Attaquons le mal à sa racine
par
Publication : mai 1977
Mise en ligne : 18 mars 2008
Chômage et inflation sont les deux mamelles
du malheur de la France, et des autres pays industrialisés. Nous
avons souvent parlé dans ces colonnes du chômage, loisir
dont personne ne profite, alors que c’est l’aboutissement logique, voulu,
de siècles de recherches et d’ingéniosité déployées
par les hommes pour inventer les machines qui travaillent aujourd’hui
à leur place. Nous y consacrerons un prochain numéro.
Abordons le problème de l’inflation. N’oublions pas d’abord que
la vie économique repose sur des échanges, dont la société
ne saurait se passer, tant il est évident que chacun de nous
n’est pas en mesure de produire seul tout ce dont il a besoin.
C’est pour faciliter ces échanges que la monnaie a été
créée. C’était naturellement, depuis l’origine,
une monnaie-objet, un objet-tiers, qui permettait de différer
dans le temps le troc entre deux autres objets. Ceci répondant
à une nécessité.
Ce n’est que récemment que cette monnaie- marchandise a disparu.
Et on l’oublie trop souvent : tout a changé avec la monnaie-papier
(billets) puis avec la monnaie-scripturale (chèques) ; les lois
du marché en ont été tellement transformées
qu’elles nous font aujourd’hui perdre de vue que ce sont des biens ou
des services que nous échangeons, et non pas des chiffres. Ces
jeux d’écriture, conçus pour simplifier les relations
sociales, ont donné naissance à un tel imbroglio, à
de si invraisemblables complications, que nos économistes se
retrouvent comme l’apprenti sorcier, incapables de maîtriser ce
qu’ils ont inventé : ils ne sont pas encore parvenus à
se mettre d’accord sur la signification du mot inflation, ni seulement
pour distinguer les effets des causes : J. Rueff, l’un des plus réputés
d’entre eux, commence ainsi son dernier exposé dans « le
Monde » du 10 mai : « Contrairement à une idée
très répandue, l’inflation est cause, non effet, de tous
les désordres dont souffre l’Occident. » Comment s’étonner
alors, en voyant leurs brillants résultats, qu’ils s’y perdent
tous ?
Nous refusons de nous laisser entraîner. Et pour cela nous ne
perdons pas de vue l’origine des complications monétaires qui
nous valent tant d’interdits et tant d’absurdités : la racine
du mal se situe au niveau de la création de nos moyens de paiement,
que nous rappelons pour cela plus loin : c’est en effet en abusant de
la crédulité de nos concitoyens qu’est entretenue en eux
la conviction que seul l’Etat détient le monopole de fabriquer
ces moyens dont dépendent les échanges de la société.
Ce sont les banques qui détiennent cette ahurissante toute-puissance,
attribut essentiel de la souveraineté. Même les banques
étrangères fabriquent des francs ! Mieux encore, la Banque
de France prête à l’Etat et c’est nous, pauvres con...tribuables
qui remboursons les intérêts, sans même en avoir
conscience !
Mais d’où leur vient ce droit aberrant ? Les banques l’ont pris,
un beau jour. Et depuis, nous continuons à l’accepter, les laissant
diriger, en fait, tout le système économique des prix-salaires-
profit. Même la Gauche, qui porte aujourd’hui l’espoir de tant
de Français, n’ose pas remettre ce droit en question et voue
ainsi à l’échec tout changement de société
(on se rappelle ce qui s’est passé au Chili). Tout le monde se
comporte comme si ce droit récent et arbitraire était
une de ces lois de la nature, immuables et universelles. Même
ceux qui déplorent la lamentable course au profit qui en résulte,
avec ses méfaits, immédiats et à plus long terme
!
Ayant remis à nu la racine du mal qui nous ronge, nous apportons
des analyses sur ses symptômes, chiffres à l’appui :
- aux économistes de tout bord qui se lamentent devant l’inflation,
J. Carlesse et P. Gaffré rappellent que l’augmentation du volume
monétaire est nécessaire à un pays qui se veut
en expansion : lorsque croissent les échanges, la démographie,
la production, il faut bien que les moyens de paiement augmentent. Mais
dans le système économique actuel, cet accroissement n’est
pas maîtrisé. Il le serait en économie distributive
;
- à tous ceux qui craignent les crises comme des malédictions
divines, J. Le Morvan, en se référant à l’I.N.S.E.E.,
montre qu’une crise, encore appelée inflation, apparaît
lorsque la masse monétaire a été créée
plus vite que ne le nécessite la production. D’où notre
théorie : ne créer la monnaie que pour distribuer la production
en laissant la liberté du choix ;
- aux salariés qui s’évertuent à réclamer
leur droit de pouvoir acheter ce qui leur revient naturellement, J :
P. Mon montre que ce sont les règles du marché qui s’opposent
à ce que les salaires suivent les prix. Ce sont en effet les
lois de la comptabilité, que même les syndicats ne contestent
pas, qui font que toute élévation de salaire entraîne
une augmentation encore plus élevée des prix. Cette démonstration,
bien que faite par un physicien, ne fait appel à aucune formule
mais s’appuie sur les définitions qui fixent les règles
de la comptabilité nationale.
Comme toutes ces analyses sont arides, nous avons pensé que nos
lecteurs aimeraient ensuite se détendre. C’est pourquoi F. Lévy
leur propose de rêver avec lui à ce que pourrait être
une société vraiment socialiste.