René Dumont
par
Publication : août 2001
Mise en ligne : 21 septembre 2008
René Dumont aura marqué le XXème siècle de l’empreinte de sa forte personnalité. Beaucoup d’entre nous ont suivi son itinéraire avec d’autant plus d’attention et de sympathie qu’il a été, dans les années 30, l’un des fidèles accompagnateurs de Jacques Duboin, au point de demander à celui-ci de rédiger, en 1936, la préface de son pamphlet Misère ou prospérité paysanne, dans lequel il rejette violemment le malthusianisme agricole en cours à cette époque.
En 1951, alors Maître de Conférences d’Agriculture à l’Institut Agronomique, R. Dumont marquait son attachement à l’économie distributive en terminant ainsi la conclusion de son ouvrage Voyages en France d’un agronome : « Le passage à une économie de Plan, à une économie distributive, nous paraît mieux susceptible de faire évoluer en parallèle pouvoir d’achat et volume de la production. Il n’est pas démontré qu’il est impossible à réaliser dans un climat de liberté ; en tout cas il y va de l’avenir de notre Civilisation ».
Dans les années qui ont suivi, R. Dumont s’est surtout intéressé à l’Afrique, tout en dénonçant les dangers du productivisme dans les sociétés occidentales ; le militant écologiste était en train de naître.
En 1973, j’ai eu le privilège de l’inviter à tenir une conférence : la salle était pleine – plus de six cents personnes. à la fin de son introduction, R. Dumont sortit une orange de sa poche et, tout en continuant à parler, se mit à la peler, puis à la manger, quartier par quartier ; je sus par la suite que ce geste se reproduisait à l’identique de ville en ville : gestes et paroles confondus, R. Dumont se révélait un tribun efficaœ, sa candidature à l’Elysée était proche… Lors du dîner que nous avions pris en tête à tête avant la conférence, je pensai lui faire plaisir en lui rappelant sa connivence avec les idées de Duboin. à mon grand étonnement, cette évocation ne manqua pas de l’embarrasser et je lus dans son regard une lueur d’agacement. Je croyais l’incident définitivement clos lorsqu’en fin de conférence, sans raison apparente, R. Dumont se mit à fustiger ceux se laissaient porter par des visées utopiques : seule comptait l’action au quotidien de chaque individu.
Si je rappelle cette anecdote, c’est que l’attitude de R. Dumont à cette époque annonçait celle qui prévaut actuellement chez la plupart de nos élites et de nos penseurs : agissons au quotidien — ce qui est et demeure plus que jamais louable — mais interdisons-nous de déceler dans la marche de l’Histoire les prémices de la transformation en cours !
Par bonheur, R. Dumont a prouvé depuis qu’il avait cette aptitude à penser l’avenir et à agir en conséquence. Nous portons tous la tristesse de sa disparition.