L’été est fini
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Publication : novembre 1987
Mise en ligne : 10 juillet 2009
L’ALLEMAGNE avait donné le "la",
les élections législatives avaient reconduit sans grand
problème le Chancelier Kohl, et donc la droite, au pouvoir. L’inflation
était très faible, la balance commerciale très
excédentaire, des syndicats puissants obtenaient des réductions
d’horaires de travail sans diminution de pouvoir d’achat ; bref, chômage
mis à part - à peu près stabilisé, - le
capitalisme, "l’économie libérale" semblaient
faire le bonheur de la plus grande partie de la population. Alors, quelles
raisons de voter pour les sociaux démocrates ? Pour qu’ils réduisent
sérieusement le chômage ? Nul n’y croit plus...
Toutes les élections législatives depuis le début
de l’année ont suivi le même chemin. L’Angleterre a pour
la troisième fois donné sa confiance à la "dame
de fer", la plus fidèle partenaire du système économique
et social de l’Amérique de Reagan. N’oublions pas que déjà,
lors des précédentes élections, aussitôt
après la guerre des Malouines, 50 % des chômeurs avaient
voté Thatcher. Alors, pourquoi se gêner dans la poursuite
de la privatisation de l’économie, quitte à vendre des
parcs entiers, comme l’automobile, aux Japonais ?
Au Portugal, la révolution des -Sillets est bien oubliée,
son principal animateur en prison. Et si un "socialiste" est
Président de la République, c’est la droite qui règne.
En Italie, même le tout-puissant parti communiste a perdu des
points, passant nettement en-dessous de la barre des 30 %, Au Danemark,
la droite est également reconduite. En Argentine, les péronistes
"tiennent" désormais Alfon in, lequel avait déjà
où faire beaucoup de concessions aux militaires qui relèvent
la tête ; et la justice pour les victimes du temps de leur dictature
est bien ébréchée. En résumé, les
forces d’une droite souvent dure quand elle n’est pas dictatoriale règnent
sur le monde.
L’été semble bien fini. Reviendra-t-il en son temps ?
C’est ce qu’envers et contre tout peut et doit espérer un partisan
convaincu de l’Economie distributive.
Et la France, qui suscita tant d’espoirs en 1981 ? Même si c’est
officieusement, à coup de "petites phrases" - qui semblent
décidément remplacer les arguments dans les discours de
nos leaders politiques -, la campagne présidentielle est bien
lancée. L’enjeu est d’importance. Quand on voit ce qu’a fait
la droite depuis mars 1986 : rouages financiers, industriels, médiatiques
aux mains des petits copains notamment RPR, au point que les "200
familles" d’avant-guerre sont considérées comme réduites
à moins de 10 %, atteintes aux droits acquis, sécurité
sociale, grève, etc... on imagine aisément ce qui se passerait
si elle régnait en maître en 1988, c’est-à-dire
si le Président et la Chambre étaient de droite.
En ce qui concerne un problème pour nous essentiel, le chômage,
la droite a achevé de le banaliser. Dans ses promesses électorales,
avant Mars 1986, elle jurait de le réduire, de le "combattre".
Or peu après, Séguin lançait son fameux : "2
500 000 chômeurs, chiffre irréductible". Et les Socialistes
?
En dehors de leurs bagarres internes pour la "candidature à
la Candidature", où notamment Rocard se distingue par son
ambition forcenée - celle de sa dernière chance et non,
hélas, celle du Socialisme -, qu’offrent les Socialistes au peuple
français, "après leur expérience du pouvoir"
comme ils disent avec insistance ?
Je crois que, pour l’essentiel, il suffit de se référer
à la prestation de Jospin à "l’Heure de Vérité"
du 7 octobre.
Malgré son nouveau look (de nos jours, ça semble plus
important que les problèmes de fond), il ne fut guère
convaincant, une langue de bois, comme tous les autres. Le sondage instantané,
pour discutable qu’il soit, le lui fit bien savoir (1).
La question la plus embarrassante, la plus simple en fait, vint de C.
Cabanne de l’Humanité : le Chômage, avec cette réflexion
: "Avouez que vous avez abandonné l’idée de changer
de régime". Car cela est vrai : dans tous leurs derniers
congrès et conventions, parmi les leaders socialistes, c’est
à qui essayait de justifier les limites du changement par l’exercice
du pouvoir, la crise "internationale" incontournable ; la
réduction très lente du chômage ne peut surtout
pas être acquise par la réduction du temps de travail.
Ce sont en gros ces "arguments", ces raisons qu’évoqua
Jospin en réponse aux questions des journalistes ; un Jospin
peu combatif, comme résigné. Les privatisations ? Pratiquement,
les Socialistes ne reviendront pas làdessus. Ah, par contre,
ils s’attaqueront aux "noyaux durs". "Comment",
interroge d’un air faussement naïf Duhamel ? Jospin se perd dans
des généralités peu convaincantes.
Et pour couronner le tout, voilà qu’il relance l’investissement
cher à M. Barre. C’est grave : décidément, les
Socialistes n’ont rien compris au problème fondamental de la
société capitaliste. 1 700 000 chômeurs à
leur arrivée en 1981, 2 500 000 en mars 1986 malgré les
Tucs, la retraite à 60 ans, les camouflages "formation",
3 millions fin 1987 ; et tout cela sans que la production diminue.
Alors qu’espérer ?
Peut-être, au minimum, que la gauche, même en gérant
au mieux l’économie capitaliste, soit obligée de freiner
les mesures antisociales ; encore, ne faut-il pas oublier que c’est
elle qui a fait ce que la droite n’avait pas osé faire par crainte
de perdre les élections : bloquer les salaires tout en laissant
"s’opérer la vérité des prix"... lesquels
bien sûr ne cessèrent d’augmenter.
Avant de conclure, signalons ce paradoxe : on risque d’avoir un Président
de la République "Socialiste", si Mitterrand se représente,
et une Chambre de droite. Des élections législatives nouvelles
se dérouleraient en effet au scrutin majoritaire à 2 tours
et, avec le "charcutage" savant opéré par Pas
qua, la droite a de fortes chances de les gagner, même après
que les Français aient élu, à la proportionnelle,
un Président de "gauche". Oui, en France aussi, l’été
est fini. Pourtant, sur un autre plan, celui de la paix, il y a tout
de même des raisons de se réjouir ; le projet de désarmement
nucléaire - partiel mais important - proposé par Gorbatchev
et probablement bientôt signé avec les USA. Côté
Reagan, ne nous y trompons pas ; après l’lrangate, il a besoin
d’un grand coup pour sortir de la Maison Blanche moins honteusement
que Nixon. Et surtout, les USA, après la désastreuse gestion
économique de l’ère Reagan, ont besoin de dégager
des crédits pour la Guerre des étoiles. Donc prudence.
Néanmoins, côté désarmement, si ce n’est
pas l’été, c’est peut-être le début du printemps.
(1) Plus de 60 % des Français ne souhaitent pas voir les socialistes "venir aux affaires"... bien que la cote de F. Mitterrand caracole autour de 55 %. Et 67 % des patrons se diraient satisfaits de la gestion socialiste (on les comprend !). Curieux Français...