Fin du travail ou faim de travail ?

DOSSIER : LE TRAVAIL
par  A. HILDE, R. POQUET
Publication : janvier 2005
Mise en ligne : 4 novembre 2006

Un de nos collaborateurs a contribué l’an dernier à la formation d’un groupe de réflexion dans la région du Nord. Tout à fait informel, ce groupe, qui a choisi de s’appeler “La lanterne” en pensant à Diogène, se réunit régulièrement, écoute l’exposé de l’un de ses membres, puis en discute librement. Il a ainsi déjà débattu de sujets tels que l’éducation et la démocratie. Comme le nouveau thème qu’il vient d’aborder, le travail, nous intéresse particulièrement, nous entreprenons d’en rendre compte, pour élargir sa réflexion, et, espérons-le, stimuler la formation d’autres “lanternes” …

Le travail est au cœur de nos préoccupations : chercher du travail, trouver du travail, perdre son travail, changer de travail, se former pour travailler... Nous abordons ce sujet tous les jours, souvent avec angoisse ou inquiétude. Plus le travail devient une denrée rare, plus il apparaît comme indispensable, irremplaçable. En dehors du travail, il n’y aurait pas de moyen de trouver sa place dans la société. Aujourd’hui, des millions de personnes privées d’emploi ne doivent leur survie qu’aux aides de l’État et de nombreuses associations caritatives. Pourtant le travail tel qu’on en parle aujourd’hui est une notion relativement récente. Comme activité humaine, il a toujours existé, mais n’est devenu le principe de l’organisation sociale que depuis la fin du 18ème siècle, lorsque les progrès techniques et une nouvelle conception de l’homme fondée sur le mérite personnel, ont imposé une économie s’appuyant sur la liberté d’entreprendre pour tous. Travailler devient alors rapidement le moyen principal, voire unique, d’obtenir des revenus pour vivre, pour trouver et conserver sa place dans la société. Deux siècles plus tard, dans les économies modernes, le travail est considéré avant tout comme un facteur de production, associé au capital dans ce que les économistes appellent la “combinaison productive”, facteurs qu’il s’agit de “doser” avec soin de manière à obtenir la combinaison productive optimale, c’est-à-dire la plus économique. Les facteurs de production s’échangent aujourd’hui sur les marchés : marchés monétaire et financier pour les capitaux, et marché du travail. Depuis les années 80, la mondialisation et le mouvement de libéralisation des échanges se sont accompagnés d’un triple processus qui a contribué à fragiliser le travail dans son essence même :

• Le décloisonnement des marchés nationaux, dont celui du travail, désormais marchandise, a rendu sa valeur tributaire de la loi implacable de l’offre et de la demande, et placé les travailleurs dans une situation de concurrence à l’échelle mondiale.

• La montée en puissance des stratégies industrielles et financières des firmes transnationales a affaibli le pouvoir politique des États, et rendu inopérantes une part importante des politiques conjoncturelles nationales, en particulier les politiques en faveur de l’emploi.

• La déréglementation imposée par ces mêmes logiques, et accélérée par le mouvement de libéralisation des échanges, a largement altéré le cadre législatif qui garantissait depuis le milieu du XXe siècle la protection des travailleurs des pays industrialisés. (Sur un plan théorique la déréglementation est justifiée par l’idée que le marché peut s’autoréguler sans intervention extérieure. Sur le plan pratique, elle ne se limite pas à la suppression de règles fixées par les pouvoirs publics, elle inclut également le déplacement du lieu de production des règles (de l’État vers les acteurs sociaux), et le changement de leur forme (la législation est de plus en plus remplacée par des relations contractuelles).

 

Jusque dans les années 70, le taux de chômage dans les pays industrialisés ne dépassait pas 6%, en moyenne, de la population active. Depuis, ce taux a augmenté jusqu’à l0% en Europe occidentale, ce qui représente plus de 30 millions de personnes. Selon la plupart des sociologues et économistes, cette tendance est durable. Le temps de l’emploi pour tous est terminé. L’économie mondiale emploiera de moins en moins de salariés des pays industrialisés dans lesquels le coût du travail est élevé. Inversement, la main d’œuvre bon marché des pays moins développés est de plus en plus utilisée.

 

Une des solutions préconisées serait de partager l’emploi disponible entre tous les actifs. Des tentatives dans ce sens ont été menées dans plusieurs pays européens. Mais l’expérience montre que cela ne suffira pas à donner un vrai emploi à tous. La multiplication des petits boulots et des emplois précaires est une tendance qui se confirme. À côté des salariés en contrat à durée indéterminée, les plus protégés mais de moins en moins nombreux, se développent toutes sortes d’emplois partiels, provisoires, qui modifient profondément la notion de travail. Nous assistons peut-être a la fin du salariat.

Ceci conduit certains philosophes et sociologues à remettre en question l’avenir du travail en tant que principe d’organisation, mais aussi en tant que valeur centrale de nos sociétés.

Mais de quel travail parle-t-on lorsqu’on évoque aujourd’hui la fin du travail ?

Dans le but de mesurer les enjeux soulevés par cette mise en question, il peut être utile de nous interroger sur le contenu historique de la notion de travail, et de l’envisager sous l’angle des différentes approches : économique, sociologique, philosophique, dont il a fait l’objet depuis l’Antiquité.

Cette analyse ne se veut évidemment pas exhaustive, loin s’en faut..., mais a pour seule ambition d’ouvrir des pistes, et de soulever des questions qui pourront alimenter le débat qui suivra.

 I - LE TRAVAIL
DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

L’Antiquité grecque considérait le travail comme dégradant, quoique nécessaire. Dans la Grèce classique, le verbe travailler recouvrait un sens péjoratif, dans la mesure où il était lié à la notion d’asservissement, elle-même liée à celle de nécessité.

Pour leurs besoins quotidiens, les citoyens grecs comptaient sur les esclaves, bien sûr, mais aussi sur les agriculteurs et sur les artisans de rang social inférieur. Si ces artisans accédaient au rang de citoyen, ce n’était pas grâce à leur travail, mais malgré lui. La véritable dignité de l’homme consistait à participer à la gestion des affaires de la Cité. La reconnaissance de la citoyenneté s’apparentait à celle de la communauté politique. Il existait donc une différenciation très marquée entre activité professionnelle et activité politique.

 

En France, durant la féodalité (du 9ème au 13ème siècle) et la monarchie (jusqu’en 1789), dans une société structurée en ordres, la noblesse, le clergé et le tiers-état, seul ce dernier se chargeait des activités nécessaires à la production de nourriture et des autres biens de consommation. Le clergé et la noblesse en étaient dispensés, et se reposaient sur les serfs, puis sur les paysans, les artisans, les commerçants, à leur service pour exécuter ces tâches ingrates et indignes de leur rang. La place de chaque individu dans la société était déterminée par sa naissance, son origine sociale, son ordre. Le travail et le mérite personnel n’y changeaient rien. Les artisans, détenteurs d’un savoir-faire, fabriquaient des “œuvres”, se faisaient payer un objet fini selon les barèmes établis par la corporation (les tisserands, les imprimeurs, les barbiers, etc.) Des manœuvres, ouvriers sans qualification qui se louaient à la journée, exécutaient pour eux les tâches qui ne nécessitaient pas de savoir-faire spécifique.

 

À la fin du 18ème siècle, le progrès technique s’accélère. Il entraîne l’introduction progressive de nouvelles méthodes de production (machines à vapeur, métiers à tisser industriels).

Les machines permettent la production en série des objets. Leur vente procure beaucoup plus d’argent que la production artisanale. Les manufacturiers s’équipent alors d’autres machines, qui produisent ainsi davantage, et les enrichissent. Les ateliers s’agrandissent, et nécessitent une main d’œuvre fixe et abondante. Au début, les employeurs embauchaient des artisans pour leur savoir-faire, mais très rapidement, ils préférèrent recourir à des ouvriers sans qualification, aptes à répéter des heures entières les mêmes gestes pour un salaire très faible.

Mais en cette fin de 18ème siècle, les sociétés européennes sont en pleine ébullition. Les royautés vont freiner cette envie d’entreprendre, de développer l’activité économique. La Révolution Française éclate, qui instaure le travail, la volonté de produire des marchandises, le mérite personnel, comme les nouvelles valeurs. L’homme peut s’enrichir rapidement, à condition de travailler beaucoup et de réinvestir son argent dans son entreprise, telle est la pensée de l’époque. Les usines se construisent dans tous les pays européens (et aux États-Unis un peu plus tard). Les campagnes se vident pour fournir la main d’œuvre bon marché qui permet aux industries métallurgiques et textiles, de se développer. Les prolétaires, comme les appelaient les sociologues du l9ème siècle, vendent leurs bras, et leur temps. Le travail devient une marchandise que l’on échange contre un salaire. Salaire qui donne souvent à peine de quoi survivre.

 

Pendant une grande partie du 19ème siècle, travail salarié a rimé avec exploitation inhumaine des ouvriers (hommes, femmes et enfants). Cependant le développement industriel, en Europe, aux États-Unis et ailleurs, généralisant ce type de travail, une organisation rationnelle du salariat, avec des droits et des règles, est rapidement devenue indispensable. Cela ne s’est pas fait sans heurts, parfois violents. Les salariés se sont organisés pour défendre leurs intérêts. Malgré d’énormes résistances de la part des patrons d’industrie, la régularité de la production impliquait un minimum de paix sociale, donc des compromis avec les salariés. Des réglementations ont ainsi été introduites, sous la pression des organisations ouvrières. Elles ont abouti à des accords sur les salaires, les temps de travail, les droits dans les entreprises. C’est aujourd’hui le Code du Travail qui définit le cadre juridique dans lequel s’exerce le travail.

 II . LE TRAVAIL DANS LES SOCIÉTÉS HUMAINES :
APPORTS DE LA PENSÉE ÉCONOMIQUE ET SOCIOLOGIQUE

Les hommes ont toujours travaillé. Et au cours de sa vie, même la plus apparemment oisive, l’homme reste contraint, tant bien que mal, à fournir des efforts. En ce sens, la vie est un perpétuel travail. Même la naissance de l’homme est annoncée par les douleurs qu’on appelle le “travail de l’enfantement”. Le verbe “travailler” aurait supplanté le verbe “ouvrer” au 17ème siècle à cause de confusions avec le verbe “ouvrir”. Tandis que “ouvrer” vient du latin “operare”, “travailler” serait dérivé du latin populaire “tripaliare” qui signifie “torturer, tourmenter” avec le “tripalium”, instrument fait de trois pieux destiné à entraver les animaux pour les ferrer ou les soigner. La notion de travail est sans doute encore connotée en profondeur par cette étymologie.

Le philosophe Platon faisait dépendre la liberté de la nécessité de se dégager complètement des contraintes matérielles : « le travail assujettit l’esprit à s’occuper de la matière ». Tout travail manuel, tout artisanat, déforme l’âme en même temps que le corps. Selon Aristote le travail est à la fois cause et effet de l’institution de l’esclavage : il faut bien, « tant que les navettes ne tisseront pas toutes seules », des instruments vivants (les esclaves), pour manier les instruments inanimés (les outils), afin de procurer aux âmes bien nées le loisir d’une vie contemplative, consacrée à la “théorie”. Dans la cité idéale, aucun artisan ne sera citoyen. D’ailleurs, le commerce est également méprisable : le négoce (neg-otium, askholia) n’est, à proprement parler, que la négation du loisir studieux (skholè, otium), qui est la fin suprême d’une vie véritablement libre.

Si la question théorique du travail ne se pose pas pour le citoyen grec, dans la mesure où elle se trouve pratiquement résolue par l’esclavage, elle n’est pas non plus totalement absente. C’est tant que l’esclave est un vaincu qu’il peut être enchaîné aux tâches serviles, c’est-à-dire méprisables.

Il n’y a de liberté politique pour l’homme que dans la mesure où il est libéré de la nécessité.

La Bible et la tradition judéo-chrétienne ont considéré le travail comme une malédiction divine, consécutive à la transgression originelle. Le travail n’est plus, dès lors, une dégradation mais une expiation, une possibilité de rachat. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». L’homme, créature déchue, doit travailler pour témoigner à Dieu sa parfaite soumission et son amour. Il est condamné à compter d’abord sur ses efforts avant d’escompter le secours divin. « Aide-toi, le ciel t’aidera ».

C’est le protestantisme qui a tout particulièrement identifié ardeur au travail et foi religieuse, faisant du travail l’objet d’une religion puritaine, posant de fait les fondements d’une nouvelle éthique du travail. Max Weber [1] a mis en évidence la parenté historique du protestantisme avec le capitalisme, montrant que l’éthique protestante favorise l’esprit d’accumulation du capitalisme, en vue de l’investissement. Pour Calvin et ses disciples, le salut après la mort est une grâce divine qui doit se mériter ici-bas par des œuvres concrètes. Contrairement aux catholiques, pour qui le sacrement de pénitence efface les péchés, les calvinistes se retrouvent seuls face à Dieu et deviennent ainsi responsables de leurs actes sur cette terre.

Le monde puritain condamna donc le repos et la jouissance. Il faut travailler, non pas pour dépenser et pour jouir, (la nature de l’homme est corrompue par le péché originel), mais pour épargner et réinvestir les fruits de son travail dans de nouveaux travaux. La révolution industrielle achève de mettre le travail au centre de l’organisation sociale. Il semble bien que l’action conjuguée de l’éthique protestante et de l’utilitarisme des lumières, ait contribué à placer le travail dans la position prépondérante que lui reconnaît le monde moderne.

Le socialisme a gardé du protestantisme l’idée que le travail était une fin en soi. (Même si Marx refuse l’audelà religieux : c’est ici-bas et non dans le ciel que la destinée de l’homme doit s’accomplir, mais elle ne peut s’accomplir que par le travail.) Marx établit, au début de son œuvre, que loin d’être une déchéance, c’est le travail qui confère à l’homme sa dignité, sa puissance, et finalement son être. En effet, l’homme se crée lui-même par son travail, mais à condition que le travail soit vraiment une libération, et non un esclavage. C’est pourquoi tout le monde doit travailler.

Le fait humain fondamental, c’est la répartition des activités et des tâches entre les individus au sein d’une même société : c’est la division du travail. Pour de nombreux penseurs (Platon, Spinoza, Kant, Dürkheim), la division du travail est le signe objectif du niveau de développement et de civilisation des sociétés. Pour Adam Smith, la richesse d’une nation ne réside pas dans l’or et l’argent, mais elle est essentiellement produite par le travail. En 1776, dans la Richesse des Nations, il décrit la division du travail comme un penchant naturel des hommes, découlant de la nécessité de l’échange. Mais surtout, il considère que la division du travail est source de richesse. La révolution industrielle achève de mettre le travail au centre de l’organisation sociale.

Socialement, le travail est divisé, c’est-à-dire réparti, selon les sexes, selon les castes (en Inde) ou les rapports de force (prisonniers de guerre). Professionnellement, le travail se divise en métiers. Chaque industrie se subdivise en branches divergentes et en tranches successives.

Techniquement, enfin, le travail se subdivise en séries de mouvements simples, partiels et identiques (division horizontale de Taylor). La division professionnelle du travail a pour cause principale, selon Dürkheim, « l’accroissement de volume et de densité des sociétés humaines », qui renforce l’intensité de la lutte pour la vie. Grâce à la division du travail, forme adoucie de la concurrence vitale, les rivaux ne sont pas obligés de s’éliminer mutuellement, mais peuvent coexister les uns à côté des autres.

La division technique du travail a pour cause essentielle le remplacement de la manufacture par la fabrique. L’idée de la machine-outil s’est imposée lorsque les gestes humains ont été suffisamment simplifiés par la décomposition du travail global et la fragmentation des opérations qui composaient l’activité complète de l’artisan.

Les conséquences de la division du travail sont contradictoires :

• d’une part, les intérêts particuliers des uns et des autres sont de plus en plus divergents ; tandis que le travailleur s’estime en droit d’attendre du travail plus que la simple satisfaction de ses besoins, l’employeur y voit surtout un moyen de maximiser ses intérêts. Le conflit est latent. Les groupements professionnels et les syndicats de travailleurs se multiplient, l’unité sociale s’affaiblit. La “solidarité mécanique” se relâche.

• d’autre part, la “solidarité organique” s’accroît par le fait que chaque individu a de plus en plus besoin des autres en dehors de sa propre activité pour travailler, mais aussi pour satisfaire ses propres besoins. L’individu dépend de plus en plus de la collectivité à mesure qu’il s’en distingue par la spécialisation de son propre travail. À mesure que le travailleur s’individualise, il devient de plus en plus dépendant. La division technique du travail dans le machinisme accuse nettement la séparation entre les tâches de conception et les tâches d’exécution : « on ne vous demande pas de penser », disait Taylor aux travailleurs. L’épineuse question, déjà posée par Marx, du rapport entre le travail manuel et le travail intellectuel est ainsi posée à nouveau. Mais à travers elle, c’est au fond une autre question, plus fondamentale, qui est soulevée : celle de la valeur du travail en tant que tel. Adam Smith, on l’a vu, voit dans le travail la source de la valeur. Il établit que, en dépit des différences qualitatives entre les travaux, l’existence du marché est la preuve par le fait que les produits sont réellement commensurables. Le prix de chaque chose est le prix que coûte la quantité de travail nécessaire pour la produire. Des produits différents s’équivalent s’ils sont fournis par des quantités égales de travail. Sa mesure approximative est la durée d’une journée de labeur dans une société déterminée, et tient compte de l’intensité du travail et du talent. Ainsi l’estimation de la valeur ne remonte t-elle pas à son origine, c’est-à-dire au rapport entre les différents travailleurs dans la division du travail, mais se fixe au rapport que les marchandises entretiennent entre elles. Dans le discours de l’économie politique, le travail devient ainsi une même activité indifférenciée et abstraite, unifiant, toutes les formes de travail.

Lorsque Aristote analyse la chrématistique, c’est-à-dire l’art d’acquérir les richesses, il dénonce la perversion qui consiste à acquérir l’argent pour l’argent et non plus pour la satisfaction des besoins de nature. C’est le caractère insatiable et illimité du désir qui engendre la tyrannie politique. Ce renversement du moyen (la richesse) de se délivrer du besoin, en fin (sans fin puisque la recherche de la richesse n’a pas de limite), fait peser sur la cité une menace d’éclatement, le nonsens et la désorientation du rapport au monde.

En quelque sorte, Marx applique au mode de production capitaliste l’analyse d’Aristote. En effet, selon Aristote, la division des métiers rend les échanges nécessaires pour la satisfaction des besoins : le maçon veut des chaussures et le cordonnier veut une maison. Du coup, toute chose a une double valeur : une valeur d’usage et une valeur d’échange. La monnaie n’est qu’un moyen pour rendre mesurables des choses inégales, faciliter les échanges en dépassant le troc. La formule de l’économie normée sur la satisfaction des besoins est donc : marchandise contre argent contre marchandise (le cordonnier vend des chaussures et achète une maison). L’ordre contre nature s’instaure dès que l’accumulateur n’achète des marchandises qu’en vue de leur valeur d’échange, que de ce qu’elle coûte : le salaire. Marx démontre le mécanisme de l’exploitation à travers les notions de salaire, profit et plus-value.

Le mode de production capitaliste porte à son point ultime la réduction de la vie et de l’activité humaines à leur valeur marchande, il fait entrer le travail dans un processus qui en nie le sens, en vide le contenu. Son développement est le développement même du travail aliéné, et donc de l’aliénation de la société entière, soumise à une atomisation croissante. L’aliénation, pour Marx, se situe sur trois plans qui se renforcent mutuellement : la séparation et l’asservissement des hommes entre eux ; la séparation et l’asservissement de l’homme par son propre produit ; la division de l’homme lui-même (à laquelle renvoient les oppositions travail/loisir, productif/improductif, manuel/intellectuel, etc.). Condamné à un travail de plus en plus intense, répétitif et parcellaire, le salarié se trouve atteint dans son intégrité physique et mentale.

Herbert Marcuse, dans l’Homme unidimensionnel, montre que les progrès de la division du travail accentuent la division de l’homme lui-même dans ses actes et ses pensées, rendant justement ses pensées inopérantes pour qu’il soit en état de se ressaisir dans sa globalité, de recouvrir son intégrité. En même temps qu’elle atomise la société, morcelle l’individualité, elle unifie en uniformisant L’atomisation sociale, dit-il, a pour corrélat la massification des individus. Dans son ouvrage intitulé Manuscrits économico- philosophiques de Marx, Marcuse montre que pour Marx, l’aliénation du travail constitue une véritable « catastrophe de l’essence humaine ». alors que l’existence de l’homme est un moyen pour réaliser son essence, c’est au contraire l’essence de l’homme qui devient pour lui le moyen d’assurer sa simple existence.

(à suivre)


[1L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, 1905.


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