Les non-dit de la FNSEA
par
Publication : mai 1982
Mise en ligne : 27 janvier 2009
LES agriculteurs ne sont pas tous loges à la même enseigne.
Un revenu moyen par tête d’exploitant a autant de signification
qu’un revenu par borne kilométrique. Il y a le revenu des gros
et des petits maraîchers qui produisent en serre, endettés
à perpétuité et comptant sur le consommateur pour
régler, à travers les prix, le coût du crédit.
Il y a le revenu des propriétaires de grands crus qui roulent
en Mercédès ou en Jaguar, emploient des gérants
et mènent une existence de grands seigneurs. Il y a les petits
besogneux qui vont sur les marchés locaux écouler - leurs
oeufs, leur petit élevage, les produits du potager aux prix du
commerce, sans acquitter ni impôts, ni dîme aux intermédiaires,
ni charges sociales. Il y a les gros céréaliers et betteraviers
qui ne se plaignent guère, leurs surplus pris en charge par les
contribuables européens. Ne parlons pas de ceux qui, favorisés
par un P.O.S., cèdent des parcelles à prix d’or aux promoteurs
de lotissements et se retirent fortune faite en ajoutant à leur
revenu les rentes d’un coquet capital.
Au lieu de manifester contre les Pouvoirs publics pour augmenter les
prix, les paysans devraient se liguer avec les consommateurs salariés
et retraités pour dénoncer les marges souvent scandaleuses
prélevées à tous les stades de la commercialisation
et qui conduisent le gros de la clientèle à réduire
le volume de ses achats, tout ce trafic, cette spéculation d’intermédiaires
qui multiplie par 5 ou 6 les prix payés aux producteurs.
Quant aux coûts de production, objet de tant de polémiques,
banques et multinationales s’y taillent la part du lion et les coopératives,
gagnées par le gigantisme, investissent « trente six fois
» plus qu’elles ne ristournent à leurs sociétaires
devenus leurs vaches à lait. Les coûts incluent principalement
les charges des prêts bancaires, les fournitures d’engrais, les
carburants, l’amortissement et l’entretien, la réparation d’un
parc de machines et de matériels aux marques hétéroclites,
des frais de transport et le reste. Pour payer tout cela et permettre
aux pauvres exploitants de joindre les deux bouts, une pluie de milliards
se déverse sur la profession, sur ses innombrables organismes
et organisations, grâce à la sollicitude des Finances publiques,
à l’inépuisable générosité des contribuables.
Endettés, sans vacances ? A qui la faute, sinon à un stupide
individualisme qui les éloigne, par idéologie, des solutions
communautaires, de l’agriculture de groupe, de l’esprit de solidarité
? Ils acceptent sottement de voir leurs efforts ruinés par des
conditions météorologiques défavorables, par une
intempestive abondance, par de trop belles récoltes.
Ils sont, aujourd’hui, victimes de l’abondance, piégés
par une règle du jeu associant leur revenu au niveau des prix.
Doivent-ils persister dans leur refus d’appuyer un changement de structures
économiques qui permettrait de mobiliser leurs efforts au seul
service du consommateur et non à celui de l’argent, du profit,
des banques, de leurs opulents fournisseurs d’aliments et d’engrais
et de la kyrielle d’intermédiaires qui ne sont pas, loin s’en
faut, des candidats à la soupe populaire ?