Au fil des jours


par  J.-P. MON
Publication : mai 2005
Mise en ligne : 3 novembre 2006

VOTEZ « OUI »,
LE MARCHÉ RECONNAÎTRA LES SIENS !

Il y avait le « Oui, mais… » de Giscard d’Estaing à De Gaulle en 1967. Avec le « oui contre-nature » d’une partie du PS et des Verts, c’est toute une floraison de « oui » qui apparaît. Répondant au « oui arc en ciel » de Raffarin lors de ses vœux à la presse le 10 janvier, François Hollande [1] invente le « oui fort, franc et socialiste » qu’il essaie d’expliquer ainsi : « Fort, car c’est notre oui qui convaincra les Français que ce traité, rien que ce traité, est le seul enjeu de la consultation, que l’Europe est entre nos mains [à moins que ce ne soit le contraire… !!] si nous en décidons. Il doit être fort car la confiance est sur nous et pas sur celui qui pose la question ».

Puis, le 31 mars arrive le « bénit oui-oui » du Conseil des Églises chrétiennes de France, « parce que le texte apporte des améliorations substantielles aux traités existants… Nous nous félicitons de la reconnaissance par le traité de l’identité particulière des Églises et de leur contribution spécifique au débat public ». Adieu laïcité !

Le 8 avril naît le « oui clair, sans angélisme » de Jean-Marc Ayrault, porte-parole du PS : « …Alors que les Français ne se trompent pas de colère, par peur de voir notre modèle social et républicain se déliter ! Les responsables européens ont leur responsabilité dans l’euro fort qui bloque la croissance, dans le gel absurde de son budget, l’inertie face aux délocalisations. Je peux comprendre la tentation du non de ceux qui en sont victimes. Mais je récuse la défausse qui fait de l’Europe la cause de tous nos maux. Elle n’a jamais demandé la privatisation d’EDF et des services publics. Jamais exigé la mise à mort des 35 heures ni des retraites par répartition ; pas milité pour le gel des salaires… Toutes ces inégalités relèvent de choix gouvernementaux. Nulle Constitution ne les fabrique ».

Est-il naïf ou n’a-t-il pas lu, comme bien d’autres de ses amis, le traité dont l’article III-181 précise : « Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres… d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres » ? A-t-il oublié que c’est le gouvernement Jospin qui a effectué le plus grand nombre de privatisations ? Connaît-il l’activité de Mme Reding ?

Un autre qui n’a pas bien lu le traité, c’est Daniel Cohn-Bendit (Verts). Car, avec son « oui qui s’assume » du 7 avril, il dit croire que : « cette Constitution définit les objectifs d’une Europe aidant le développement durable, tendant au plein emploi, militant pour une mondialisation libre et équitable et dont la prévention des conflits constitue le cœur de la politique étrangère… » !

D’autres « oui » verront sans doute le jour d’ici au 29 mai, mais leurs divers partisans doivent se rappeler qu’on ne distinguera pas la gauche de la droite quand on dépouillera les bulletins : les « Oui quelque chose » seront des « Oui » tout court. Impossible de faire la différence ! Il sera impossible de se compter. Camarades socialistes votez « Non », c’est plus simple … et plus socialiste !

ERRARE HUMANUM EST…

La journaliste Ariane Chemin prend un malin plaisir [2] à rappeler quelques uns des arguments qu’avançaient en 1992 Fabius, Emmanuelli et autres Mélenchon pour défendre le « oui » à Maastricht. Comme la plupart de ses confrères de la presse écrite ou de la télévision, elle veut montrer combien sont incohérents les socialistes partisans du « non » : ils ne respectent pas le vote des militants, la discipline du parti, ce sont des irresponsables [3] etc… À dire vrai, c’est le « non » qu’ils veulent diaboliser.

Mais que disaient donc les “pestiférés” d’aujourd’hui avant le référendum de 1992 ? — Laurent Fabius, dans divers journaux : « c’est la première fois que, dans un traité, il est dit que le social va progresser. Si l’on vote « non », on ira en arrière sur le plan social […].Partout le monde du travail appelle à la ratification du traité […]. Le chemin du progrès social passe par le « oui » […]. Tous les partis de gauche, dans tous les pays d’Europe sans aucune exception, ont pris position pour le traité de Maastricht… ».

Henri Emmanuelli, dans son livre Plaidoyer pour l’Europe, appelait à voter « oui »au traité. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il expliquait que « le rejet du traité de Maastricht au nom d’une critique anticapitaliste de la construction européenne procède d’un profond contresens ».

…PERSEVERARE DIABOLICUM…

Ce sont ces mêmes arguments qu’on retrouve aujourd’hui dans la bouche de François Hollande et des défenseurs du « oui » … mais après douze ans d’Europe maastrichienne et de reculs sociaux !

Parce qu’on a dit « oui » un jour, il faudrait continuer ? Parce que ça ira mieux demain, lorsque les gouvernements socialistes seront majoritaires dans les 25 ou 28 pays de l’Union ? Nous n’avons quand même pas la mémoire aussi courte que ça ! Qu’ont-ils fait dans les années 80 pour s’opposer au libéralisme débridé de la Commission, présidée d’ailleurs par un des leurs, alors que de nombreux pays membres avaient des gouvernements socialistes ?

Fabius, Emmanuelli, Mélenchon et autres partisans actuels du « non » pouvaient se tromper en 1992. Errare humanum est…

Mais, eux, ils ont au moins tiré les leçons de l’expérience de ces douze dernières années. Hollande et ses amis sont restés de grands naïfs. Perseverare diabolicum !


[1Lors de la réunion des secrétaires de section du PS du 30 janvier 2005.

[2Le Monde, 13-14 /03/2005.

[3Remarquons, à l’inverse, que personne n’a relevé la détermination affirmée d’Elisabeth Guigou « d’approuver le traité en tant que députée lors du vote du texte par l’Assemblée », même si le non l’emportait au sein du PS (Le Monde, 2/12/2004)