Cause toujours !

ÉDITORIAL
par  M.-L. DUBOIN
Mise en ligne : 30 avril 2009

De fidèles lecteurs pourraient s’étonner de constater que depuis quelque temps notre journal ne contient pas beaucoup d‘articles analysant et critiquant, au fur et à mesure de l’actualité, les discours officiels et la politique menée par notre gouvernement. La raison en est simple : il y a trop à dire. Pour dénoncer tout ce qui ne va pas, tant dans l’attitude du Président et ses discours, que dans les mesures qu’il impose et que ses ministres tentent de faire passer, il faudrait bien plus que la longueur de nos colonnes. Tout ce que nous avions craint se réalise, dans tous les domaines : ne sont encore prospères que les rémunérations des PDG des banques, à qui les pouvoirs publics viennent en aide, et celles des patrons des entreprises semeuses de catastrophes ! C’est sans doute à Louis XVI qu’il faut remonter dans l’histoire de France pour trouver un gouvernement aussi despotique et peu sensible à la détresse, aux protestations et bientôt, probablement, à la révolte de la grande majorité de la population. Et si on se rappelle les périodes les plus sombres du siècle dernier, le nombre annuel de mises en garde à vue, qui vient d’atteindre le chiffre record de 600.000, et les interventions policières, de plus en plus brutales et parfois à la limite de la légalité, en particulier contre les “étrangers” dits sans papiers, on craint le pire.

Les déclarations officielles réitérées, affirmant que la politique menée étant parfaite les réformes vont se poursuivre et qu’on en verra plus tard les effets bénéfiques, ne trompent plus le public qui ne cesse d’en subir les conséquences. Les annonces quotidiennes de nouvelles fermetures d’entreprises et ce qu’on ose appeler un “plan social”, la hausse des prix des biens de première nécessité et la croissance vertigineuse du chômage sont beaucoup plus éloquentes. Quand on attise la violence en laissant le chômage des jeunes monter d’un tiers en quelques semaines, il ne faut pas compter sur des discours “sécuritaires” et les annonces de nouvelles lois répressives pour rassurer !

Pour ma part, je ne peux plus entendre ou seulement lire les discours officiels : leur autisme, leur ignorance de la vie réelle et de la situation d’une majorité de la population me font bondir. J’avais déjà beaucoup de mal à me contenir, mais le discours présidentiel sur les universités (sans doute parce que c’est le domaine que je connais le mieux, pour y avoir travaillé quarante ans) a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’avais déjà eu maintes occasions d’observer que le Président de la République n’avait guère de culture. Et j’ai entendu toute ma vie dénigrer les universitaires, dire d’eux, comme de tous les fonctionnaires, qu’ils sont nuls, ne font rien, ne forment pas leurs étudiants à de vrais métiers, et que la recherche fondamentale, c’est du gâchis, qu’il n’y a de bonne recherche que celle qui trouve vite, et quelque chose qui peut rapporter tout de suite. Ces propos venaient souvent d’anciens d’une “grande” école où ils avaient été à la fois convaincus d’être “l’élite de la nation” (c’est le terme employé, je l’ai entendu) et conditionnés pour être souples et dociles envers tout ce qui représente le “pouvoir”… Or le discours sarkozyste de fin janvier a réuni ces deux attitudes, l’ignorance crasse du travail des enseignants-chercheurs en France et un invraisemblable mépris à leur égard, par exemple en osant affirmer qu’ils ne sont pas “évalués” ou refusent de l’être. Une contre-vérité aussi énorme, puisqu’ils sont évalués systématiquement (je rappelle au passage que toute promotion de fonctionnaire se fait sur concours), ne peut tromper qu’un public qui ne connaît ni le fonctionnement de l’université, ni celui du CNRS, et qui ne peut pas juger des critères insensés inventés récemment à Pékin pour classer les universités. Mais en faisant la quasi unanimité des chercheurs contre lui, Sarkozy a ouvert des yeux, même dans ce milieu que son projet pouvait flatter par son aspect “universités de prestige”. On commence à comprendre ce que signifie l’autonomie des universités, qu’il présente comme une réforme souhaitée. De même qu’on découvre la méthode sarkozyste, qui consiste à mener l’État comme une entreprise qui doit faire du chiffre. On désigne des chefs, on les séduit par un poste de prestige à haute rémunération, on les charge de faire exécuter à leurs subalternes les ordres indiscutables venus d’en haut et on les menace d’être vidés si leurs ouailles n’atteignent pas les objectifs fixés. C’est aussi absurde et dangereux que fixer à des policiers et gendarmes un quota d’arrestations à faire.

On aura ainsi quelques universités de grand renom financées par de grandes entreprises qui y orienteront la recherche vers ce qui les intéresse, elles seront placées sous les ordres arbitraires d’un Président désigné et tout-puissant, qui choisira son personnel (éventuellement parmi ses relations), et le paiera bien, grâce à ses sponsors, s’il “a du rendement”. Et puis, à côté, végètera une foule d’universités secondaires, sans moyen, chargées de former la masse des étudiants à devenir aptes à répondre aux besoins des entreprises … qui pendant le temps de formation auront décidé de se délocaliser.

Si chercheurs et universitaires se sont si fortement mobilisés contre ces démantèlements, qui s’opèrent avec les mêmes méthodes que les précédents dans tous les services publics, ce n’est donc pas parce qu’ils sont, comme le prétendait Allègre, un mammouth systématiquement opposé à tout changement. C’est parce qu’ils ont compris le sens de cette vaste entreprise de démolition et qu’ils dénoncent l’absurdité de vouloir tout gérer, État, ministères, universités et même recherche fondamentale, comme des entreprises assignées à un rendement, au service d’un seul impératif, inhumain, celui du retour sur investissement, la course à un profit souvent artificiel, mais immédiat, assigné et indiscuté.

Le gouvernement cherche à faire croire que les manifestations et les vastes grèves récentes sont dirigées contre les effets de ”la crise” et non pas contre sa politique. Ce qu’on appelle la crise a bon dos !

À l’occasion de la réunion prochaine du G20, je parie qu’on va nous expliquer que l’important est de moraliser le système capitaliste, quitte à imaginer quelques règlements, parce qu’il faut “renouer avec la croissance”, quitte à développer des industries moins polluantes. S’il n’y a pas d’accord, ce sera la faute des autres, et on nous racontera que les gouvernements de bonne volonté ont été unanimes à vouloir éradiquer les paradis fiscaux ou limiter les rémunérations ahurissantes des patrons qui “créent de la valeur” ! Ne soyons pas dupes.

Non seulement ce G20 n’est pas un gouvernement mondial élu et représentatif, mais ses objectifs ne sont pas les bons.

La réalité est que l’humanité est gravement menacée par l’outil-même qu’elle a mis au point et avec lequel elle gère son économie. Tel l’apprenti sorcier, cet outil lui échappe : elle ne maîtrise pas le fonctionnement de la finance.

Et ce que cherchent les gouvernements, quelque beaux que soient leurs discours, par exemple sur une reprise plus écologique, c’est de remettre cet outil en marche, mais en se gardant bien de vouloir le maîtriser !

Ce comportement étant suicidaire, nous pensons au contraire qu’il est urgent que l’économie soit mise au service de tous et non qu’une infime minorité puisse asservir le reste du monde.

Il faut pour cela que la société civile se donne les moyens de se concerter pour décider raisonnablement de son activité, au lieu de s’en remettre à la main mythique du marché.

Voila quel est, depuis longtemps et plus que jamais maintenant, l’objet de nos réflexions dans le cadre de La Grande Relève.


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