En lisant la presse des vacances
par
Publication : octobre 1988
Mise en ligne : 1er avril 2008
Que d’articles, que de chiffres intéressants dans "le Monde Diplomatique", "le Monde", mais aussi, même si c’est à un moindre titre, "I’Evénement du Jeudi", "le Canard", "Libé"...
1. Le prix des armes (1)
Fin de la guerre Iran-Irak ? Rien n’est acquis. Néanmoins que
de déclarations, d’articles indécents : Les fabricants
d’armes vont devoir licencier ; le pétrole va-t-il monter ou baisser ;
quelle carte jouer pour gagner le maximum de fric ? Les "opérateurs",
comme on appelle par euphémisme sans doute les trafiquants "honnêtes"
de bourse ou d’affaires, sont inquiets. Et ce, dans les 50 pays -pas
moins- qui ont vendu à l’Irak comme à l’Iran les armes,
y compris chimiques, qui ont fait plus d’un million de morts. La vie
des autres ne compte pas pour ces gens là. Les timides espoirs
de paix en 88 - Iran/ Irak, Afghanistan, Angola/Namibie - leur donnent
de l’urticaire et déjà ils cherchent de "nouveaux
débouchés". Ah, le cru 88 ne vaudra pas le cru 87 !
Pour cette dernière année, le rapport du SIPRI (Institut
International de recherche de la paix de Stockholm) est accablant : 41
nations étaient engagées dans des opérations armées
mettant aux prises quelque 5,5 millions de combattants. Le plus souvent,
il s’agit de conflits "relevant de causes intérieures",
en clair de répression contre des peuples misérables luttant
pour plus de liberté et de bien-être.
Par ailleurs, le rapport du SIPRI s’inquiète de la prolifération
des armes chimiques dont disposent au moins 20 nations. Et le 1er août,
les NationsUnies ont publié un rapport accusant "les forces
irakiennes d’usage répété" des armes chimiques.
Mais qui a condamné sans réserve, avec force et véhémence,
ce crime affreux ? Chaque fois, après les déclarations
minimales d’usage, l’affaire a été enterrée, probablement
parce que ces "essais" servaient de laboratoire grandeur nature.
Comme pour d’autres armes d u reste : le G5 sud-africain par exemple,
un 155 d’une portée de 40 km qui s’est révélé
très efficace.
La France "socialiste" ou "libérale" caracole
toujours à la 3e place mondiale des marchands d’armes : 10 du
marché, contre 34% à l’URSS et 33 % aux USA (plus des
3/4 pour ces trois pays). Fait capital : 90 % des ventes sont destinées
au tiers-monde.
Une raison tout de même de se réjouir : l’action obstinée
de Gorbatchev pour réduire les armements, ce qui fait crier "au
piège" certains fabricants d’armes par la voix d’hommes
politiques à leur botte... et sans doute à leur bourse !
C. Julien rappelle qu’Henri Kissinger "rêvait de ruiner l’économie
soviétique par l’intensification de la course aux armements".
On s’en doutait ! Aujourd’hui Kissinger est revenu à des sentiments
plus réalistes : il est vrai que l’économie américaine,
sous Reagan notamment, s’est elle-même essoufflée à
ce petit jeu, le colossal endettement US, à raison de 200 milliards
de dollars, est dû essentiellement au fait que les dépenses
d’armement sont passées de 5 à 9,5% du PNB.
Pour clore ce sujet, inépuisable, nous avons avec plaisir trouvé,
dans le Monde Diplomatique de Juillet, une déclaration d’Eisenhower,
alors Président des USA (1953), qui ne prend tout son poids que
si on la cite quasi in extenso : "... un fardeau d’armement épuisant
la richesse et le travail de tous les peuples ; un gaspillage de force
défiant le système américain, le système
soviétique ou tout autre système, d’arriver à une
véritable abondance et au bonheur pour les peuples de la Terre.
Chaque canon qu’on fait, chaque vaisseau de guerre qu’on lance, chaque
fusée qu’on tire, signifie - en fin de compte - quelque chose
de volé à ceux qui ont faim et n’ont pas à manger,
à ceux qui ont froid et qui ne sont pas vêtus.
Ce monde en armes ne dépense pas seulement de l’argent. Il dépense
la sueur de ses travailleurs, le génie de ses savants, les espoirs
de ses enfants.
Le coût d’un seul bombardier lourd moderne correspond à
celui de trente écoles modernes en briques, ou de deux usines
d’énergie électrique desservant chacune une ville de soixante
mille habitants, ou de deux beaux hôpitaux parfaitement équipés,
ou encore d’environ quatre-vingts kilomètres de grand’route en
béton armé. Nous payons pour un seul destroyer le prix
de nouvelles maisons que pourraient habiter plus de huit mille personnes".
2. Deux voisins : le luxe Insolent et l’extrême
pauvreté
Logique : 1) Développement du chômage = pression sur les
salaires de ceux qui ont un emploi = pression sur les revendications
d’augmentation des fonctionnaires, "les nantis".
2) Diminution ou blocage des salaires = bénéfices en plus
pour l’entreprise, ce que l’on constate effectivement depuis quelques
années. Ces bénéfices vont essentiellement aux
dirigeants et aux cadres. D’où enrichissement continu d’une partie
de plus en plus restreinte de la population - voir la philosophie élitiste
des clubs de droite - et vie de plus en plus médiocre, voire
désespérée de l’autre partie, toujours plus nombreuse.
Le "Roman de l’argent" de Stéphane Denis révèle
que P. Moussa a Paribas touchait 4 millions de salaire par an, Ambroise
Roux 12 millions à la CGE, sans compter les jetons de présence
de leurs nombreux conseils d’administration, les fruits de leur activité
boursière, etc...
Les ventes de voitures haut de gamme à 130/180.000 F et plus
battent tous les records : les statistiques sont formelles. Les pavillons,
même en banlieue Est proche de Paris, atteignent 3, 4, 5 millions...
et se vendent bien.
En France, les 10 % de la population la plus pauvre perçoivent
1,4 % du revenu global ; les 10 % les plus riches : 30,5 %, soit en moyenne
22 fois plus. Proportion semblable aux USA, alors que, pour l’Allemagne,
le Japon, l’Angleterre, ce rapport tombe à 10 environ (7 pour
la Suède).
Deux facteurs viennent aggraver ces disparités
:
-l’allongement de la durée du chômage : en Europe, 46 %des
chômeurs sont privés d’emploi depuis plus d’un an,
- la protection sociale se réduit en fonction de cet allongement.
D’où aggravation de la grande pauvreté.
La société duale se creuse donc inexorablement
au fil du grand chambardement, de la grande "restructuration"
du capitalisme hyper impérialiste, que l’on continue communément
à appeler "la crise".
Cette "nouvelle" société jugée inéluctable
semble acceptée, et, en France, ce ne sont pas les socialistes
qui changeront fondamentalement cette évolution (hormis quelques
emplâtres, ce qui est mieux que rien), à partir du moment
où ils revendiquent leur place dans la chorale qui chante les
bienfaits de l’économie marchande.
Et on peut craindre que les souhaits de Laurent Fabius (2) ne soient
que des voeux pieux. "On ne gagne des batailles qu’avec des idées.
Le PS ne doit pas s’épuiser à apporter telle ou telle
critique ponctuelle à l’égard du gouvernement. Qu’il éclaire
le futur par ses interrogations, ses analyses, ses propositions. Un
gouvernement en a généralement trop peu le temps. Au PS
d’aborder franchement ces problèmes en répondant aux grandes
questions de demain" La grande question de demain ne peut être
que Economie distributive ou échec ?
Et si l’Europe est souhaitable, même pour nous, ce ne peut pas
être n’importe quelle Europe : celle qu’on prépare ne fera
que renforcer les grands groupes qui mènent le monde et ne créera
pas assez d’emplois pour contrebalancer ceux qui seront détruits.
3. Veaux, orange mécanique, pollution, licenciements...
Les beautés du libéralisme marchand s’étalent dans
les titres des médias. -Pour faire de l’argent, le capitalisme
ne recule devant rien. On a vu qu’un million de morts ne l’effrayait
pas. Alors, pour ce qui concerne la santé des gens... Après
les honorables vignerons autrichiens qui n’hésitaient pas à
mettre dans leur vin des doses parfois mortelles d’antigel, voici à
nouveau un fabuleux scandale de veaux aux hormones, en Allemagne cette
fois. Vite oublié en fait dans les médias : pas de vagues,
surtout l’été ! 40.000 veaux- en fait sûrement beaucoup
plus- incriminés ; peccadille. Et les santés malmenées
feront travailler les fabricants de produits pharmaceutiques... les
mêmes qui fabriquent les hormones. On n’arrête pas le profit.
-"Orange mécanique en HauteSavoie", titrait "le
Monde". Sept personnes, dont cinq mineurs sont accusées
d’être les auteurs d’agressions contre des personnes âgées
pour leur prendre leur argent. Pour ce faire, ils n’hésitaient
pas à user d’une violence extrême, cruelle, provoquant
la mort de deux des victimes. Cela est le fruit de la société
que nous vivons. Le capitaine de gendarmerie d’Annecy avoue son effarement
"... absence totale de références morales des adolescents
engendrée par une sous culture de feuilletons américains".
"De bons petits Français, ajoute-t-il, issus de familles
respectables. Durant la journée, ils vaquaient normalement à
leurs occupations d’apprentis ou de collégiens".
C’est bien la société du profit qui est condamnable au
vu de tels faits ; vente et trafic d’armes, trafic de drogue, films de
violence, même origine le profit. Et que dire du trafic de nouveaux-nés
pour des banques d’organes aux Etats-Unis ! Démenti évidemment,
mais il n’y a pas de fumée sans feu.
***
Tournons-nous maintenant vers l’économie.
- France-Agriculture : un budget en hausse de 3,5%. Pourquoi, en partie
tout au moins ? Réponse dans le Monde (3) "Un témoignage
sur le gel des terres : 205 millions seront consacrés au "gel"
de 300 à 400.000 hectares". C’est un gouvernement "socialiste"
qui n’hésite pas à faire cela, tout comme la droite. C’est
cela qu’il nous faut dénoncer bien haut, car dans quelques mois,
en décembre/janvier, on recommencera le télé-spectacle
pour les restos du coeur, en faisant appel à la charité
publique... alors que nous "aurons déjà donné"
- contraints il est vrai -205 millions pour ne pas produire ce qu’on
nous demandera de fournir pour les plus démunis. Monde de fous,
monde du fric, encore et toujours ! On se réjouira d’avoir récolté
20 millions... quand un super puma, hélicoptère très
apprécié parait-il de nos clients étrangers, "ne
coûte que... 65 millions".
-Hausse de 21,5% du chiffre d’affaires semestriel de Peugeot (4). Çà
doit faire un sacré bénéfice ! Compte tenu des licenciements
annoncés par M. Calvet. Un Monsieur qui refuse pourtant de faire
des voitures propres. Et notre ancien maître-écolo doit
entériner : Gouvernement oblige. Triste !
- 4125 suppressions d’emplois prévues aux P et T en 1989. Sans
commentaires.
- Le Monde du 10 août : doublement des bénéfices,
étude portant sur 900 sociétés américaines
pour le 2e trimestre 1988. Mais attention : 96 % de profit en plus pour
seulement 11 d’augmentation du chiffre d’affaires. Les chômeurs
dégagés... pour ces profits apprécieront... s’ils
ont l’occasion de lire ces résultats réconfortants pour
la nation.
-En France, les gains de productivité se maintiennent à
un niveau élevé : le chiffre d’affaires en volume progresse
de 6% par personne employée. Mais cette croissance d’activité
se traduit... par une diminution de 130.000 emplois, affectant surtout
les plus grandes entreprises. Va-t-on se moquer de nous longtemps encore
en voulant nous faire croire que l’investissement productif créé
des emplois ? Quand les écailles tomberont-elles des yeux de nos
concitoyens ?
Voilà, amis distributistes, quelques "faits et arguments" glanés dans la presse de l’été, pour étayer, si besoin était, nos discussions et pour convaincre nos compatriotes qu’il faut vraiment changer de régime "si l’on veut" en sortir.
(1) Le Monde Diplomatique (Juillet), OuestFrance (17
Août).
(2) Le Monde du 24 Août.
(3) Le Monde du 11 Août.
(4) Le Monde du 19 Août.