui avait secoué les établissements scolaires au printemps précédent, agitation motivée par les nouvelles mesures de décentralisation et la volonté d’adapter prioritairement les futures formations aux besoins d’une économie concurrentielle caractérisée par la précarisation des salariés. Cette volonté de réforme n’est pas propre à la France. Elle touche tous les pays industrialisés et trouve son inspiration dans les travaux internationaux élaborés au sein de l’OCDE [1] et de l’Union européenne. Le Débat national sur l’avenir de l’école n’est donc qu’une mise en scène, ses véritables finalités étant différentes de celles annoncées. En France, comme dans l’ensemble des pays membres de l’OCDE, les réformes ne sont plus le résultat de débats démocratiques à l’échelle d’un pays.
Mi-septembre 2004, un rapport de l’OCDE sur l’éducation souligne les retards de l’enseignement supérieur français : la France est l’un des pays industrialisés où le taux d’échec des étudiants est le plus élevé en début de parcours et où l’université est l’une des moins bien loties [2] financièrement par les collectivités publiques dont dépend l’essentiel de son financement [3].
Par contre, en ce qui concerne les études courtes (IUT, BTS) destinées à une insertion professionnelle rapide, la France, avec un taux de réussite de 72% des inscrits, figure dans la moyenne des pays de l’OCDE. Mais les diplômés de ces filières obtiennent des rémunérations environ 40% plus faibles que celles des diplômés de l’enseignement du “supérieur long”. Ce qui, a priori n’est pas choquant, mais qui a pour conséquence de reléguer la France parmi les « pays d’imitation et non d’innovation » [4].
Octobre-novembre, les grandes lignes du projet de loi sur l’école sont connues et donnent lieu à de nombreux débats dans la presse [5].
Le 26 novembre, le projet de loi « d’orientation pour l’avenir de l’école » est transmis aux syndicats de l’éducation. Le gouvernement le considère comme une priorité pour 2005. Après avis consultatif du Conseil supérieur de l’éducation, il sera transmis au Conseil d’État, puis présenté en janvier en conseil des ministres avant d’être examiné par l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi comprend six articles et fixe au système éducatif des objectifs chiffrés qui devront être atteints « d’ici 2010 » [6]. Il précise que « la scolarité obligatoire doit au minimum garantir l’acquisition par chaque élève d’un ensemble de connaissances et de compétences indispensables ». Pour les élèves qui auraient des difficultés à maîtriser les enseignements correspondants, le chef d’établissement proposera aux familles de mettre en place un « contrat individuel de réussite ». Dans cette mouture, le projet de loi n’aborde ni la réforme du baccalauréat et ni le recrutement de 150.000 enseignants sur cinq ans, questions qui, à ce moment-là, devaient faire l’objet d’un arbitrage de l’Élysée et de Matignon.
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Début janvier, les raisons de la hâte gouvernementale commencent à filtrer. Le Monde titre [7] :
« Le projet Fillon oriente l’école vers l’Europe et l’entreprise », et précise dans le corps de l’article : « Le projet de loi sur l’avenir de l’école présenté mercredi 12 en conseil des ministres, marque une rupture dans l’histoire de l’éducation nationale par l’importance donnée aux engagements européens en matière d’éducation. Une série d’objectifs assignés au système éducatif par la loi sont justifiés par les conclusions de sommets européens depuis cinq ans ». Alors que les précédents textes de loi sur l’école restaient essentiellement dans un cadre strictement français, le projet Raffarin-Fillon s’appuie explicitement sur le “processus de Lisbonne” adopté par l’Union européenne en mars 2000.
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En bref, comme le souligne Christian Laval [8] : « Claude Thélot et François Fillon n’ont fait en réalité que suivre le chemin dans lequel les gouvernements français de gauche comme de droite se sont engagés depuis longtemps, celui de la construction d’une Europe d’inspiration très libérale au sein de laquelle la connaissance est regardée principalement comme un facteur économique au service de la compétitivité ».
[1] OCDE = Organisation de coopération et de développement économique.
[2] Annuellement (en parité de pouvoir d’achat) la France dépense 6.995 dollars par étudiant, les États-Unis 20.098, le Royaume Uni 8.101 et la Suède 8.386 . Ce qui situe la France en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE.
[3] Selon le rapport de l’OCDE, la part de l’État et des collectivités locales représente 85,6% du financement global ; dans les pays anglo-saxons et asiatiques, la part du financement public est bien moins importante. En revanche, les droits d’inscriptions sont bien plus faibles en France que dans ces pays.
[4] Selon les termes d’Elie Cohen et Philippe Aghion, Le Monde, 21/1/ 2005.
[5] Voir, par exemple, « École : les échéances dérisoires et les autres », par Philippe Meirieu, Le Monde, 25/11/2004
[6] On verra pourquoi dans l’article qui suit.
[7] Le Monde, 12/01/2005.
[8] Auteur de « L’école n’est pas une entreprise », éd. La Découverte, 2004.