Vous avez dit développement ?
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Publication : août 2001
Mise en ligne : 20 septembre 2008
On parle couramment de développement, mais sans jamais dire à quel type de développement on pense. En présentant le “développement” comme la solution aux problèmes des “PVD”, les pays “en voie de développement”, on cherche à faire passer pour une évolution ce qui consiste en fait à les “occidentaliser”, c’est-à-dire à leur imposer, par une force qu’on préfère cacher, la logique de l’accumulation capitaliste.
Voici donc encore un exemple du piège que cachent certains mots d’actualité. Comme on parle de mondialisation alors qu’il s’agit d’étendre les droits commerciaux des entreprises transnationales. Comme on emploie le mot monnaie sans préciser qu’il s’agit de la monnaie capitaliste, ce qui insinue qu’il est impossible qu’un autre type de monnaie puisse être institué. Le procédé est le même : le mot est accaparé pour n’en désigner qu’un sens très parti-culier, puis il est ainsi employé avec insistance de façon tellement répétée par tous les médias que ses autres sens possibles sont bientôt totalement éliminés des imaginations. On désignera sans doute bientôt par économie, tout court, celle qu’impose actuellement l’idéologie néolibérale, si bien que personne n’osera plus imaginer qu’il soit possible d’en inventer une autre. Serge Latouche montrait récemment aux lecteurs du Monde Diplomatique, que de la même manière qu’on a osé parler de socialisme réel à propos de la dictature du Parti en Union soviétique, le terme de développement désigne aujourd’hui le “développement réellement existant” au sens occidental où l’entendent les pays qui se disent eux-mêmes développés et qui exportent leur modèle de société aux autres pays du monde pour mieux les exploiter, sans laisser imaginer qu’un autre type de développement soit à leur portée.
Ce philosophe poursuit : « les imaginaires sont colonisés » malgré des efforts rhétoriques qui ne sont que tentatives de conjurer les effets néga-tifs de ce développement. Par exemple, l’adjectif “durable”, associé au mot, ne fait que permettre au concept de survivre. Mais ce qui dure, c’est bien la guerre économique car humanistes et écologistes ne font que proposer d’adjoindre un volet social ou une composante écologique à la croissance capitaliste, mais en l’aidant à durer, puisqu’ils n’osent pas remettre en question la dynamique de la concurrence. Et après Mrs Thatcher affirmant « qu’il n’y a pas d’alternative » et Fukuyama que « c’est la fin de l’histoire », Latouche conclut désespérément qu’il n’y a pas d’autre développement que ce processus mortifère et durable.
Mais pourquoi refuser d’envisager une économie telle que celle que nous proposons, et qui donnerait à chacun la possibilité de se développer selon ses aspirations propres ?
Le débat latent à propos du changement du système des retraites permet une comparaison : notre économie distributive, ou participative, est l’opposé de l’économie capitaliste exactement comme la retraite par répartition s’oppose à la retraite par capitalisation. Ce n’est plus chacun pour soi, j’accumule aujourd’hui pour avoir un droit demain sur ce que produiront les autres. Non, parce que, de toute façon, on ne vivra demain que de la production de demain. J’accepte donc, aujourd’hui où j’en ai les capacités, de participer à la production que nous nous partageons tous, j’y veille en tant que citoyen, et j’ai la garantie que demain, quand je ne pourrai plus participer, j’aurai encore ma part de la production qu’assumeront alors les actifs du moment.
L’activité devient alors, par delà les générations, participation à une œuvre commune, à son élaboration sans cesse renouvelée, et à l’équité de son partage.
Mais cette conception de l’économie est évidemment incompatible avec une monnaie capitaliste, parce que cette monnaie de dette est faite pour la croissance capitaliste, dont elle est l’instrument : elle est créée pour rapporter un intérêt, elle est prêtée, placée, jouée pour rapporter un intérêt, elle est échangée avec l’idée de gagner au change, et elle peut rapporter gros aux moins scrupuleux. La croissance ainsi basée sur l’égoïsme se traduit donc par l’accaparement, l’appropriation des savoirs et des ressources, par la course aux parts de marché, cette guerre économique permanente qui communique sa fièvre à toute la planète.
Non. à cette économie de participation il faut une monnaie de partage. Une monnaie qui ne serve qu’à répartir entre tous l’accès aux produits disponibles, donc qui ne puisse pas être placée pour rapporter un pouvoir sur l’avenir et sur les autres.
Alors le développement pourra être l’effort commun de mettre les connaissances acquises, les ressources naturelles et les moyens actuels, à la disposition de tous. Alors chacun pourra trouver la possibilité de s’y épanouir selon ses propres aspirations et refuser de se voir impo-ser son mode de vie. Et alors pourront se faire entendre ceux qui pensent que si la planète est au service de l’humanité vivante c’est avec la charge pour elle de la transmettre le mieux possible aux générations suivantes, sans qu’après elle ce soit le déluge !