Il ne faut pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes


par  Philippe
Publication : novembre 1987
Mise en ligne : 10 juillet 2009

L’EMPRESSEMENT avec lequel nos politiciens et nos pontes syndicaux traitent soudainement du revenu minimum pour tous semble franchement, suspect quand notre protection sociale est régulièrement mise en péril au nom de la rentabilité, productivité et autre compétitivité. Les technocrates nous exhortent à imiter les Etats-Unis, le Japon et même la Corée du Sud où, ironie du sort pour eux, les ouvriers rechignent, à présent, à se rendre à l’usine en rangs par deux, au pas cadencé et en chantant l’hymne de leur patron, et non pas à loucher vers des pays où les mesures sociales sont peut-être plus avancées que les nôtres, tels que la Suède ou la Norvège. Il s’agit de se mettre vraiment au travail (pourquoi ? On foutait rien jusqu’à maintenant peut-être ?) et de ne plus tirer au flanc, déclare sentencieusement le patronat bien qu’il sache pertinemment qu’il y a de moins en moins de travail pour ses salariés puisqu’il continue à pousser la robotisation et l’automatisation dans ses entreprises. Les professionnels de la langue de bois n’admettent pas encore que le plein emploi n’est plus possible et que le chômage ne peut aller qu’en augmentant, mais ils se rendent à l’évidence qu’il est indispensable de fabriquer de nouveaux clients pour que l’économie de marché puisse se maintenir vaille que vaille.
En effet, ce qui tient le plus au portefeuille du capitalisme, ce n’est pas tant produire que de vendre à tout prix et n’importe quoi pourvu que ça puisse être vendu et procurer un profit quelconque. Mais voilà que les débouchés se restreignent dramatiquement avec une concurrence impitoyable qui s’exerce tandis que les chômeurs réduisent encore les rangs de la clientèle. C’est pourquoi le thème du revenu minimum pour tous fait les choux gras des tenants d’un système économique qui ne connaît que des acheteurs pour survivre. En résumé, lorsque la multitude des salariés s’amenuise, et avec elle celle des clients, il n’y a plus qu’à procurer un revenu de substitution aux sans-emplois pour créer de nouveaux clients, pour relancer la consommation. Mais il faut le dire et le répéter : LE REVENU MINIMUM N’EST QU’UN NOUVEAU PIEGE QUE POSE LE CAPITALISME AUX TRAVAILLEURS. Ce n’est pas du tout un pas en avant vers le socialisme distributif qui, lui, propose un revenu social maximum garanti pour tous et non pas un nouveau subterfuge pour faire durer une économie marchande malade de ses propres contradictions.
La notion même de revenu minimum est contenue, en germe, dans l’organisation de la redistribution sociale que les travailleurs ont arrachée peu à peu, sous la forme d’un système de protection sociale, pour améliorer leurs conditions de vie tandis que les patronats et gouvernements successifs ne pouvaient, dans le même temps, que lâcher du lest pour désamorcer des situations explosives. Ainsi ont été créés la Sécurité Sociale, les congés payés, les allocations familiales, les indemnités de chômage, de maternité, de formation... qui, s’ils bénéficient au plus grand nombre, sont un excellent moyen de relancer la consommation des foyers. C’est vraiment malheureux mais il faut se persuader que chaque nouvelle mesure sociale n’est pas destinée, en priorité, à soulager les travailleurs mais bien à prolonger la vie du capitalisme en lui procurant de nouveaux clients. Ce qui ne lui coûte, d’ailleurs, rien puisque ce sont les travailleurs eux-mêmes qui financent ces mesures prises, sur leurs cotisations ou leurs impôts !
La société actuelle est une société à plusieurs vitesses où les privilégiés, ceux qui profitent du travail des autres, côtoient les travailleurs, qui auraient tendance à être, de plus en plus, présentés comme des privilégiés eux-mêmes, uniquement parce qu’ils "ont la chance" d’occuper un emploi (vous pensez, ma bonne dame, par ces temps difficiles !), et les assistés, ceux que les patrons dégraissent (comme un morcif de barbaque trop grasse !) et à qui l’Etat fait "généreusement" l’aumône, les forçant à vivre des miettes d’un gaspillage gigantesque. Dans ces conditions inégalitaires, il est impossible de concevoir l’attribution d’un revenu minimum (déjà l’adjectif est cruellement restrictif, minimum pour ne pas crever, sans doute ?) qui permette aux plus démunis de vivre DECEMMENT, sans crainte du lendemain. Il ne peut s’agir là que d’un palliatif intolérable, d’une nouvelle mesure de charité publique inspirée par l’approche d’élections. Peur d’un soulèvement en masse plutôt que humanisme et amour de la vraie démocratie.
LE REVENU SOCIAL MAXIMUM GARANTI : OUI ; UN REVENU MINIMUM POUR CERTAINS NON.


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