Comment passer d’une société de tout emploi à une société de toute activité-créativité ?
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Mise en ligne : 31 août 2007
Il existe bien des transitions entre l’économie capitaliste qui sévit partout actuellement et l’économie distributive que nous souhaitons. Ne citons par exemple que les AMAP, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne, qui préfigurent la concertation entre producteurs et consommateurs, et l’expérience SOL, mise en œuvre depuis le début de cette années dans le Nord, la Bretagne et l’Ile de France, qui utilise une monnaie dont l’objectif est avant tout de promouvoir une économie solidaire. Sur le plan de l’emploi, les nouvelles que nous venons de recevoir de notre ami François Plassard, montrent que l’expérience qu’il poursuit constitue une excellente transition vers ce que nous proposons sous le terme de contrat civique. Voici en effet son message :
La religion de la croissance
Le discours de l’emploi et de remise des exclus au travail n’est que pure hypocrisie !
Dans un contexte de croissance zéro, si une entreprise embauche par croissance de son chiffre d’affaire, c’est qu’elle embauche Pierre pour débaucher Paul dans l’entreprise adverse !
Donc il faut de la croissance pour que le jeu soit « à somme positive » ! Tout homme de la rue le comprend.
Mais ce que l’homme de la rue ne sait pas, c’est que la croissance de la décennie 1990-1999 a été globalement de 18% (soit 1,8% en moyenne annuelle), tandis que la population active avec emploi augmentait de 22.923.000 – 22.146.000 = 777.000. Ainsi 18% de croissance cumulée de 1990 à 1999 a permis 777.000 emplois supplémentaires, 1% de croissance crée 43.000 emplois ! Alors combien faut-il de points de croissance pour résorber 4.300.000 chômeurs [1] (le Centre d’étude de recherche sur les coûts et Attac prétendent qu’il y a 7 millions de demandeurs d’emplois) ? Calcul d’école primaire : Réponse : il faut 100 points de croissance ! Pour réaliser ceci en un mandat politique de cinq ans, cela fait 20 % de croissance par an ! Si on veut, bien sûr, défendre l’idée du retour un jour à un plein emploi [2] !
C’est écologiquement, socialement, humainement, historiquement insoutenable !
D’autant que l’emploi depuis 10 ans ne s’améliore pas en quantité (productivité oblige, nous avons une des productivités /actif la meilleure au monde !) mais se détériore en qualité pour une femme sur trois et un homme sur quatre nous disent les chiffres du ministère de la santé (IFASS) !
Comment réguler la violence collective quand le travail salarié est sur-valorisé alors qu’il devient rare ?
Comment interpréter le discours de Madame la ministre qui dit :
• qu’après les 30 Glorieuses ( 5,7%/an de croissance de 1959 à 1969)
• la France a vécu les 30 paresseuses
• et que maintenant, en 2007, grâce au « travailler plus pour gagner plus » nous rentrons dans les « Trente travailleuses » ?
Comment ? En baissant les dépenses de l’État ? (l’intérêt des emprunts de l’État en 2006 coûte 40,8 milliards d’euros (cumul de 650 milliards depuis 1980), soit presque le montant de l’impôt sur le revenu de 57,5 milliards d’euros, parce que le politique a abandonné aux banques le privilège de la création de la monnaie crédit ! Le débat politique se réduit au débat fiscal !)
En culpabilisant et en baissant l’indemnisation des 15 % de Français « qui ne veulent pas travailler » ? C’est déjà fait [3] ! Et qui ne consomme pas (sacrilège !) produit du chômage par baisse du chiffre d’affaire des entreprises ! C’est mon cas faisant partie des 12 millions de Français qui, sans l’avoir choisi, ont moins de 820 euros de revenu par mois (INSEE) pour permettre aux entreprises de faire du chiffre d’affaire et de l’emploi ! Quel scandale pour la croissance devenue religion !
Inventer autre chose !
Albert Einstein disait que « quand malgré tous nos efforts nous n’arrivions pas à résoudre un problème, nous nous étions trompés de question ! »
C’est en écoutant ces propos que de 1992 à 1996 nous avons créé, avec une équipe d’amis, en Rhône Alpes puis en Italie (Perouge) l’université citoyenne du temps choisi.
Il s’agissait de permettre à un chômeur de retrouver un vrai travail et ainsi confiance en lui-même, parce qu’un salarié volontaire proposait à son employeur de travailler à mi-temps, pour développer son projet local de temps choisi dans le champ non concurrentiel de l’écologie, du culturel ou du social.
À la vision binaire temps de travail/temps libre qui rythme la vie sociale, nous introduisions l’idée d’un « tiers temps », riche de sens, intermédiaire entre le temps du travail et celui de la vie familiale ou privée. C’est le temps choisi qui transforme un désir d’épanouissement personnel, un hobby, une passion, en itinéraire de projet, telle une démarche de connaissance des autres et de soi-même, dans le cadre des rencontres mensuelles d’échanges réciproques de savoir appelées « universités citoyennes du temps choisi » ! Le chèque de temps choisi de 3.700 Francs net par mois à l’époque (qui aurait du être prélevé sur le Fonds paritaire pour l’emploi : activation des dépenses passives du chômage qui participent à la demande globale pour le chiffre d’affaire des entreprises ) cofinancé par l’Europe, a permis de transformer du travail en œuvre et d’apprendre un nouvel art de vivre.
Malheureusement Martine Aubry n’en a pas voulu, même si plus tard Guy Hascouet Secrétaire d’État a essayé de le vendre à Jospin à travers un projet de loi que je l’ai aidé à formuler avec le soutien du comité national consultatif de l’économie sociale et solidaire dont je faisais partie.
Mon temps choisi à moi s’est transformé à donner du sens à ma situation de chômeur (de plus de 55 ans, comme 410.000 autres qui n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage !) en écoutant Victor Hugo qui en 1848 disait : « Faites des maisons, pas des prisons ! ». C’est la démarche éco-hameau qui accompagne de l’auto écoconstruction par la formation dans une France rurale de 30 habitants au km2 vide au regard de la situation européenne, permettant ainsi de renouer de nouveaux liens villes campagnes !
L’argent du temps choisi n’est pas de l’impôt en plus puisqu’il est un transfert de charge d’argent passif en argent actif au sein de l’Unedic, cette comptabilité peut être faite à l’échelle d’une Région. Mais il y a aussi d’autres sources en l’absence de création monétaire par l’État comme dans le cas d’une guerre (voir les bons du travail du ministre Sachs d’Hitler dans une situation de chômage comparable à la nôtre) ou en faisant un peu d’inflation qui ne gène que les rentiers.
Par exemple en 2005 l’État a donné 4,5 milliards d’euros aux grandes entreprises pour gagner des parts de marché dans une croissance faible. Cela déplait à Bruxelles ! Et cela fait 1 million de chèques de temps choisi de 4.500 euros/an pour ne pas perdre sa vie à vouloir la gagner et créer du sens et du projet dans son environnement local ! Et comme le Conseil économique et social dit qu’un salarié à mi-temps produit comme 0,67 salarié, les entreprises qui savent se réorganiser en conséquence ont tout à y gagner. Celles qui ont participé en Rhône Alpes à notre expérimentation réussie l’ont bien compris. Et n’est-ce pas la qualité de ce qui se produit en lien social en dehors de l’entreprise qui renouvellera la qualité de la demande de produits pour les entreprises ? C’est là où se trouve le nouveau défi pour notre système productif capitaliste !
Pacte écologique et nouveau contrat social pour une nouvelle manière de produire ?
Si nous voulons passer d’une économie linéaire (extraire, transformer, jeter : 90% des produits ont six semaines de vie) à une économie circulaire (réduire, recycler, recombiner, réparer, relocaliser) comme nous le demandent une réaction anticipée sur le réchauffement climatique et la rareté de l’énergie fossile, un Pacte écologique pourrait donc rimer avec un nouveau contrat social mettant en œuvre le temps choisi ! Voilà un grand chantier de transformation sociale qui nous éloigne de la religion de l’argent et de la croissance pour la croissance. Pour cela il nous faudrait des politiques visionnaires de la dimension d’un Jules Ferry !
Mais si en dernier ressort la Politique (comme en 1848 et en 1929 où nous avions des taux de chômage analogues) c’est réguler la violence collective, elle devrait être sensible à la qualité des temps de vie auquel le temps choisi peut fortement contribuer. Passerions-nous ainsi d’une société de tout emploi (qui y croit encore ?) à une société de tout activité–créativité ? Un grand chantier de petits chantiers que des écoles du temps choisi, comme Jules Ferry avait lancé l’école universelle laïque pour réguler la violence après l’affrontement des ghettos de riches contre les ghettos de pauvres en plein discrédit de l’élite rentière qui s’accaparait la richesse ?
Huit mille éducateurs de prévention spécialisés dans les banlieues qui ne veulent pas devenir des gendarmes, quelques vestiges des mouvements de l’éducation populaire dans les campagnes, pourraient bien faire l’affaire pour, avec un peu de méthode, amorcer un tel chantier avant qu’il ne soit trop tard.
À qui profite l’ilôt d’abondance dans un océan de pauvreté qui progressivement se transforme en misère ?
[1] En septembre 2005, en France, 4 128 000 chômeurs étaient inscrits à l’ANPE dans une des 8 catégories de classement, seule la catégorie 1 de l’ANPE qui permette des comparaisons internationales version BIT étant publiée pour minorer la réalité. Exit les découragés non inscrits ! Voir Chômage , des secrets bien gardés Edt J-C Gawsewitch- Fabienne Brutus.
[2] soit moins de 2% de chômeurs qui correspond à un chômage de friction entre offre et demande qui évoluent qualitativement et qui nécessite de la formation adaptation.
[3] Le poids relatif des indemnités chômage dans PIB baisse depuis 20 ans, vive la solidarité. Le niveau faible du RMI en 1989 (date de sa création) était de 2,3 heures de SMIG horaire, il est de 1,8 heure en 2006, soit une baisse de 22% . source Unedic-Insee ; « Les seules baisses d’impôts déjà consenties par la gauche durant la dernière législature pourraient financer un revenu mensuel garanti de 600 euros à près de 4,2 millions de personnes » dit ACDC