Il faut re-lier sans relâche ce que la “pensée unique” voudrait nous voir compartimenter. Le Discours cartésien de la méthode nous a appris à disséquer pour mieux analyser : tant, que nous avons souvent perdu la faculté de relier. Ainsi, les militants qui consacrent leur temps et leur énergie à l’Écologie sont-ils souvent suspectés d’avoir déserté les champs de bataille de l’Économie.
Pour avoir vendu “la Grande Relève” sur les marchés proches de mes Auberges de Jeunesse dès 1947 (et conservé depuis mes convictions) je n’en ai pas moins choisi de m’engager à fond dans la bagarre pour la survie de la Planète. Question d’urgence, mais aussi refus de choisir entre l’œuf et la poule !
Pour l’ultra-libéralisme triomphant, tout, absolument tout, peut être acheté ou vendu et transformé en profit. C’est la même motivation qui entraîne la pollution des mers, le saccage des forêts primitives, la mort des rivières par le cyanure, la vache folle, le réchauffement de notre atmosphère… et le licenciement sec de 1200 travailleurs, suivi de la montée des cours de l’entreprise qui les employait. Il n’y a donc pas de séparation à faire lorsque nous analysons causes économiques et conséquences écologiques.
Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela et c’est là peut-être que les abondancistes tels que je pouvais l’être il y a vingt ans, ont un gros travail d’approfondissement doctrinal à effectuer. Pourquoi ?
— parce que si le pillage de notre terre et sa mise à sac organisée par la puissance du capital sont des faits évidents, il faut y ajouter : a) que le modèle de développement occidental a gagné d’autres contrées, b) que la vanité de la science est devenue facteur aggravant.
En effet, dans la clameur désespérée des pays pauvres ou “en voie de développement”, on entend le cri « Nous aussi, on y a droit ». Et qui leur reprocherait de ne pas mettre en question le modèle de développement de l’Occident ou du Japon ? Et, bien que cette révolte justifiée ne soit pas de même essence que la voracité capitaliste, elle n’en aboutit pas moins jusque chez des peuples qui se voudraient “socialistes” à la coupe à blanc des forêts, à la surpêche, à l’épuisement des sols qui rend les terres stériles à jamais.
Second facteur aggravant : dans l’inconscient de la communauté scientifique, l’équation « puisqu’on peut… il faut » conduit inexorablement à des dérives folles, à des manipulations irresponsables. Puisqu’on peut cloner une chèvre, on peut cloner un homme ; puisqu’on peut implanter un embryon dans l’utérus d’une femme de 50 ans, allons-y ; puisqu’on peut enrichir l’uranium qu’importe que les déchets soient radioactifs pour 10.000 ans… etc.
Hélas ! ceux qui raisonnent ainsi se targuent souvent d’être progressistes !
Je veux donc par ce billet, entraîner les lecteurs de la GR-ED à réfléchir avec moi sur deux points essentiels dont l’argumentation “économie distributive” devrait tenir compte :
- il faut re-lier économie et écologie et, comme nous y invite Edgar Morin, penser “transversalement”
- revoir la confiance aveugle du 19e siècle dans le “Progrès”, qui avait entraîné chez nos grands-parents et chez nos parents, la certitude que le monde ne pouvait devenir que meilleur. L’abondance, en particulier, était un objectif enthousiasmant. Mais s’il est théoriquement et pratiquement possible à l’homme de produire (et de consommer) tout et n’importe quoi, comment réguler la production pour qu’elle devienne écologiquement non nuisible au devenir de la terre ? La “rudologie”, science récente des déchets, devrait nous interroger là-dessus… (c’est une forme d’abondance…).
Pour conclure : comment imbriquer d’une manière indissociable Écologie/Économie dans la vision “distributive” ? Si l’abondance est possible (celle qui tue la rareté et rend dérisoire la capture du profit) comment en mesurer les risques dans certains domaines, pour une planète dont l’homme a désormais le sort entre ses mains ?
Le “petit homme”, écrasé par les forces naturelles et assez raisonnable pour s’y soumettre, c’est fini ! C’est désormais “la petite terre” entièrement à la merci des hommes fous de puissance et d’orgueil…
Quand aurons-nous assez peur ? Et saurons-nous un jour gérer l’abondance sans dilapider ?