Un débat public intéressant

Actualité
par  J.-P. MON
Publication : mars 2003
Mise en ligne : 19 novembre 2006

Comme nous l’avions annoncé dans le numéro précédent, nous avons participé le 15 février, au un débat sur le revenu d’existence et le salaire universel organisé par Attac-Strasbourg.

La séance commença par la projection de la vidéo-cassette de Pierre Carles, “Danger Travail !”, qui décrit comment vivent des gens qui ont été exclus du monde du travail par le chômage ou qui, au contraire, ont décidé personnellement de ne plus travailler.

C’était une bonne introduction au débat entre ceux qui considèrent que le travail est une valeur en soi et ceux qui estiment que ce n’est qu’un moyen de se procurer un revenu.

Notons tout de suite un point d’accord entre les débateurs : « Nous sommes globalement dans une société d’abondance […] Elle ne demande qu’un meilleur partage pour que, enfin, la peur ancestrale de manquer disparaisse à jamais de l’esprit des hommes ».

Après ce constat (que de nombreux économistes ou responsables politiques continuent à nier), Arnaud Caron (Conseiller régional Vert de Picardie) présenta sa thèse : héritage de l’après-guerre, la protection sociale connaît en France une crise profonde. Tout d’abord, elle n’a pas réalisé son ambition de couvrir l’ensemble de la population, car, basée sur la solidarité professionnelle elle a été progressivement bâtie, jusqu’à nos jours, par une série de colmatages successifs visant à répondre à des situations nouvelles, au fil des “urgences sociales”. D’où une réglementation que les spécialistes eux-mêmes n’arrivent plus à maîtriser et, a fortiori, la perte par le citoyen de la maîtrise de sa relation avec les diverses administrations. Pour lui, la solution passe par l’instauration d’un revenu minimum d’existence, cumulable avec un revenu du travail. C’est ce que Yoland Bresson et l’association AIRE proposent depuis longtemps.

Bernard Friot (Professeur de sociologie à l’Université Paris X) rappelle tout d’abord la différence entre travail contraint et travail libre : le travail contraint est le travail fait pour un employeur avec une idée de subordination, de compte à rendre à cet employeur, d’organisation décidée par autrui, tandis que le travail libre est celui dans lequel on a le libre usage de son temps, sans compte à rendre : c’est un travail dans lequel on est en situation d’autonomie.

On attend du salaire qu’il soit la rémunération du travail contraint. « Or la réalité est tout autre, le salaire reconnaît aussi le travail libre et c’est une nouveauté, un premier inattendu… » L’exemple type est celui du retraité : le salaire comme reconnaissance du travail libre, c’est le fait du retraité, qui n’est pas un allocataire bénéficiant de la solidarité nationale, ni un rentier qui tirerait sa rente d’une propriété accumulée au cours de son existence ; c’est un salarié qui est payé, non pas par son ancien employeur, mais par les employeurs en général, à partir de la cotisation sociale. Son bonheur tient précisément au fait « qu’il est payé à ne rien faire au sens strict du terme, c’est-à-dire payé à ne rien faire pour un employeur, il est payé pour travailler librement… » Il est tout aussi légitime, pense B. Friot, de revendiquer le maintien de leur salaire aux chômeurs et tout à fait normal que les étudiants soient payés, c’est-à-dire qu’ils « touchent du salaire », comme les retraités.

Ces mesures ne sont pas “utopiques” parce que les gains de productivité du travail, qui sont en moyenne de 2% par an, permettraient d’être à 30 heures par semaine et non pas à 35 heures, étudiants payés, chômeurs payés et, bien entendu, retraités payés. Pour cela, il faut, aujourd’hui, se battre pour le salaire, c’est à dire se battre pour que les gains de productivité du travail ne se transforment pas pour les uns en cauchemar de l’exclusion et en stress pour les autres.

Utilisant la comparaison avec les régimes de retraites qui sont en débat, M-L Duboin exposa brièvement l’économie distributive en la présentant comme une économie de répartition remplaçant l’économie actuellequi est fondée sur la capitalisation, et en soulignant le rôle de la monnaie. Elle démonta au passage l’argumentation d’A. Caron sur le salaire minimum qui, tel qu’il le propose, n’est autre chose qu’une “prime aux employeurs” et la porte ouverte à une plus grande précarisation des travailleurs.

Un long et sérieux débat s’engagea alors avec la salle, qui se révéla globalement d’accord avec les exposés de B. Friot et de M-L Duboin. Le Vert A. Caron essaya vainement de défendre sa position en disant qu’il était venu participer à une discussion sur le revenu minimum d’existence et pas à un débat politique remettant en cause le capitalisme… !!