L’Argentine s’émancipe
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Publication : juin 2003
Mise en ligne : 17 novembre 2006
La situation sociale en Argentine fait l’objet de très peu d’informations. C’est dommage, parce qu’un témoignage comme celui de Miguel Benasayag, que France-Culture a diffusé le 12 mai dernier alors qu’il rentrait de ce pays, était fort instructif.
L’Argentine est en effet un cas d’école politique et sociale, parce qu’un an et demi après la dévaluation du peso et les insurrections qui ont renversé quatre gouvernements l’un après l’autre, on pouvait s’attendre à un chaos délirant. Et il n’y a pas eu de chaos. Certes, la misère, qui existait bien avant les évènements, est toujours là, mais alors qu’on faisait semblant de ne pas la voir, maintenant, on la regarde, et ça fait une grande différence. Car si le chaos n’a pas eu lieu c’est parce que le tissus social a tenu grâce aux réseaux de solidarité et à des expériences extrêmement intéressantes. Il y a maintenant une multitude d’organisations populaires diverses et variées, de terres occupées, et des centaines et des centaines d’usines qui se gèrent elles-mêmes. Non seulement de petits ateliers artisanaux, mais aussi de très grandes usines, une compagnie aérienne et même un très grand hôtel de Buenos-Aires fonctionnent en autogestion.
Et ces entreprises ont réussi le tour de force de faire des bénéfices. Pourquoi ? Parce qu’au moment de la dévaluation leurs productions se sont substituées aux importations, de sorte que c’est celles qui produisent à l’intérieur de l’Argentine qui font des affaires, au point que leurs bénéfices surprennent leurs anciens patrons : ils les avaient abandonnées à cause de la crise !
Or tout ceci paraît invisible tant aux politiciens, même de gauche, qu’aux universitaires et à la plupart des journalistes. Mais pas aux banquiers qui, eux, voyant un mouvement d’envergure, offrent à ces protagonistes sociaux des mini-prêts, ils tentent ainsi de participer au mouvement avec l’espoir de le rendre réversible (s’ils les font tomber dans le panneau). La question qui se pose en cette période d’élections en Argentine concerne le rapport possible entre ces mouvements sociaux et le pouvoir central, le pouvoir représentatif et les élections.
On pourrait penser que l’exemple de Lula au Brésil est la solution. Tel n’est pas du tout le choix des Argentins. Ils se sont absolument détournés de toute issue politique classique, et des élections représentatives. Menem, le candidat du plan d’austérité, du diktat du FMI et de l’armée dans la rue pour réprimer tout mouvement populaire, se retire et Kirchner, un ancien proche des Montoneros, la gauche péroniste, rassemble les démocrates. Mais ni la rue, ni les journaux argentins ne font référence à Lula, ils préfèrent rappeler ce qui s’est passé il y a un an en France en disant : « Menem-Kirchner c’est Le Pen-Chirac... » Ce qui est présenté comme un signe de dérision envers ce qu’est devenu le politique, des pantalonnades sans intérêt à côté de ce qui se passe dans la société argentine. Car si les Argentins arrivaient à crééer des rapports sociaux, économiques et financiers féconds, et à déjouer les ruses des banquiers, ce serait la plus belle chose qui puisse arriver ici-bas. Les grands médias friqués sont de plus en plus à côté de leurs pompes en ces temps de grandes incertitudes, que d’ailleurs ils cultivent.