Tabou !


par  M. DUBOIS
Publication : février 1978
Mise en ligne : 21 mai 2008

 UN DÉFAUT NATIONAL

M. François de Closets, journaliste bien connu des téléspectateurs, a connu un bon succès de librairie avec son premier ouvrage important : « Le bonheur en plus » dans lequel il évoquait déjà certains problèmes des sociétés de notre temps, et notamment ceux consécutifs à la croissance économique dans les pays industrialisés.

Encouragé, il vient de publier aux éditions Denoël un second livre, intitulé « la France et ses mensonges ».

Sujet : Dénoncer, sans prétendre être exhaustif, un certain nombre de « tabous », c’est-à-dire d’illusions mensongères volontairement acceptées par les Français. Ne retenir des réalités que ce qui nous flatte, refuser de voir les réalités et s’assoupir dans le conformisme ambiant, tel serait un des traits dominants de notre comportement que l’auteur va s’efforcer d’illustrer par diverses analyses concrètes : Concorde, l’argent, les corporations, le droit à l’emploi, l’État-providence, l’inflation, l’alcoolisme, etc…

Cette simple énumération permet de supposer que le livre de M. de Closets ne saurait nous laisser indifférents, puisqu’il ne peut manquer d’évoquer la plupart des grands problèmes économiques actuels.

 LA SACRO-SAINTE RENTABILITÉ

Et, en effet, dès les premières lignes nous sommes accrochés par une affirmation aussi péremptoire qu’erronée : « en 1955, qui connaissait la pollution ? ». Un peu plus loin l’auteur récidive et nous donne une forte envie de lui adresser une collection des numéros de la Grande Relève lorsqu’il affirme que la civilisation technicienne a vécu son apothéose entre 1960 et 1965 et qu’à cette époque « le sentiment se répand qu’on peut tout attendre de la machine et de ses progrès », ou encore « qu’en ce milieu des années 1960 il semble temps de clore la discussion et de poser en principe que tout perfectionnement des machines améliore la vie des hommes. »

Telle serait la cause essentielle de la poursuite du programme Concorde, sur lequel l’auteur n’est pas d’accord. Pourquoi ? Il nous dit en une trentaine de pages : Concorde est beau, Concorde est une réussite technique, Concorde crée des emplois, Concorde sert notre prestige et favorise nos industries de pointe… mais Concorde est une erreur. On pourrait lui pardonner d’être un goinfre de kérosène, de perturber la couche d’ozone de la stratosphère, mais il présente le défaut capital : il n’est pas rentable !

« Tant que l’entreprise rapporte de l’argent à la France, on peut trouver dans les profits les justifications qu’on ne trouverait pas dans son utilité. Qu’importe si nos grands couturiers ne produisent rien de bien utile. Ils nous rapportent des devises et c’est l’essentiel ».

 AU CŒUR DU SYSTÈME

Nous voici dans l’ambiance, et jusqu’à la dernière ligne nous resterons ainsi au cœur des seuls systèmes économiques traditionnels existants : le capitalisme libéral ou le capitalisme d’État. Nous pourrons alors ou bien relever soigneusement au passage certaines données statistiques intéressantes, ou bien prendre note des aveux de l’auteur sur l’impossibilité de résoudre dans le cadre des dits systèmes certains problèmes pourtant particulièrement irritants.

Au chapitre sur l’argent, par exemple, et à propos des inégalités sociales, F. de Closets rappelle que « l’imposition sur les grosses fortunes rapporteraient, selon les estimations, entre 3 et 10 milliards de francs ». C’est dire qu’un prélèvement de 5 milliards par an n’apporterait à chacun des 8 milliards de pauvres recensés en France que 52 F par mois. Une véritable redistribution affecterait donc toute la classe moyenne à des degrés divers, et pas seulement « les gros ». Ce serait bien une tentative de nivellement par le bas alors que l’Économie des Besoins permettrait d’obtenir un relèvement général des niveaux de vie suffisants par la simple distribution de la totalité des capacités productives du pays. Mais cela, l’auteur ne le dit pas.

De même, à propos du droit à l’emploi, F. de Closets reconnaît que « l’opposition de gauche défend avec un bel enthousiasme les industries de luxe ou d’armement, le tiercé, la culture des mauvais vignobles, l’exploitation des mines épuisées, le maintien des boutiques et des bistrots excédentaires, l’industrie de l’eau emballée, la publicité, j’en passe. »

Pourquoi ? Parce que « un emploi est un emploi. Qu’il soit rentable ou déficitaire, qu’il assure une production utile ou nuisible, il n’importe. Il est bon du seul fait qu’il permet de payer un salaire. Que des travailleurs poussent à boire des gens que d’autres devront soigner, que l’on fabrique des choses invendables ou que l’on s’agite sans rien faire n’a pas d’importance : l’essentiel est que tout le monde ait un salaire. Les emplois inutiles s’additionnent en positif tout comme les productions inutiles dans le PNB. »

Quel aveu !! Remèdes ? Répartir le gâteau du travail en parts plus petites, refuser la course à la productivité et choisir les solutions qui utilisent un maximum de personnel. D’où les slogans : non au licenciements, semaine de 40 heures, retraite à 60 ans, etc… Et pourtant l’auteur dénonce lui-même l’absurdité d’une telle position : « Pour le travailleur en crise, l’objectif premier du système producteur c’est d’employer de la main-d’œuvre alors que l’objectif premier doit être en vérité de produire. Le travail est un facteur de production et non un produit. Et, comme tous les facteurs de productions, il doit être économisé. C’est le suprême paradoxe… La rentabilité n’est ni capitaliste, ni communiste. Elle est simplement rationnelle. Elle répond à la logique monde moderne qui vit sur le principe d’efficacité… Le marché libéral la limite à la rentabilité commerciale et ne compte pour rien, par exemple, la peine du travailleur. Mais rien n’empêche d’introduire d’autres paramètres : sécurité, qualité de travail, de la vie, de l’environnement, temps libre, satisfaction personnelle, etc… »

Fort bien, mais alors M. de Closets ? Pas de solution ? On tourne en rond ? Vous avouez vous-même que le capitalisme et le communisme s’avèrent aussi impuissants l’un que l’autre puisque l’un utilise le chômage pour réguler son fonctionnement et l’autre se résigne à des techniques moins efficaces du point de vue productif. L’un sacrifie le travailleur au bénéfice du consommateur, et l’autre impose au consommateur de payer au travailleur le prix de la sécurité de l’emploi. Et, au terme de votre longue analyse, après avoir retourné la question sous tous ses angles (dans le système bien sûr), vous concluez : « En poursuivant les tendances actuelles, on risque simplement de s’installer dans un cycle régressif de crise économique et de crise de l’emploi. Il ne restera plus alors que le choix de l’espoir pour certains, du désespoir pour beaucoup : le choix du totalitarisme, de droite ou de gauche il n’importe. N’oublions pas que c’est la victoire sur le chômage qui a donné sa véritable assise populaire au nazisme. »

Et pourtant, l’Économie des Besoins, en dissociant définitivement par le Revenu Social le pouvoir d’achat du nombre d’heures de travail fourni, et ce sans peser sur les prix grâce à la réforme monétaire, remplacerait le chômage par les loisirs. Mais cela vous ne le dites pas.

 LE TABOU SUPRÈME

Et il en sera de même tout au long des chapitres suivants. L’inflation, par exemple, est longuement évoquée dans le chapitre intitulé : « Le temps du mensonge », mais pas une fois l’auteur ne se demande par quel miracle on peut parler d’inflation, c’est-à-dire d’une demande supérieure à l’offre, dans un pays où le système producteur tourne bien au-dessous de sa capacité et où le seul problème des industriels et des agriculteurs est de vendre, de résorber les excédents, etc…

De même encore pour l’alcoolisme où M. de Closets reconnaît que les rares hommes politiques ayant eu le courage de s’attaquer publiquement à ce fléau ont vu, comme M. Mendès-France, leur carrière politique brisée par l’action des groupes de pression. Il n’hésite pas d’ailleurs à prédire le même sort aux mouvements écologistes qui se risqueraient à subir par exemple la contre-offensive des travailleurs employés dans le secteur d’une industrie nucléaire menacée de cessation d’activité.

Néanmoins, le livre ne s’achèvera pas sans donner un petit espoir de voir un jour M. de Closets élargir ses connaissances économiques pour essayer de nous aider à conclure autrement que par un constat d’impuissance à peu près totale. Il écrit en effet :

« C’est en définitive l’aptitude des Français à ne pas croire ce qu’on leur dit, à rechercher les faits au-delà des discours, qui pourra seule éviter le pire, et pourquoi pas, assurer le meilleur. Mais ce ne serait pas un mince mérite que d’y réussir, car tout est fait aujourd’hui pour entretenir les illusions. »

Bravo ! et alors, chers amis lecteurs de la Grande Relève, n’hésitez pas à lire le livre de M. de Closets et à lui écrire pour proposer, sur le sujet de votre choix, de rompre la conspiration du silence savamment entretenue autour des thèses de notre journal depuis bientôt un demi-siècle.

Sa position à la télévision et son activité d’écrivain peuvent lui fournir bien des occasions d’agir très efficacement en ce sens, amis acceptera-t-il de rompre ce TABOU suprême, non évoqué dans son livre ?

Nous ne risquons rien d’essayer.

 ___

« Quand il n’est plus nécessaire de payer un travailleur pour qu’il produise, l’État doit le payer pour qu’il s’épanouisse. »

J. DUBOIN


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