L’heure du technicien


par  Ch. D. FABER
Publication : 16 octobre 1935
Mise en ligne : 15 avril 2006

Au moment où tant de partis et de groupement politique divers songent à organiser la lutte, pacifique ou violent, pour le triomphe de leur plan, et le bonheur définitif, garanti à l’usage, du Français moyen, chômeur et désargenté, il conviendrait - peut-être ? - de lui demander son avis et de tenir compte de ses préférences, voire de ses critiques ; car, jusqu’ici, il est le dernier qu’on consulte sur les questions vitales qui l’intéressent, et ce serait pourtant bien son tour qu’on lui permit de choisir l’air de violon dont il ne cesse de faire les frais.
Nous avons pour cela, peut-on dire, le suffrage universel et tous les quatre ans, le glorieux privilège d’aliéner notre souveraineté sur le nom de celui qui, pendant trois ou quatre semaines, aura le mieux réussi à intriguer, car, pendant la période électorale, les intérêts inavouables, les comitards, les agents électoraux de tous poils rampent et grouillent sans relâche.
Tous les moyens sont bons pour abuser de l’électeur, le mettre en confiance et, comme dans tout vol à l’américaine qui se respecte, refiler au malheureux la liasse frauduleuse des promesses électorales contre l’honnête bulletin de vote convoité. A partir de ce moment, finie la souveraineté populaire imprescriptible et inaliénable. Au parlement, un député pas nécessairement malhonnête ou inintelligent deviendra le prisonnier d’un groupe, d’une tactique, et forcé, qu’il en soit conscient ou non, d’obéir à des mots d’ordre ou des consignes passées par ces forces occultes irresponsables, ces puissances d’argent que des parlementaires courageux et désabusés dénoncent de temps à autre.
Toute indépendance est, là-bas, à peu près réduite à l’impuissance et, si incomplet et si hâtivement brossé qu’il soit, voilà le tableau fidèle de ce qu’on a officiellement le front d’appeler la représentation nationale.
Etonnons-nous qu’une pareille caricature de représentation équilibrant sa servilité ou son ignorance par les plus basses pratiques de démagogie, aboutisse au gâchis effroyable dans lequel se trouve aujourd’hui le pays toujours confiant, toujours trompé !
Etonnons-nous que, n’ayant rien vu de ce qui se passait, rien compris à l’évolution admirable qu’inspirait la science et qu’animait la technique, nos représentants à tous les degrés, nos ministres, notre Exécutif, se trouvent aujourd’hui impuissants en présence de la situation insensée et périlleuse où les fortunes, privées et publiques, risquent de sombrer tout entières.
Mais allez donc expliquer ça à nos politiciens de droite ou bien de gauche. Tout ce que certains d’entre eux ont compris dans l’aventure c’est : gauche, droite, gauche, droite, et voilà la tactique de tout repos (pour l’esprit tout au moins) à laquelle, pour nous tirer d’affaire, songent les plus cyniques, cependant que derrière les animateurs de ces pauvreté on voit se profiler l’ombre sinistre des trafiquants et des profiteurs de tous les lieux et de tous les temps, ces puissances d’argent iniques pour qui tout se monnaye : désespoirs, larmes, sang et famine, drapeaux et patries.
Soit ! Peut-être ?
Mais les temps sont changés ! Une classe est née qu’on a eu l’imprudence, ou le tort, d’arracher à ses travaux de laboratoire, de bureaux d’étude ou d’atelier pour la jeter à la rue. Le technicien, victime de la crise qu’il ne comprend pas encore, lui qui a créé l’abondance, regarde autour de lui, stupéfait, confondu.
Ce dévot serviteur de l’ordre mathématique, de la fonction et du rapport exacts, est pris de nausée et d’indignation au spectacle de ce qu’il considère comme un défi à son oeuvre tout entière.
Quoi, il crée tout ce qui donne du prix à la vie, il guette les moindres désirs de l’humanité pour les satisfaire sur-le-champ, il trouve dans les ressources de la science les bases d’une abondance et d’une richesse hallucinantes, et on aboutit à la disette !
Pour vous éclairer, vous nourrir, vous vêtir et vous transporter, le génie du technicien, de l’homme de métier, s’est prodigué, soit qu’il allège votre effort dans le travail, soit qu’il nous délasse et vous distraie par la variété des effets artistiques qu’il sait encore tirer des ressources de sa technique, soit, enfin, qu’il arme le praticien des merveilleux moyens chimiques, physiques ou électriques qui permettent aujourd’hui de monter une garde vigilante autour de votre santé.
Son effort créateur fait reculer tous les jours un peu plus l’ignorance, la haine, la misère et le vice, et tout cela aboutirait à la faillite générale, à la catastrophe, à la faim, au sacrifice imbécile et au massacre des jeunes générations. En vérité, nul César, nul satrape, nul potentat de légende dans son faste et sa puissance suprêmes n’a pu rêver de la splendeur de la vie que la technique de l’Occident offre à ses enfants sous la forme de la production accélérée et de l’abondance !
Imaginez, si vous l’osez, le monde privé subitement de la technique !
Si vous ne le pouvez pas, la question se pose dans vos consciences de savoir si, en présence de ce magnifique bilan, vous serez complice de la faillite organisée par l’incompétence et l’avidité conjurées de tous les saboteurs de la fortune publique.
Si le néant des résultats obtenus en vue des redressements indispensables vous apparaît dans sa désolante nudité et si l’impuissance - d’aucuns diront la malfaisance - d’un système politique sans vision, sans responsabilité, inhumain, est condamné dans votre esprit à disparaître et à céder la place à de plus dignes, alors, c’est bien simple !
L’heure politique du technicien et du professionnel vient de sonner ! Ce monde, que des conducteurs sans qualification mènent à toute allure à la catastrophe, il va le guider et, de sa main exercée, empoigner le volant de direction.
Il va, en réaliste, appliquer implacablement les principes victorieux de la science à la conduite politique des affaires humaines, et di on lui demande de quel droit il se substitue ainsi aux gouvernements arbitraires, incapables et discrédités, il pourra répondre qu’il tient ce droit de sa position même, car il a en main tous les leviers de commande de la grande machine économique.
Limitant le champ de leur vigilance à ce qui avait trait à leur profession seulement, les syndicats et les associations techniques étaient, jusqu’ici, restés dans l’expectative. Aujourd’hui, la machine politique, vieillote, démodée, se trouve en face d’une situation alarmante que le régime qu’elle représente a créée, mais qu’elle n’est nullement en mesure d’affronter. Pour des raisons spécifiquement techniques, le monde se trouve en danger, en très grand danger. Tout retard ajoute un risque de plus et seuls, les aveugles se font encore des illusions sur l’issue tragique qui nous menace tous à brève échéance.
Seul aussi, le technicien est qualifié pour trouver une solution appropriée ; seuls les syndicats et les associations professionnelles peuvent prétendre dénouer cette situation et servir de cadre à la réorganisation qui s’impose. Au surplus, si la fiction démocratique a été respectée aussi longtemps qu’aucun inconvénient grave ne s’était révélé, le travail a un droit sûrement plus sérieux à cette souveraineté qui réside dans le peuple ; car le peuple, ce n’est pas un meeting, ni une consultation électorale, ni un référendum, ni un plébiscite, ni rien de tout cela !
Le peuple est en permanence dans ses métiers, dans ses professions, dans ses syndicats. Seule l’activité professionnelle permet à l’homme et à la nation de subsister, seule elle qualifie un peuple sur la voie de la civilisation.
Le peuple est là, et là seulement.
Techniciens et professionnels, tous donc à l’oeuvre, votre heure sonne ! Ralliement dans vos syndicats, vos groupements, en vue de la reconstruction d’un monde nouveau où il y aura une place pour chacun et où chacun sera à se place.


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