Pour une morale du désarmement
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Publication : octobre 1988
Mise en ligne : 1er avril 2008
Tout pacifiste est révolté par la contradiction
flagrante apparaissant entre les discours humanistes sur la paix des
principaux dirigeants des pays de l’Ouest ou de l’Est, et l’existence
d’un surarmement apocalyptique et d’un commerce international d’armes
florissant, qui sert souvent à équilibrer les balances
du commerce extérieur.
Voici le classement pour 1987 des pays exportateurs publié le
17 août 1988 par l’Institut de recherches sur la paix de Stockholm
(SIPRI) 1°) U.R.S.S. - 12.262 millions de dollars - 2°) Etats-Unis
: 11.547 m.d. - 3°) France - 3.575 m.d. (en 1986 4378) 4°) Grande-Bretagne
- 1.792 m.d. - 5°) R.F.A. : 1.444 m.d. - 6°) Chine : 1.040 m.d.,
etc...
Les deux tiers des exportations ont été destinées
en 1987 aux pays du tiers monde, alors que ces pays auraient davantage
besoin de matériel de développement. Le MoyenOrient reste
l’acheteur principal, et l’Inde le 1er pays importateur.
Durant la guerre Irak-Iran, environ 60 pays dont le Brésil, le
Chili, l’Afrique du sud, la Corée du nord, le Vietnam, Israël
et la Chine, ont vendu des armes aux belligérants, tuant ainsi
par personnes interposées non seulement des militaires, mais
aussi des civils, dont des femmes et des enfants. Faut-il rappeler aussi
sur ce sujet les scandales des ventes illégales connus en Occident
en 1987 : Irangate (Etats-Unis), Société Luchaire (France),
Bofors (Suède), Valsella (Italie), Noricuum (Autriche).
Dans beaucoup de pays les dépenses militaires bénéficient
d’une priorité budgétaire en général pour
servir les stratégies de domination des groupes au pouvoir. C’est
ainsi qu’en 1985 le Pakistan a consacré 38,5 % de son budget
aux dépenses militaires pour 1,1 % affecté à la
Santé publique... Le Pérou a eu un budget militaire de
33%, le BurkinaFaso, un des pays les plus pauvres, en est à 18%,
l’Irak à 60%, l’Iran à 42%. Le Soudan, où 2 millions
de personnes sont menacées de famine, consacre 2,5 millions de
dollars par jour à ses dépenses militaires...
La plupart des importations d’armes vers le tiers-monde se font généralement
à crédit ce qui accroît son endettement. La poursuite
de la militarisation des pays sous-développés dépend
donc largement du bon vouloir financier et technique des grandes puissances
qui pratiquent une grande hypocrisie.
Les pays du tiers-monde sont sollicités par les industries d’armements
des grands pays pour lesquels ils représentent des débouchés
essentiels. 51 % des ventes américaines, 76% des ventes soviétiques,
86% des ventes françaises ont été destinées
au tiers-monde ces dernières années.
Quant aux budgets militaires qui atteignent des centaines de milliards,
ils représentent un tel gaspillage de crédits, d’énergie
humaine, de matières premières, un tel arsenal d’engins
destinés à supprimer la vie et à polluer l’environnement,
qu’on peut douter de l’intelligence humaine et de la volonté
de paix de ceux qui nous dirigent, et des leaders politiques.
Paradoxalement la communauté internationale est incapable de
répondre rapidement et efficacement aux problèmes de la
faim, de la santé, aux cataclysmes naturels qui surgissent surtout
dans les pays du tiers-monde. Ce sont alors des organisations humanitaires
qui doivent se substituer à la défaillance des Etats avec
des moyens souvent dérisoires face aux besoins réels.
Mais cela ne semble pas émouvoir ceux qui ne savent que promettre
des lendemains qui chantent.
Comment ceux qui nous gouvernent, ou les leaders des grandes formations
politiques, n’ont-ils pas honte de leur indifférence et leur
inertie devant les efforts surhumains que doivent déployer, par
exemple, des personnes comme Mère Térésa et ses
soeurs.
En réalité tous les dirigeants ont peur du désarmement,
peur de déclarer la paix au monde, peur des réactions
qu’entraînerait pour leur image de marque, ou dans leur électorat,
toute tentative, toute initiative de désarmement unilatéral,
ou même toute proposition concrète applicable immédiatement
dans tous les pays. Tous restent donc sur la défensive au lieu
de pratiquer l’offensive. Les seuls à avoir fait un pas dernièrement
dans cette voie sont MM. Gorbatchev et Reagan.
C’est ainsi qu’il serait possible d’obtenir un désarmement progressif
par une réduction annuelle de 5 % des budgets militaires, ce
qui permettrait une reconversion graduelle des appareils productifs.
Il faut donc adopter une morale du désarmement si nous voulons
progresser vers celui-ci. Nous savons tous que les armes conduisent
aux conflits armés, et que ceux-ci piétinent toujours
les principes moraux, religieux ou philosophiques, les droits de l’homme,
le respect de la vie, la tolérance, la fraternité, la
démocratie, car il y a toujours des excès dans les deux
camps.
Comment se fait-il que les hauts responsables des diverses religions
ou philosophies n’agissent pas davantage qu’avec des mots pour le désarmement
général et la lutte contre la misère et la pauvreté
dans le monde ? Assez de pleurnicheries, de lamentations, d’états
d’âme. Agissez !
Comment se fait-il que les responsables des différentes, organisations
humanitaires qui sont obligés périodiquement de recourir
à la générosité publique, ne dénoncent-ils
pas le gaspillage de crédits que constitue le surarmement, alors
que ceux-ci permettraient de faciliter et de rendre plus efficaces leur
aide aux plus démunis ?
Si les forces morales qui heureusement survivent dans notre société
de consommation basée sur l’individualisme, ne prennent pas conscience
de la gravité de la situation, alors nous assisterons au développement
de la militarisation du monde, qui est le seul moyen de minorités
au pouvoir pour contrôler les situations sociales explosives.
Et la militarisation conduit toujours aux dictatures ou contribue à
les maintenir en place. Comment les démocraties occidentales
peuvent-elles ne pas comprendre ce processus inexorable ? On ne construit
pas la paix en semant des graines de violence.
En France même, la diminution progressive du budget militaire
permettrait de répondre aux besoins essentiels des catégories
défavorisées et des salariés : lutte contre la pauvreté,
logements sociaux, éducation et formation professionnelle, culture
et loisirs. Ici encore comment se fait-il que les centrales syndicales
qui se préoccupent tant du pouvoir d’achat des travailleurs,
ne se rendent pas compte que la qualité de la vie dépend
aussi de l’utilisation des crédits budgétaires, que le
gaspillage militaire se fait évidemment au détriment des
améliorations du quotidien. Pour reprendre une formule ancienne,
il faut savoir choisir entre le beurre et les canons.
Le problème est de savoir si nous voulons faire un pari sur l’intelligence,
si l’éducation et la formation de nos enfants par exemple, sont
plus importants que le surarmement ? De la réponse à cette
question dépend notre avenir.