De l’art de créer de bons placements

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : février 1980
Mise en ligne : 18 septembre 2008

DANS l’éditorial d’octobre dernier, intitulé « La guerre ou l’économie distributive ? », je tentais, une fois de plus dans ces colonnes, d’attirer l’attention sur les risques de guerre que nous fait courir le régime économique des « prix- salaires-profits ».
En trois mois, l’évocation de ce risque a fait du chemin et tout le monde aujourd’hui courbe le dos comme devant une fatalité. Plus largement diffusé que mon éditorial, hélas..., le message de Nouvel An de Giscard d’Estaing n’a fait qu’augmenter la peur. Et au lieu de se révolter des crimes qui se préparent, nombreux sont les Françaises-Français qui n’ont pour toute réaction que... d’entasser des provisions. Quelle époque et quelle déchéance !
Mais si la peur retient, au dernier moment, ceux dont dépend le génocide final, ces mêmes braves Français rééliront V.G.E. lorsqu’il se présentera comme le sauveur de la Paix...
Ces fins électoralistes ne sont peut-être pas les seules motivations du Président de la République. La peur de la guerre fait remonter les actions des producteurs d’armes. Et nous, dont les préoccupations sont tout autres, nous enrageons de voir nos semblables s’obstiner à fermer les yeux au point de ne pas constater que c’est bien l’économie de marché qui crée la situation lamentable où nous sommes, face aux moyens prodigieux dont nous pourrions disposer. C’est pourtant facile à voir, par tout être de bon sens qui se donne la peine d’observer. Lisons, par exemple, « Le Monde » du 10 janvier, Patrice Claude sous le titre judicieux « Mettez un char d’assaut dans votre portefeuille  » fait ainsi parler un conseiller en opérations boursières  : « Le pétrole ? Oui, sûrement. Les mines d’or ? C’est un bon choix, mais attention aux troubles politiques en Afrique Australe. Les valeurs de consommation ?
Non, Monsieur, on entre dans une période d’austérité (?), la consommation, c’est fini pour l’instant. Achetez plutôt... je ne sais pas moi... des actions Matra ou Dassaut... ». Il remarque en effet :
« Les bruits de bottes stimulent les imaginations et partout les spécialistes des marchés boursiers
internationaux conseillent de plus en plus ouvertement, en ce début d’année trouble, l’achat d’actions liées à l’armement...  ».
L’intérêt des capitalistes pour les productions d’armes n’est pas nouveau aux Etats-Unis : « Les fabuleux hélicoptères de combat, construits par une filiale de Boeing, sont l’objet d’une intense publicité financière. A Wall Street, les missiles de Northtrop, les mérites et les perspectives des avions F-14 de Grummann ou des F-16 de General Dynamics sont soupesés avec soin par une clientèle boursière soucieuse de ne pas se tromper ».
En Angleterre, le Premier Ministre Conservateur l’a promis, toutes les entreprises liées à l’armement vont être dénationalisées. Déjà Westland Aircraft, qui fabrique aussi des hélicoptères, a des actions cotées. De même que Swan Hunters pour sa fabrication de destroyers et Hunting Associate pour ses fusils mitrailleurs qui « ont une bonne réputation »... Racal n’a de son côté, jamais eu un carnet de commandes aussi garni. Son dernier client, anonyme, vient de commander pour 40 millions de Livres de matériel de transmissions tactiques »...
« Aux Pays - Bas, les avions Fokker sont également très appréciés de la clientèle boursière, mais les lance-roquettes construits par Saab en Suède. n’ont rien à leur envier ». Une société qui fabrique des missiles a des actions très bien cotées en Bourse à Milan.
Et en Allemagne ? La société du Professeur Messerschmidt n’est plus cotée à la Bourse de Francfort, mais ses héritiers détiennent encore 14 % du capital et peuvent en toucher des dividendes. La firme est devenue une S.A.R.L. et s’est associée (ceux qui ont vécu la dernière guerre s’en réjouiront), à la S.N.I.A.S. française et au groupe britannique Aerospace pour la commercialisation de ses engins antichars. Le capital de la société productrice des chars « Léopard est détenu à 94 % par le groupe industriel Buderus qui, lui, est coté à la Bourse de Francfort.
En France, les 287 000 travailleurs de l’armement ne sont pas inquiets, car les affaires de la SNIAS, de la SNECMA, celles de Dassaut, Matra, Manurhin, Luchaire, Thomson ou Turboméca vont bien. Nos exportations d’armements ont pratiquement quadruplé de 1970 à 1978, alors que le total de nos exportations croissait deux fois moins vite. Les « bruits de bottes » vont pouvoir faire monter encore leur chiffre d’affaires qui a atteint, en 1977, trente milliards de Nouveaux Francs.

EXPORTATIONS FRANÇAISES D’ARMEMENTS
(en milliards de Francs)
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
2,35
2,52
3,39
4,11
4,78
5,26
6,7
7,83
8,41
(d’après « Le Monde Dimanche » du 4-11-1979)

En 1976, la Banque Mondiale a calculé que 900 millions d’individus vivaient dans la pauvreté absolue...


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