Proche Orient : les chemins de la paix

actualité de la violence
par  G.-H. BRISSÉ
Publication : avril 2004
Mise en ligne : 8 novembre 2006

L’article qui suit était écrit le 1er mars dernier…

Que de dramatiques évènements sont venus depuis confirmer que l’escalade de la violence, quand les victimes rivalisent de sauvagerie avec leurs bourreaux, n’est pas la solution des conflits !

Et en dernière minute, l’assassinat de Cheikh Yassine sur ordre d’Ariel Sharon fait craindre encore pire…

« C’est plus qu’un crime, c’est un acte stupide. Il ouvre un nouveau chapitre dans le conflit israelo-palestinien, qui passe du niveau de conflit national soluble à celui d’un conflit religieux, insoluble par nature. »
Uri Avnery,
dans Gush Shalom,
à propos de l’assassinat de Cheikh Yassine,
22 mars 2004.

Ils se nomment Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin. Le premier est un proche de l’Autorité Palestinienne de Yasser Arafat ; le second se situe à gauche de l’opposition travailliste israélienne.

Ces deux personnalités se sont retrouvées à Genève pour y signer un projet de traité de paix officieux qui entérine de longues tractations préalables, et affirme « leur détermination à mettre fin à des dizaines d’années d’affrontements et de conflits pour vivre dans une coexistence pacifique, dans le respect mutuel et la sécurité fondés sur une paix juste, durable et globale, et pour parvenir à une réconciliation historique ».

Tout un programme, lorsque l’on sait qu’en Israël et en Palestine, chaque jour apporte son lot de morts, sans que ni la communauté internationale ni les téléspectateurs s’en émeuvent outre mesure. La routine, en somme. Les “plans de paix” ou autres “feuilles de route” succèdent aux opérations de vengeance et de représailles, mais le retour à un ordre de paix durable demeure une illusion.

Cette politique des petits pas, liée à la dégradation économique, au pourrissement social, aux destructions sans fin, laisse le champ libre à l’éclosion de tous les extrémismes qui recourent au terrorisme pour imposer leur loi. Dans ce concept, le mot “terreur” inclut la haine, le mensonge, le recours à la violence, voire au chantage, toutes pratiques incompatibles avec le respect de la dignité de la personne et l’intégrité des communautés.

Le recours au terrorisme, individuel ou collectif, est haïssable, quand bien même il se réfère à un idéal qui se veut élevé ou à des pulsions de désespoir, voire de suicide dans l’esprit du martyr. L’expérience montre qu’il fait le lit de toutes les dictatures, au nom du rétablissement de la loi et de l’ordre. Mettre fin à ses jours par de tels procédés, c’est porter atteinte à l’existence d’hommes, de femmes et d’enfants innocents qui n’ont pas imaginé une telle fin. Qu’on le veuille ou non, cette attitude est criminelle et doit être condamnée comme telle. Comme sont condamnables ceux qui encouragent ou organisent de tels comportements.

« Assez de sang et de larmes. Assez ! » s’exclamait déjà, dix ans plus tôt, Itzhak Rabin, l’ancien Premier ministre israélien, l’un des initiateurs des accords d’Oslo, ratifiés par la Knesset en octobre 1995. Hélas, cet ancien “faucon” converti en soldat de la paix ne survécut pas longtemps à son rêve de réconciliation israélo-palestinienne et tomba sous les balles d’un Juif fanatique. Quant aux accords d’Oslo, ils trouvèrent leurs limites dans la politique systématique de conquête de terres nouvelles par les colons Israéliens et la reprise d’une Intifada palestinienne propice à toutes les représailles sanglantes.

Une monstrueuse imposture

La recherche d’un compromis de paix israélo-palestinien constitue donc le nœud gordien de tout règlement de paix généralisé au Proche et Moyen Orient. Et la rencontre de Genève prouve bien qu’une telle évolution est possible, même si, dans le détail, telle ou telle proposition jugée non satisfaisante peut être discutée. De telles initiatives doivent être encouragées et soutenues.

Encore convient-il de donner un sens précis au concept de paix. S’agissant des États-Unis d’Amérique, qui se posent en “gendarmes du monde”, on peut partager cette conception d’une “pax américana” et se placer sous la protection du parapluie yankee. Cette attitude serait sans doute acceptable si cette conception d’un bouclier planétaire contre tous les terrorismes s’avérait efficace. Ce qui est loin d’être le cas.

On nous objectera que les autorités américaines condamnent ouvertement le terrorisme, donc doivent être soutenues comme telles. L’attentat parfaitement concerté du 11/9/2001 contre le World Trade Center a révélé tout autant l’incurie et les défaillances d’organismes de renseignements tels la CIA, que l’omniprésence d’une pieuvre terroriste dénommée Al Qaïda. Il a mis à nu les carences du système de sécurité américain et l’absence de concertations réelles entre les différents services et corps d’armée.

Pourtant, les avertissements n’avaient pas manqué : attentats contre le USS Cole, les ambassades américaines en Afrique, puis des casernes ou autres quartiers résidentiels en Arabie Saoudite.

On a parfois comparé cette offensive à celle des Nippons contre Pearl Harbor en 1941 laquelle détermina les États-Unis à entrer en guerre aux côtés de leurs Alliés contre les puissances de l’Axe. Aujourd’hui, on évoque “l’Axe du mal”, c’est-à-dire un ensemble d’États désignés comme “voyous” parce que leur comportement stratégique et diplomatique a la particularité d’être non-conforme aux intérêts américains. Cette désignation arbitraire d’un adversaire fictif ou réel dépasse de très loin la personne et les œuvres d’un Ben Laden, hier créature de la CIA, comme l’étaient les talibans afghans lorsqu’il s’agissait de s’opposer à la présence soviétique en Afghanistan.

L’Afghanistan constitua la cible privilégiée de l’hyper-puissance yankee. Il y avait là une revanche à prendre tout à la fois contre le pouvoir des talibans ultra-islamistes et l’organisation Al Qaïda dont la terre afghane abritait les bases d’entraînement. L’irruption des troupes américaines à Kaboul se faisait en concertation avec les Alliés (en particulier européens) sous le couvert de l’ONU. Elle pouvait se justifier non seulement par la présence de Ben Laden et de ses partisans, mais par le caractère particulièrement dictatorial et odieux du régime politique instauré par les “étudiants en théologie”.

L’intervention américaine en Irak est d’une toute autre nature. Elle apparaît comme une monstrueuse imposture dont les populations qui composent l’Irak sont les premières victimes.

Le régime laïque de Saddam Hussein maintenait dans cette nation dont les frontières sont héritées de la colonisation, un minimum de cohésion entre ses composantes fort disparates au prix, il est vrai, d’une répression féroce. Les États Unis ont cru utile d’écarter de toutes les responsabilités les anciens militants du BAAS, les transformant du même coup en ennemis irréductibles. Non seulement ils n’ont pas réussi à doter l’Irak d’une force de sécurité efficace, mais l’insécurité généralisée a transformé ce pays en plaque tournante et en champ clos de tous les terrorismes, contre lesquels le régime de Saddam Hussein était le meilleur rempart.

Quelle reconstruction ?

L’autre erreur majeure de Washington fut de vouloir jouer cavalier seul en écartant délibérément l’ONU d’un règlement diplomatique de l’imbroglio irakien. Le Conseil de Sécurité devint ainsi le théâtre de furieux débats entre partisans et adversaires d’une intervention militaire en Irak. La diplomatie française eut beau jeu, avec à ses côtés l’Allemagne, la Russie et la Chine, de dénoncer les graves dérives de ce type d’intervention unilatérale et ses graves conséquences prévisibles… Dans un premier temps, les bombardements massifs eurent raison de la résistance irakienne. Cette intervention ressemblait fort à une fiction télévisée. Mais à la différence du feuilleton Stargate-SG1, les héros ne trouvèrent pas un épilogue heureux.

Il ne suffit pas de gagner une guerre ; encore convient-il de maintenir la paix sur le terrain. En fait de reconstruction, les États-Unis de M. Georges Bush junior ont donné l’exclusivité à quelque 71 entreprises américaines proches du pouvoir en place et se sont adjugé les royalties du pétrole irakien ; en bref, ils se sont comportés comme de vulgaires seigneurs de la guerre, une gigantesque mafia mue par le fallacieux prétexte de défendre une civilisation qu’ils veulent “chrétienne”, animée en réalité par un esprit de haine et de conquête peu compatible avec celui des Évangiles

Les Iraniens qualifient les États-Unis de Grand Satan. Nous observons le choc de deux intégrismes, l’un qui ose s’affirmer chrétien, et l’autre, qui se réclame d’une version édulcorée de l’Islamisme. L’un et l’autre cherchent à s’annihiler réciproquement au nom d’un même dieu, Yahveh d’un côté, et Allah de l’autre !

Aujourd’hui, l’équipe gouvernementale en poste à Washington, mal élue et qui ne représente qu’une partie (la plus conservatrice) de l’opinion publique américaine, a l’audace de solliciter l’intervention de l’ONU dans un pays dont elle a sciemment organisé la destruction et le pillage, où sa présence est haïe et son retrait souhaité. L’opprobe des opinions publiques mondiales n’a d’égale que dans le constat des dégâts causés par la présence yankee partout où elle s’est manifestée par exemple dans l’ex-Yougoslavie sous le couvert de l’OTAN, où l’on voit l’ancien président Milosévitch, qu’on souhaitait éliminer de la scène politique, continuer à tirer les ficelles d’un nationalisme serbe exacerbé par les lenteurs de la reconstruction. Les Serbes, hier maîtres du Kosovo, sont aujourd’hui pourchassés par leurs anciens adversaires albanais sans que l’ONU puisse s’y opposer. Et Milosévich s’est offert le luxe de se faire élire député ! L’Afghanistan est plus de jamais livré aux seigneurs de la guerre et les talibans y reviennent. L’intervention américaine, comme en Somalie, au Libéria et plus récemment en Haïti, n’a engendré que des régimes mafieux, à l’image de leurs maîtres.

La paix, mais à quel prix ?

Si la référence au gâchis vietnamien revient en force, c’est à travers le passé du candidat démocrate à la présidence des États-Unis, John Forbes-Kerry, hier héros de la guerre du Vietnam, puis pacifiste opposé à l’intervention américaine. Il trouvera sur sa route un Ralph Nader, plus déterminé que jamais à défendre les consommateurs contre les “lobbies” économiques et financiers, un environnement salubre et à appeler ses compatriotes, en particulier la masse des abstentionnistes, à se rallier à ses thèses. Le candidat J.F. Kerry est francophone, d’origine française par sa mère et s’affiche comme un ami de la France et de la vieille Europe. Gageons qu’il saura trouver les voies les plus conformes aux idéaux de paix et de générosité des pères fondateurs de la grande nation américaine.

Le problème numéro un qui se pose désormais est de tenter d’endiguer une extension du conflit mondial où nous ont précipités les extrémistes de tous bords. Les tentacules de la pieuvre terroriste s’étendent, sur fond de prolifération des armements nucléaires, du Pakistan aux États-Unis, de Bali en Indonésie au Kenya, de la Palestine à la Turquie, de la Tunisie au Maroc, de l’Irak à l’Égypte. L’Europe est relativement épargnée [1], mais pour combien de temps ? Et l’on oublie qu’Israël est, aussi, une puissance nucléaire !

La lutte contre le terrorisme ne passe pas nécessairement par l’utilisation des méthodes employées entre autres, par la CIA américaine, qui n’a toujours pas su tirer les leçons de son incompétence, au Vietnam et ailleurs.

Il s’agit de savoir de quelle manière nous pouvons aboutir au retour à la paix en Palestine, au Proche et Moyen Orient, en permettant aux États-Unis de trouver, sans perdre la face, une solution appropriée. Tel est très certainement le souhait profond d’un John F. Kerry.

Deux échéances se profilent actuellement, à la fois porteuses de tous les espoirs et exposées à tous les dangers. Le 6 juin prochain sera commémoré l’anniversaire du débarquement allié, en présence du président américain mais aussi - une première ! - du chancelier allemand. En septembre, le congrès républicain tiendra ses assises, prélude aux élections présidentielles américaines de novembre 2004. On conçoit le souci des chancelleries européennes de tourner la page du dossier noir palestinien et irakien. Mais à quel prix, et dans quelles perspectives ?


[1C’est également avant les attentats qui ont cruellement frappé l’Espagne que ce texte a été écrit.