En route vers la libération
par
Publication : décembre 1997
Mise en ligne : 2 décembre 2005
Pour terminer ce numéro spécial, quoi de mieux qu’une page d’anthologie ? Voici une des plus belles pages de Jacques Duboin elle est tirée de l’avant-propos de Libération [6] :
Serait-il impossible de voir les faits ?
Il ne faut pas, dit-on, devancer son siècle.
D’accord, mais si le siècle est très fâcheusement en retard ? Si le siècle, qui a déja réalisé plus de progrès scientifiques que tous ceux qui le précédèrent, n’a pas encore compris qu’une révolution économique et sociale était en cours dans le monde ?
Soucieux tout aussi peu de fâcher le public que de lui plaire, I’auteur se bornera à essayer de démontrer que Ies événements sont liés les uns aux autres par une fatalité invincible, et qu’il est inutile de s’insurger contre les choses.
Prométhée, en dérobant le feu du ciel pour animer les hommes, avait irrité Jupiter qui le fit enchaîner. Mais Hercule le délivra, et, libre de ses mouvements, il vient de heurter du pied notre fourmilière, plongeant Ies pauvres petites fourmis que nous sommes dans un désarroi indescriptible. Avec une naïve mauvaise foi, chacune rejette sur la voisine la responsabilité de ses déboires. Certaines surexcitent encore les passions et font jaillir la haine, arguant qu’une bonne trique fera infailliblement renaître le passé : ce sont les méchants utopistes d’aujourd’hui, rêvant de nous ramener au gland quand nous avons du blé... Serait-il impossible de voir les faits ? Ils nous rassureraient sur le jour merveilleux qui se lève. Il suffit d’abandonner un lourd bagage de préjugés, car l’homme qui s’en encombre rappelle fâcheusement la chèvre attachée à son piquet. Pourquoi accepter les idées toutes faites qu’on impose au nom de doctrinaires qui vécurent en d’autres temps ?