Comme annoncé précédemment, (GR 1133, p.5), le Comité pour l’Audit Citoyen de la dette publique (CAC, mais pas 40) a tenu ses assises nationales le 23 juin dernier à Paris. Il a publié son rapport d’étape le 2 juillet.
Avant de reproduire l’essentiel de ce rapport [1], rappelons que c’est un grand nombre d’associations diverses qui a demandé, dès l’année dernière, qu’un audit public de la dette soit officiellement organisé, pour que soit clairement connu tout ce qui touche à la dette publique (voir GR 1128, p.4). Cette demande, que les grands médias n’ont pas publiée, n’a pas été entendue par nos “responsables”. C’est donc pour un audit “citoyen” qu’un appel a été lancé, en octobre dernier, sur le site auditcitoyen.org. Il a recueilli plus de 60.000 signatures. Ce qui montre qu’en France il y a au moins 60.000 personnes, parmi celles qui ont trouvé cet appel sur internet, qui souhaitent comprendre pourquoi elles sont mises en demeure de se serrer la ceinture pour rembourser une dette qu’elles ne se souviennent pas avoir contractée.
Plus d’une centaine de collectifs locaux se sont alors formés dans tout le pays. Regroupant non seulement des citoyens militants sociaux, associatifs, syndicalistes, mais aussi des collectivités territoriales et des responsables communaux, stupéfaits d’apprendre que, sans qu’ils s’en doutent, les emprunts qu’ils avaient contractés étaient toxiques, et inquiets des conséquences de la faillite de Dexia, leur banque, sur leurs budgets.
Dès la formation du nouveau gouvernement, le CAC a écrit aux ministres concernés pour leur demander que des représentants du mouvement social et de ce collectif soient associés à un audit public de la dette et des finances publiques. Les autorités n’ont pas répondu à cette demande. Mais le CAC la maintient, estimant qu’il faut qu’un vrai débat démocratique soit officiellement organisé autour, non seulement des origines de la dette, mais aussi des alternatives possibles aux régressions sociales qui résulteraient de mesures arbitraires sous prétexte de devoir la rembourser.
Son rapport d’étape du 2 juillet, rappelle d’abord quelques vérités sur la dette, que nos lecteurs connaissent depuis novembre dernier [2]. Il s’attache ensuite à chercher d’où vient l’essentiel de la dette, estimant que « pour trouver des solutions de sortie de crise, il faut porter le bon diagnostic sur ses origines ».
Et il montre que c’est à l’État qu’il faut imputer la majeure partie du déficit, qu’on ne peut donc incriminer ni des dépenses inconsidérées de la part des collectivités locales, ni le “trou” de la sécurité sociale :
D’où vient l’endettement de l’État ?
Le diagnostic est clair : la dette publique n’est pas due à une trop grande augmentation des dépences publiques, celles-ci, au contraire, ont même plutôt baissé avant la crise : leur poids, par rapport au PIB, est resté stable entre 1985 et 2006. Donc, non, on ne peut pas dire, comme on l’entend souvent que c’est parce que « la France a vécu au-dessus de ses moyens » qu’une restriction des dépenses publiques serait “nécessaire”.
La croissance de la dette a pris sa source à deux endroits : la diminution des recettes de l’État et l’obligation d’emprunter auprès des marchés financiers.
Cadeaux fiscaux
Entre 1982 à 2010, les recettes sont passées de 23% à 15% du PIB, du fait de la réduction des impôts. Les taux du barème de l’impôt sur les revenus ont été abaissés, particulièrement celui de la tranche supérieure, qui est passé de 65% à 41% en vingt ans. Cette baisse signifie (en tenant compte de l’inflation) 19,6 milliards de moins pour l’État en 2011 par rapport à 1999. En outre, « les allègements de cotisations sociales décidés et systématiquement amplifiés depuis 1995 représentent aujourd’hui un manque de 30 milliards d’euros par an dans les recettes publiques ». Or ces exonérations, qui étaient censées faire baisser le chômage, ont, en fait, créé très peu d’emplois, tandis que la loi “Travail, emploi et pouvoir d’achat“ (TEPA) d’août 2007 a coûté 20 milliards d’euros pendant la période 2007-2011.
L’impôt moyen sur les sociétés est passé de 45% en 1986 à 33% aujourd’hui, et pour les grandes entreprises, celles du CAC40, l’impôt effectif n’est plus que de 8% : l’ensemble de ces exonérations et baisses d’impôts sur les sociétés pendant le quinquennat 2007-2012 a été estimé, par l’ancien rapporteur du budget à l’Assemblée nationale, le député UMP Gilles Carrez, à une baisse des recettes de l’État de 100 milliards d’euros par an : si la fiscalité était restée ce qu’elle était en 2000, la France aurait connu un excédent budgétaire en 2006, 2007 et 2008.
Par contre, le surplus de prélèvements sur les classes moyennes et modestes (dû, entre autres, à des hausses de la TVA) est estimé à 3 milliards.
En plus des coupes pratiquées dans les recettes de l’État, le rapport évoque « la socialisation des pertes de sociétés privées ». 275 milliards ont été versés, entre 1992 et 2010, pour compenser des exonérations de cotisations sociales dont ont bénéficié des sociétés privées. Mais l’efficacité de ces cadeaux fiscaux pour maintenir ou créer des emplois… n’est pas prouvée. Évoquant les niches fiscales, le rapport prend l’exemple de la niche “Copé” (du nom du ministre du budget qui la fit voter) : elle bénéficie quasi exclusivement aux grands groupes (96% de cette économie d’impôt profite à 250 grandes entreprises) et son coût budgétaire se situe entre 15 et plus de 30 milliards de 2004 à 2010.
Soumission aux marchés
En plus d’avoir ainsi organisé la baisse de leurs recettes, les États se sont « dépossédés de la faculté d’utiliser le financement de la Banque centrale ». Ils se sont contraints, pour financer la totalité de leurs déficits, à emprunter aux marchés financiers, en émettant des obligations publiques. Les banques qui achètent ces obligations réalisent ainsi de très bonnes affaires : elles prêtent aux États à environ 3% (taux actuel pour la France) ou même à 7% (taux actuel pour l’Italie et l’Espagne), alors qu’elles se refinancent auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à seulement 1% !
Depuis 2009, les États de la zone euro ne peuvent plus non plus décider du taux d’intérêt des obligations qu’ils émettent. Indépendance de la BCE oblige ! Conformément à l’idéologie libérale, ces taux sont donc maintenant décidés par “les marchés”, c’est-à-dire qu’ils dépendent des (trois) agences de notation (étatsuniennes) et des jeux spéculatifs des “investisseurs” (hedge funds, fonds de pension, fonds de placements, compagnies d’assurance, etc.). Et les seules charges d’intérêt (pas le remboursement) de la dette de l’État France ont coûté 47,2 milliards d’euros en 2010, soit l’équivalant de l’impôt sur le revenu des contribuables ! 2,3 points du PIB !
La logique dirigeante
![](IMG/jpg/1134_tour_vue_crise.jpg)
Le rapport présente alors une excellente analyse de la politique macroéconomique qui a mené à cette situation. Y interviennent : la politique exportatrice de nombreux pays, (Chine, Japon, Allemagne, etc.), la baisse des salaires sous prétexte que “compétitivité internationale oblige”, qui a entraîné celle de la consommation et la hausse de l’endettement des ménages, la libre circulation des personnes et des capitaux qui a permis aux ménages les plus riches et aux entreprises de choisir le pays où ils paient moins d’impôts, grâce à la concurrence fiscale, prétexte aussi pour imposer la baisse des dépenses sociales. Au final : creusement constant des inégalités.
Conséquences pour les collectivités locales
Les collectivités locales, qui assurent plus de 70% de l’investissement public en France, ont subi les effets de cette politique libérale imposée. Fin 2011, l’encours de leur dette s’est élevé à plus de 166 milliards d’euros, celui des établissements publics de santé à 24 milliards et fin 2008, celui du logement social à près de 90 milliards d’euros.
Avant le début du siècle, ce sont les Caisses d’épargne, le Crédit agricole et la banque Dexia qui leur prêtaient, à des taux fixes ou révisables. Les choses ont alors bien changé. Le rapport explique quel « engrenage diabolique » a construit cette dernière, la banque Dexia, en associant le financement qui leur était demandé avec, dans un même contrat, un produit dérivé spéculatif, constituant ainsi un prêt toxique, dont l’emprunteur supporte tous les risques, tandis qu’il permet à la banque de multiplier ses marges par 2, voire par 3.
En 2008, Dexia proposait 223 types différents de prêts, dans lesquels des majorations de taux s’ajoutaient les unes aux autres, sans possibilité de retour en arrière. Mais elle a su faire miroiter un illusoire allègement de leurs charges aux collectivités qui, suivant ses conseils, réaménageaient leurs emprunts… S’étant ainsi fait piéger, celles-ci se sont retrouvées, en 2010, devoir payer des taux d’intérêt de plus de 20% ! Et pour transformer ces prêts toxiques en prêts normaux, elles étaient mises dans l’obligation de payer “une soulte” dont le montant était parfois supérieur à la somme restant due !
Face à l’ampleur du désastre, l’État a fini par réagir. Une commission d’enquête a été créée, qui a déjà « permis de mettre en évidence des défaillances à tous les niveaux de la puissance publique, la crédulité et le manque de sérieux de certains élus, mais surtout la responsabilité des banques… Rappelons que Dexia a été renflouée par les États français et belge en octobre 2008, puis de nouveau en octobre 2011 et que son démantèlement est en cours ».
La dette publique française est détenue, en majorité, 65% environ, par des personnes ne résidant pas en France. Cette proportion commence à baisser avec la “crise de l’euro”. Le rapport reproduit à ce propos d’intéressants tableaux de l’Agence France Trésor, ainsi que la liste, par l’agence Reuters, des 50 plus gros détenteurs de la dette en 2011.
Voici la conclusion de ce rapport d’étape :
Un examen rigoureux des causes du creusement de la dette publique apporte un cinglant démenti au discours dominant : non, la dette publique n’est pas due à une dérive inconsidérée des dépenses publiques. Oui, elle provient pour une large part de la politique systématiquement orchestrée de réduction des recettes publiques. Cette politique est menée depuis trente ans au nom d’arguments fallacieux : les baisses d’impôts et les allègements de cotisations sociales n’ont pas produit les effets attendus sur l’emploi et l’activité. Ces politiques ont pour l’essentiel alimenté le creusement des inégalités de revenu, en réduisant les coûts salariaux au profit des actionnaires, et en allégeant la charge fiscale sur les plus riches.
Quant à l’aggravation brutale de la dette au cours des dernières années, elle vient entièrement de la récession provoquée par la crise depuis 2008. Or cette crise financière et économique résulte non pas de la dérive des dépenses publiques, comme veut nous le faire croire le discours officiel obsédé par les déficits, mais des dérives d’une industrie financière dérégulée, et, pour le cas européen, des failles structurelles d’une zone euro bâtie en fonction des intérêts de la finance.
Le Collectif pour l’audit citoyen de la dette publique refuse donc les politiques d’austérité car elles sont fondées sur des arguments mensongers. Nous demandons au gouvernement français de réaliser non pas seulement un audit de l’exécution de la loi de finances 2012, mais un véritable audit approfondi de l’origine de la dette publique en examinant les causes des déficits publics depuis une vingtaine d’années.
Nous sommes prêts, bien entendu, à contribuer à la réalisation de cet audit, seul de nature à éclairer les citoyens sur l’origine de la situation actuelle et sur les moyens d’en sortir.