La vraie question
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Publication : décembre 2004
Mise en ligne : 4 novembre 2006
Estimez-vous que le fric doit toujours avoir priorité sur l’humain ? Etes-vous satisfait des réformes de “modernisation” du système des retraites, de la sécurité sociale et des soins de santé ? Voulez-vous que soit poursuivie la privatisation des services publics et supprimés tous ceux qui ne sont pas suffisamment rentables ?
Répondre au référendum, c’est répondre à ces questions. Et définitivement.
L’EUROPE DES POLITICIENS…
La façon abusive dont le projet de traité constitutionnel, élaboré comme un traité puis présenté comme une constitution, est d’abord une fraude envers la démocratie. Une constitution s’établit par des peuples qui décident de s’unir : ils fixent eux mêmes, en commun dans une assemblée constituante, les principes et les règles d’organisation de leur union. Les juristes qualifient d’“originaire” ce pouvoir démocratique. Or la Convention n’a pas été formée de représentants élus à cette fin, ce qui, pourtant, était possible. On peut donc déjà se demander pourquoi les européens concernés ont été dépossédés de ce pouvoir.
Le choix des membres de cette Convention est également significatif. Son président (V. Giscard d’Estaing) et son vice-président ont été désignés par le Conseil des gouvernements des pays qui constituaient alors l’UE, ces 15 pays étant représentés par 66 personnes, membres de la Commission ou des Parlements, dont 12 pour la France (9 hommes et 3 femmes, politiquement répartis en 1 extrême droite, 5 UMP, 2 UDF et 4 PS). Mais 39 autres membres, donc plus du tiers, ont été désignés par les gouvernements des 10 pays qui n’ont été admis dans l’UE que le 1er mai 2004, et par des pays qui n’en font pas partie : la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie !
C’est donc en violant la démocratie que ce traité est présenté abusivement comme un acte fondateur. Et on nous demande de l’adopter comme le socle fondant l’Europe pour des décennies ! Que les électeurs de certains des pays concernés (pas tous, d’ailleurs) aient le droit de donner un avis en bloc, par oui ou par non, sur un texte dont le 437ème article commence par « Le présent traité établissant une constitution… etc » n‘empêchera jamais qu’il s’agit d’un coup fourré.
…POUR FIGER LA POLITIQUE ACTUELLE
Il ne s’agit pas d’une simple question de forme, purement juridique. Car lorsque des peuples établissent eux-mêmes leur constitution, ils ont évidemment soin de se donner des règles qui assurent leurs propres pouvoirs et veillent donc à laisser aux gouvernements qu’ils éliront par la suite la possibilité de définir leurs politiques, en particulier leurs politiques économiques. Ce traité fait le contraire. Et compte tenu de ce qui précède, on ne saurait s’étonner que l’orientation ainsi choisie soit néolibérale, c’est-à-dire celle impulsée par M. Thatcher et D.Reagan au début des années 80. Politique qui a, peu à peu, été admise même par des gouvernements qui se prétendaient de gauche, ou “socio-démocrates”, tels ceux de Blair en Grande-Bretagne, de Schröder en Allemagne et de Jospin en France. Depuis qu’elle est à l’œuvre, aux États-Unis comme en Europe, l’État-providence est démantelé à coups de réformes qui, toutes, et quels que soient les discours, font passer le développement, la liberté et la prospérité… des capitaux, loin devant les Droits de l’Homme et de son environnement.
Il suffit donc de regarder comment a évolué la situation sociale dans ces pays pour comprendre ce que signifient les objectifs de “concurrence libre et non faussée”, de croissance et d’économie “hautement compétitive”qu’il s’agit de fixer comme idéal politique, et que le traité, adopté après quelques modifications par la Conférence intergouvernementale en juin à Bruxelles, puis solennellement signé en octobre à Rome, imposera désormais aux gouvernements, quels qu’ils soient, si la majorité d’entre nous répondait oui au référendum de 2005.
Cet engagement est tellement énorme qu’on a même du mal à comprendre que des responsables politiques qui, dans leurs discours, prétendent se démarquer de la politique actuelle, en exprimant même quelques aspirations plus sociales, puissent s’être laissés leurrer au point de l’approuver ! Choqués par cette attitude, puis par le ton des débats, nous avons voulu lire le texte, pour pouvoir juger par nous-mêmes. C’est alors qu’une autre remarque s’est imposée : depuis que le traité est figé, et qu’on sait que les électeurs vont pouvoir se prononcer, il n’a toujours pas été mis à leur disposition ! Il est significatif qu’une vaste campagne se soit déployée pour le “oui” sans qu’aucune institution, ni parti politique, ni média à leur solde n’ait eu souci de diffuser le texte qu’ils défendent par tous les moyens. Comment osent-ils prétendre que voter “non” serait irresponsable en affirmant qu’il faut les suivre sans avoir de quoi juger par soimême ? Alors qu’en prenant l’initiative de diffuser le texte in extenso, les partisans du non ont manifesté qu’ils ne craignent pas que leurs arguments puissent être vérifiés. Merci donc, au passage, à l’inconnu qui nous a adressé, sous enveloppe mais sans son adresse, le numéro hors série d’octobre du journal l’Humanité contenant le texte intégral (environ 70 pages, ce n’est pas la mer à boire) sur lequel nous aurons à nous prononcer.