— Parce que Mme Reding l’exige
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Publication : mai 2005
Mise en ligne : 3 novembre 2006
Afin de couper court aux protestations lycéennes, le ministre français de l’éducation, François Fillon, s’est vu pressé par le Président de la République d’accélérer son projet de réforme.
Au même moment, en Belgique francophone, la ministre Arena affirme vouloir boucler son “Contrat stratégique pour l’éducation” avant les vacances d’été, en dépit d’une vive opposition. En Italie, le gouvernement Berlusconi entend bien, lui aussi, aller de l’avant dans l’application du plan Moratti, pourtant extrêmement contesté par les enseignants, les élèves et les parents. En Angleterre, le gouvernement a proposé une augmentation du budget de l’éducation en échange d’une mise en œuvre rapide du plan “Education and Skills : Investment for Reform” (lire à ce sujet “L’école britannique livrée au patronat” dans le Diplo d’avril). En Allemagne, le gouvernement fédéral et les Länder viennent de mettre en place, dans l’urgence, un programme d’évaluation des systèmes éducatifs, destiné à coordonner les politiques régionales. Au Danemark, une réforme de l’enseignement secondaire supérieur est également prévue pour l’année en cours. La liste est encore longue…
Quelle mouche a piqué les ministres européens de l’éducation ? — Elle se nomme Viviane Reding.
Peu connue du grand public, même des enseignants, l’ancienne Commissaire européenne à l’éducation, devenue Commissaire chargée de la société de l’information et des média, vient pourtant d’obtenir un pouvoir immense : celui de dicter aux pays membres de l’Union européenne le contenu et le rythme des réformes de leurs systèmes d’enseignement et de les orienter selon un objectif unique : mettre l’école européenne au service de l’économie européenne, ainsi que le prévoit la “stratégie de Lisbonne”.
Il y a un peu plus d’un an, le 11 novembre 2003, la Commission européenne publiait une communication d’une importance capitale, qui n’a pas reçu à l’époque toute l’attention qu’elle méritait. Dans ce document, intitulé “Éducation et formation 2010”, Mme Reding s’érige en juge des politiques éducatives nationales. Elle se dit satisfaite parce que « des efforts sont déployés dans tous les pays européens pour adapter les systèmes d’éducation et de formation à la société et à l’économie de la connaissance », mais, ajoute-t-elle, « les réformes entreprises ne sont pas à la hauteur des enjeux et leur rythme actuel ne permettra pas à l’Union d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés ». Au terme d’un long réquisitoire, largement alarmiste, le texte de la Commission entreprend d’énumérer ce que devraient être les priorités des gouvernements pour les années suivantes. La Commission “propose” également des mécanismes de contrôle afin d’assurer que chacun respecte ces priorités. « À défaut, dit la Commission, il est prévisible que l’écart entre l’Union et ses principaux concurrents grandira et, plus grave encore, que la réussite de la stratégie de Lisbonne dans son ensemble s’en trouvera fortement compromise. » Avant d’entrer dans le détail de la note de Mme Reding, rappelons tout d’abord ce qu’est cette “stratégie de Lisbonne” qui constitue désormais la référence incontournable de toute politique éducative en Europe.
LISBONNE, STOCKHOLM, BARCELONE
En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne, constatant que l’Union européenne se trouvait « face à un formidable bouleversement induit par la mondialisation et par les défis inhérents à une nouvelle économie fondée sur la connaissance », avait retenu un objectif stratégique fort : l’Union devait, d’ici à 2010, « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Le Conseil soulignait que ces changements appelaient non seulement « une transformation radicale de l’économie européenne », mais aussi « un programme ambitieux en vue de moderniser les systèmes de sécurité sociale et d’éducation ». Comme le reconnaît la Commission européenne dans sa communication de 2003, cela revenait à décider de l’instrumentalisation totale de l’enseignement au service de la compétition économique : « Jamais auparavant le Conseil européen n’avait accordé une telle reconnaissance au rôle joué par les systèmes d’éducation et de formation dans la stratégie économique et sociale et l’avenir de l’Union ».
Encore fallait-il traduire les objectifs généraux de Lisbonne en une stratégie cohérente en matière de politique éducative. C’est ce à quoi se sont attelés les ministres de l’éducation lors des Conseils de Stockholm (mars 2001) et de Barcelone (mars 2002). À Stockholm, les ministres décidèrent de retenir trois objectifs stratégiques : « améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes d’éducation et de formation,… faciliter l’accès de tous aux systèmes d’éducation et de formation… et ouvrir au monde extérieur les systèmes d’éducation et de formation ». Nous verrons plus loin ce que signifient, ici, les mots “qualité” et “ouverture”. À Barcelone, ces trois objectifs stratégiques furent traduits en treize “objectifs concrets” comme : « développer les compétences de la société de la connaissance », « augmenter les investissements dans le capital humain », « renforcer les liens avec le monde du travail » ou encore « développer l’esprit d’entreprise ». Ces objectifs communs furent fondus en un document stratégique : « Education et formation en Europe : systèmes différents, objectifs partagés », publié en 2002. Enfin, en mai 2003, la Commission fit adopter cinq critères d’évaluation ou “benchmarks” afin de juger de la mise en oeuvre de la stratégie commune.
L’ÉCOLE AU SERVICE DE L’ÉCONOMIE
Les systèmes éducatifs des sociétés capitalistes avancées affrontent désormais une contradiction majeure : comment concilier la modernisation de l’enseignement au service de l’économie avec des contraintes budgétaires de plus en plus restrictives ? La réponse à ce dilemme est au cœur de la stratégie élaborée à la suite de Lisbonne. Elle consiste à adapter l’enseignement à un environnement économique hautement imprévisible et à un marché du travail où les niveaux de qualification tendent davantage à s’étirer, à se polariser, qu’à s’élever. Si la “société de la connaissance” réclame un nombre croissant de spécialistes de différents niveaux (formations professionnelles, techniques et supérieures) dans certains secteurs bien particuliers, le marché du travail crée aussi, paradoxalement, de plus en plus d’emplois à très faible niveau de qualification. En France, après une chute régulière depuis plusieurs décennies, le nombre des emplois non qualifiés a recommencé à augmenter, passant, selon l’INSEE de 4,3 à 5 millions au cours des dix dernières années. Ces travailleurs dits non qualifiés doivent pourtant disposer d’un grand nombre de compétences : savoir lire, écrire, calculer, se servir d’un traitement de texte ou d’Internet, savoir prononcer quelques phrases standardisées dans deux ou trois langues européennes dont, obligatoirement, l’anglais. D’où la nécessité de préciser les “compétences de base” dont ils devront être porteurs. Dans ce contexte, la vision classique de la “démocratisation” (plus exactement, de la “massification de l’enseignement”, pensée comme une hausse générale et continue de l’accès aux savoirs pour tous…) peut aujourd’hui être remplacée par une vision duale et flexible : renforcer et spécialiser les formations supérieures ou techniques des uns, tout en abaissant la formation commune au rang d’un socle minimal de vagues compétences “sociales” et “transversales”. Quant à la mise à jour des connaissances et des compétences des travailleurs, pour assurer le maintien de leur productivité dans un environnement technique et économique en évolution rapide, ce sera l’affaire, non plus du système éducatif formel, mais de la formation “tout au long de la vie”. Certes, il n’y aura pas d’emploi pour tous, mais en assurant l’employabilité de tous dans ces postes de travail précaires et flexibles, on augmente la réserve de recrutement de main d’œuvre … et on garantit ainsi le maintien d’une pression constante sur les salaires.
Voici comment le document Éducation et formation en Europe définit les compétences nécessaires dans la prétendue “société de la connaissance” : « non seulement savoir compter, lire et écrire, mais aussi des compétences de base en sciences, langues étrangères, l’utilisation des TIC et des technologies, la capacité d’apprendre à apprendre, les compétences facilitant la vie en société, l’esprit d’entreprise et ce qui pourrait être qualifié de culture générale ». Remarquons au passage qu’ailleurs on ne parle plus guère de « ce qui pourrait être qualifié de culture générale ». Cette “compétence” semble bien ne figurer là que pour la forme. En revanche, on précise soigneusement ce que l’on entend par “esprit d’entreprise” et comment y parvenir. L’éducation et la formation devraient, nous dit-on, « faire comprendre la valeur de l’entreprise au sens le plus large possible du terme, c’est-à-dire l’empressement pour résoudre des problèmes, l’investissement en termes de temps et d’efforts en vue de réussir, la volonté de prendre des initiatives et des risques raisonnables ». À cette fin, l’un des moyens préconisés est de renforcer les liens entre l’école et le monde de l’entreprise. En effet, la Commission estime que les systèmes d’éducation et de formation d’Europe sont trop souvent « repliés sur eux-mêmes » et qu’ils ont « besoin de cette collaboration pour devenir euxmêmes des organisations d’apprenants, pour rester ouverts aux évolutions, aux contributions, aux idées et aux talents de l’extérieur, et pour conserver - ou acquérir - leur utilité face aux besoins réels des personnes qui s’y forment ». C’est ce constat, ce déficit d’adaptabilité de l’enseignement face aux demandes rapidement changeantes de l’environnement économique, qui justifie un discours prônant toujours plus de décentralisation, de dérégulation et d’autonomie : « des institutions plus ouvertes et plus réceptives seront [...] plus à même de stimuler l’esprit d’entreprise et d’initiative dont les étudiants, les personnes en formation et les diplômés ont besoin ». Sur le plan des investissements à consacrer en vue d’atteindre les objectifs fixés à Lisbonne, la Commission explique qu’il s’agit d’une part d’assurer « une distribution équitable et efficace des ressources disponibles » et d’autre part de développer « le potentiel des partenariats entre les secteurs public et privé ».
MADAME REDING SE FÂCHE !
Ce programme, tous les ministres y ont souscrit. Et nous pouvons, en France, en Belgique, en Italie et ailleurs, témoigner des efforts qu’ils ont consentis pour le mettre en application. Pourtant, dans sa communication de novembre 2003, la Commission se met en colère et énumère une longue série de critiques à l’adresse des ministres de l’éducation qui, estime-t-elle, font bien mal leur travail. Passons brièvement en revue les principales d’entre elles :
• 1. La commission regrette qu’il n’y ait « aucun signe d’une augmentation substantielle des investissements totaux (publics et privés) dans les ressources humaines. » Constatant que l’effort public est dans l’impossibilité d’augmenter et qu’il a même diminué dans la plupart des États membres au cours de la période 1995-2000, la Commission conclut à un « sous investissement du secteur privé, en particulier dans l’enseignement supérieur et dans la formation continue. » Par rapport à l’Union, l’effort privé est cinq fois plus important aux États-Unis (2,2% du PIB contre 0,4%) et trois fois plus au Japon (1,2%).
• 2. La Commission estime « insuffisants », les efforts réalisés en vue de renforcer l’accès aux « compétences de base ». Elle s’inquiète en particulier de l’accès aux langues étrangères. Malgré une légère augmentation…, on reste « très loin de l’objectif fixé par le Conseil européen de Barcelone » : garantir que tous les élèves/étudiants apprennent au moins deux langues étrangères.
• 3. La Commission critique également les taux élevés d’échec scolaire “aux coûts individuel, social et économique élevés”. Elle rappelle que l’objectif est de ramener de 20% à 10% (en 2010) le taux d’élèves quittant l’école sans diplôme. Cet objectif peut sembler généreux, mais n’oublions pas qu’il implique, dans l’esprit des dirigeants européens, d’abaisser les exigences de l’enseignement obligatoire au rang des seules “compétences de base” indiquées ci-dessus.
• 4. La formation professionnelle reste, aux yeux de la Commission, trop peu adaptée aux exigences actuelles de l’économie. « Peu de pays se sont vraiment engagés à faire de la filière professionnelle et de l’apprentissage en entreprise une alternative aussi attrayante que l’enseignement général ». Dès lors, « de nombreux secteurs doivent faire face à une pénurie de main d’œuvre qualifiée ». Il convient ici de nuancer cette notion de pénurie. Elle signifie généralement, non pas une pénurie réelle, mais plutôt un taux de chômage sectoriel inférieur au taux de chômage moyen, ce qui tend à limiter la capacité des employeurs à faire pression sur les salaires et les conditions de travail et, par voie de conséquence, entraîne une perte relative de compétitivité par rapport à d’autres secteurs, dotés d’une réserve de recrutement plus vaste.
• 5. À l’autre extrême de la hiérarchie des emplois, la Commission estime que l’enseignement supérieur européen n’est « pas suffisamment compétitif ». Elle rappelle à cet égard que « la place de l’enseignement supérieur dans la stratégie globale de Lisbonne dépasse de loin le programme de réformes de structures initié par la Déclaration de Bologne ». Les questionsclés, pour assurer aux universités européennes leur place dans le grand marché de l’enseignement supérieur, qui se dessine à l’horizon 2010 (dans le cadre de l’AGCS), sont « le financement, la diversité des institutions dans leurs fonctions et leurs priorités, la mise en place des pôles d’excellence, l’attrait des carrières ou le travail en réseaux ». Le signe que l’enseignement supérieur européen n’est pas encore prêt pour constituer un vaste marché, c’est, estime la Commission, le fait que la mobilité des étudiants reste faible. Elle ne concerne annuellement que 120.000 étudiants Erasmus, soit 0,8 % de l’effectif total.
• 6. La Commission stigmatise enfin la trop faible participation des citoyens européens aux initiatives de formation tout au long de la vie, censées assurer le maintien de leur productivité. Les lacunes en ce domaine résultent, aux yeux de Mme Reding, d’une « vision trop limitée aux exigences de l’employabilité » ou « d’un accent trop exclusif mis sur le repêchage de ceux qui sont passés à travers les mailles de l’éducation initiale ». Ces éléments se justifient, reconnaît la Commission, mais ils ne constituent pas à eux seuls une stratégie d’éducation et de formation tout au long de la vie.
LA RÉCRÉ EST FINIE…
Une fois ce constat accablant étalé sous le nez des mauvais élèves-ministres, Mme Reding, en bonne institutrice, passe à la phase de la “remédiation”. Elle va donc non seulement préciser aux cancres ce qu’elle attend d’eux mais, surtout, elle leur promet d’être désormais beaucoup plus stricte et de contrôler tout cela de très près. Si la didactique moderne prône de « placer l’apprenant et non le programme au centre », les méthodes pédagogiques de la Commission et de la maîtresse Reding vont, en revanche, s’avérer beaucoup plus directives.
Certes, on admet encore que « les priorités guidant les réformes et l’action sont définies par chaque pays, en fonction de conditions et de contraintes qui lui sont propres », mais « il est essentiel que cette réflexion et ces choix nationaux prennent désormais pleinement en compte les objectifs communs fixés au niveau européen dans le cadre de la stratégie de Lisbonne ». La Commission demande dès lors que chaque pays « fasse connaître ses priorités politiques d’investissement et de réforme dans l’éducation et la formation à court et à moyen terme, ainsi que la contribution à la réalisation des objectifs européens pour 2010 qu’il en attend ». Cet exercice devra ensuite permettre d’identifier « les domaines clés qui conditionnent le plus directement la réussite de chaque pays et celle de ses citoyens dans l’économie et la société de la connaissance et ceux qui requièrent des efforts de réforme et d’investissement plus soutenus ». En d’autres termes, chaque pays devra être capable de justifier, devant Madame Reding, comment les réformes qu’il entreprend dans le domaine de l’enseignement répondent bien aux stratégies européennes définies depuis Lisbonne. Pour juger du travail de chaque ministre, on aura recours à ce que les sciences de l’éducation appellent “l’évaluation externe” : un « groupe de haut niveau » sera chargé de « faire le point des politiques nationales ... et de définir les domaines de coopération les plus urgents ».
En réponse aux débats récurrents, dans différents pays, sur la manière de concilier les réformes nécessaires avec les impératifs budgétaires actuels, la Commission martèle, avec une clarté renouvelée, l’orientation à suivre. D’une part, dit-elle, on peut envisager « la réorientation vers l’éducation et la formation de ressources existantes affectées à d’autres secteurs où le rendement économique et social est plus limité » (la culture ? l’audiovisuel ? les soins de santé ?). Mais surtout, partant du constat que « le secteur public ne peut seul supporter le poids financier de la mise en œuvre de l’objectif fixé à Lisbonne », c’est le secteur privé qui devrait « avoir à assumer une responsabilité plus grande au niveau des investissements nécessaires dans l’éducation ». Elle estime dès lors “nécessaires” des mesures d’incitation pour un investissement accru de la part des entreprises et des individus. En vue de développer l’éducation et la formation tout au long de la vie, la Commission exige « des réformes radicales et la mise en œuvre de stratégies nationales véritablement globales, cohérentes et concertées, elles-mêmes en phase avec le contexte européen ». Et pour contraindre les plus médiocres des ministres à faire preuve de diligence, Madame Reding pose des balises claires : « au plus tard en 2005, tous les pays devraient avoir défini une telle stratégie, en impliquant tous les partenaires concernés, et un plan d’action cohérent pour sa mise en œuvre portant sur toutes les dimensions des systèmes (formels et non formels) ». Plus question de laisser la bride sur le cou des gouvernements nationaux. On va développer et (faire) adopter des « références communes (...) pour plusieurs aspects importants de l’éducation et de la formation tout au long de la vie ». Elles concerneront les principes de validation des compétences non formelles, la définition des compétences clés “que chacun devrait acquérir”, la définition des compétences et qualifications nécessaires aux enseignants et aux formateurs “pour assumer leurs nouveaux rôles”, et les principes de base à respecter “pour une mobilité de qualité”. Ces références communes devraient être développées en 2005 et « leur utilisation systématique dans tous les pays constituer une priorité ». Pour ce qui est plus précisément du socle commun de compétences pour l’enseignement obligatoire, la Commission préconise la définition, en 2005, « d’une référence communautaire pour un profil de connaissances et de compétences européennes à acquérir par les élèves » ce qui « permettrait de soutenir et de faciliter l’action nationale en la matière ». Il est certain que si Thélot, Fillon ou Arena peuvent dire, à propos de leur vision minimaliste de la formation obligatoire au niveau du collège ou du premier degré secondaire « nous n’avons pas le choix, c’est un accord européen », cela leur facilitera grandement la tâche sur le plan politique...
Même en matière de recrutement et de formation des professeurs, l’Europe entend dicter sa loi aux pays membres. Ceux-ci devront « prendre des mesures pour attirer vers le métier d’enseignant et de formateur les meilleurs talents et les y garder, y compris par l’encouragement et la récompense des bonnes performance » (entendez : le paiement au mérite et le démantèlement des droits statutaires qui garantissent par exemple, aujourd’hui, qu’un prof de langue maternelle - excédentaire sur le marché du travail - sera aussi bien payé qu’un mathématicien, qui est une denrée rare).
Mais surtout, ces nouveaux enseignants il faudra « les préparer à leurs nouveaux rôles… » À cette fin, chaque pays devra mettre en place, en 2005, « un plan d’action en matière de formation continue du personnel éducatif (qui doit) avoir un impact positif sur l’évolution des carrières ».
S’agissant des formations techniques, professionnelles et universitaires, la Commission réclame la création d’un « cadre européen servant de référence commune… » et « la création d’une plate-forme d’assurance qualité ou d’accréditation dans l’enseignement supérieur (en liaison avec le processus de Bologne) ». La Commission dit être « déterminée à tout mettre en œuvre pour les faire aboutir d’ici 2005 » et elle « s’attend » à ce que les États membres fassent de même.
En résumé, la Commission impose que le projet Education et Formation en Europe devienne « dans les faits, un élément central dans la formulation des politiques nationales ». Mais plus question de faire, à ce sujet, confiance aux mauvais élèves-ministres, empêtrés face à des résistances jugées corporatistes, des traditions nationales, forcément obsolètes. Étant donné le peu de temps qui reste pour agir, la Commission s’arroge désormais le droit « d’assurer un suivi plus structuré et plus systématique des progrès réalisés ». Les États membres devront ainsi lui fournir chaque année « un rapport consolidé sur l’ensemble de leur action d’éducation et de formation contribuant à la stratégie de Lisbonne ».
Au moment où les pays européens s’apprêtent à ratifier (avec ou sans référendum) le projet de traité constitutionnel européen, les manœuvres en cours dans le secteur de l’enseignement préfigurent à quelle portion congrue seront réduits les marges de manœuvre des gouvernements nationaux et les droits des citoyens européens, puisque cette constitution ne leur accordera aucun pouvoir nouveau face à une Commission européenne toujours plus puissante, enfermée dans le dogme inamovible et fondateur de l’Europe actuelle, selon lequel ce qui est bon pour les marchés et les entreprises est bon pour tous… |