La grande réinitialisation

Réflexion
par  F. CHATEL
Publication : juillet 2021
Mise en ligne : 23 octobre 2021

Ces menaces diverses, réchauffement climatique, crises économiques, crises sanitaires, crises sécuritaires, pollutions de l’air, des mers et des sols, déforestations, péril sur la biodiversité, démographie croissante, ressources minières et énergétiques en péril, etc., qui s’amoncellent face à l’humanité, et qui apparaissent se former tel un mur sur lequel elle risque de s’écraser, vont-elles faire, en fin de compte, le bonheur de la classe possédante ? Car cette oligarchie, cette bourgeoisie dépeinte par les Pinçot-Charlot [1], n’a en réalité qu’une passion à défendre avant tout, son pouvoir. Qu’importe les moyens pour se maintenir au-dessus de la mêlée, du moment qu’elle y reste. Le capitalisme et la finance ont fait partie de leur arsenal utile à son maintien, et les adapter aux nouveaux impératifs ne lui posera aucune gène si cela s’avère nécessaire. De même, cette remise en cause peut par nécessité, aller jusqu’à s’en prendre à toute la construction élaborée auparavant pour tenir le peuple dans l’illusion du bien-fondé du système organisationnel dans lequel il a été plongé. Ainsi des mesures liberticides, même draconiennes, peuvent être appliquées en utilisant la crainte populaire générée et entretenue envers les menaces citées plus haut. Pour une raison primordiale : le pouvoir à conserver.

La pandémie de la Covid-19 lui a été très instructive. Au nom de la sécurité sanitaire, les peuples ont montré qu’ils sont prêts à accepter la soumission le temps qu’il faut pour l’assurer. Toutes les valeurs qui faisaient qu’une vie soit digne d’être vécue humainement se sont effacées au profit de la protection de l’existence. Tout le sel d’une vie était contenu dans le fait de pouvoir la mettre en jeu par nos actes, nos convictions, nos engagements, par les risques acceptés au nom de la défense de ce qui fait la grandeur de l’humain. L’individualisme, la consommation, la communication “indoor”, le loisir virtuel, ont anéanti toute dignité humaine au profit de la sécurité du vivant, du biologique personnel.

«  L’esprit du temps tend à occulter la mort et à célébrer la jeunesse éternelle. Les fantastiques avancées de la médecine, jointes à celles des biotech et de l’intelligence artificielle, avec leurs irrésistibles promesses en matière de lutte contre le vieillissement et de longévité, devraient nous conduire, au train où vont les choses, à bientôt revendiquer comme un droit de l’homme-augmenté : celui de vivre en forme jusqu’à cent vingt ans  ». [2]

Un individu privé de la capacité d’exercer certains attributs humains, sa sociabilité, ses projets, son autonomie, ses activités, son partage avec les autres, sa communication présentielle, ses aspirations en général, finit par se déshumaniser et dépérir.

L’usage de la peur, des informations anxiogènes, qui montrent le péril planant au-dessus de la “vie nue” considérée dorénavant comme valeur suprême, a réussi à imposer un pouvoir totalitaire. Car une grande part de l’humanité actuelle a abandonné les valeurs humaines comme le courage, la liberté, l’honneur, l’esprit de la démocratie, l’engagement que les générations antérieures plaçaient avant la protection de la vie individuelle.

Si une telle pandémie aux conséquences guère significatives pour une grande part de la population, notamment les plus jeunes, produit de tels effets civilisationnels, l’humanité est donc prête face aux prochaines menaces planétaires contre sa sécurité, à s’en remettre pieds et poings liés à une organisation mondiale autoritaire, ou même totalitaire, soi-disant pour le bien de tous.

Les deux statues de lion de la bibliothèque publique de New York, nommées "Patience" et "Fortitude", portant des masques faciaux pendant la pandémie de COVID-19. (© Jay Dobkin, 2020)

Or ces menaces, qui mettent en péril la sécurité de tous, et peut-être la vie dans un avenir proche, peuvent donc servir d’aubaines pour une classe sociale avide de pouvoir, qu’une population affaiblie par la peur est prête à lui déléguer. Faisons confiance à la bourgeoisie pour s’adapter aux circonstances devenues favorables au renforcement de son hégémonie. Au nom de la sécurité et de la bonne gestion économique, elle va se précipiter sur l’occasion offerte pour prendre les commandes de l’humanité, lui imposer sa protection contre les effets des problèmes menaçants, et lui proposer des solutions technologiques et politiques pour les résoudre. Déjà, elle anticipe et lance les chercheurs et les industriels du monde entier à trouver des parades aux menaces diverses. Déjà, un défilé de décrets et de lois liberticides envahit la vie sociétale au prétexte de l’adaptabilité aux circonstances menaçantes. Les médias mainstream relaient le bien-fondé de ces initiatives et garnissent les ondes de communications qui mettent en relief les décisions sérieuses ou extravagantes, qu’importe, du moment que l’élite mondiale est montrée avec un visage de maîtrise, de leadership et de paternalisme. Quels que soient les moyens utilisés, la bourgeoisie saura garder les commandes et divulguer les directives liberticides pour conserver la mainmise sur un peuple soumis, n’attendant que sa sauvegarde, et le sauveur, ce “guide” opportun, qui lui sera imposé.

Quelle aubaine pour répandre les moyens de surveillance et de répression envers les dissidents, les réfractaires considérés comme mettant en danger les populations obéissantes  ! L’existence — c’est-à-dire la vie individuelle, la consommation, le virtuel à domicile — pour être protégée, sera conditionnée par l’application de “restrictions nécessaires”, d’une totale soumission aux nouvelles lois sécuritaires et aux directives de civilité.

La bourgeoisie, à l’aide de l’enseignement apporté par la crise de la Covid-19, sait qu’aujourd’hui il est très facile de créer une psychose mondiale par l’utilisation des moyens à sa disposition  : les réseaux sociaux, les médias mainstream, la mondialisation. Elle sait que le risque de menace sur les piliers de l’imaginaire social de l’humain occidentalisé qui sont, le droit, le marché, l’assurance, la technologie, la pharmacie, auxquels il est possible d’ajouter le culte des loisirs, des fêtes, des vacances et du tourisme, est capable d’engendrer une psychose mondiale et mettre les populations à sa merci.

Que faire pour maintenir la hiérarchie sociale actuelle, sinon de prendre le train en marche au niveau du wagon de tête  ? Puisque pour elle il n’est plus possible de nier les problèmes écologiques et économiques, il lui suffit d’intégrer l’écologie et la décroissance dans un vaste programme de reprise en mains, une véritable “réinitialisation” des sociétés humaines. Ainsi 1 100 experts du monde entier ont récemment appelé à «  une réduction planifiée mais modulable, durable et équitable de l’économie, pour vivre mieux avec moins. Ainsi, cette bourgeoisie possédante envisage jusqu’à cette nouvelle stratégie et se fait dorénavant porte-parole du risque d’apocalypse écologiste, et de l’impossible retour de la croissance. Elle préconise de cesser les actions individualistes, prônant le changement et les actions en faveur de l’environnement, et de globaliser radicalement ce changement systémique nécessaire dans nos façons de produire, en créant “une nouvelle normalité”  ». [3]

Le “Grand Soir” prend la forme aujourd’hui d’une “Grande Réinitialisation” [4] plus adaptée au monde humain moderne, considéré comme une énorme machine connectée efficace. D’où la promotion de la nécessité d’un gouvernement global muni de moyens de contrôles et de gestion considérablement accrus sur l’économie et sur toute vie humaine, dans le but d’appliquer les mesures appropriées au plus vite. Les menaces diverses demandent une planification plus maîtrisée, une réactivité sans faille et une adhésion totale de la population.

L’État mondialisé sera donc numérique et “inclusif”, faisant appel à la cybernétique afin d’emmagasiner les données nécessaires au bon fonctionnement du nouveau système. L’ordinateur central sera chargé de piloter l’ensemble des problèmes écologiques et économiques, assurant la décroissance par-ci et la croissance par-là, pour le bien de tous, en prenant en compte les données d’une planète devenue difficilement vivable. Pour mieux parvenir à ses fins, il n’est pas nécessaire que cet État Global soit visible. Il peut agir, comme il l’a toujours fait, dans l’ombre. Il suffit que les chefs d’États nationaux servent de paravents.

“Nous sommes piégés dans une réalité fictive” — “Il est temps de nous libérer”. Graphique basé sur un powermapping des Bilderberger. Un grand nombre d’entreprises, de gouvernements et d’institutions participent à ces réunions. Des personnes représentant des sociétés. Les sociétés fictives ne peuvent pas régner sur les hommes. À moins que nous ne leur permettions de régner sur nous et, ainsi, d’asservir l’humanité et de la lier légalement à des entités fictives.(© Frank Zweers, 2018)

L’objectif de cette bourgeoisie usurpatrice consiste à faire croire que son rôle va être providentiel, qu’elle arrive au moment opportun pour apporter la solution qui va sauver le monde. Alors que cela fait trois cents ans qu’elle est responsable de la destruction de la planète, le culot ne lui fait pas peur pour se présenter comme l’élite salvatrice.

De quoi faire taire bon nombre d’opposants. Quel écologiste politique pourrait s’opposer à ce revirement spectaculaire dans son sens militant porté par une étatisation renforcée  ? Quel syndicaliste se plaindrait de la proposition d’un revenu de base soumis à un contrôle numérique inclusif de la population  ? Quel militant décroissant et quel collapsologue reprocheraient à un État de planifier la décroissance ciblée moyennant une surveillance stricte du peuple, y compris son contrôle sanitaire permanent  ?

Un État qui se présenterait, au nom de l’application des directives mondialisées, comme défenseur de la sécurité sous toutes ses formes, et protecteur vis-à-vis d’un environnement à adapter, car malsain et dégradé, trouverait une grande majorité d’adeptes populaires, même si les libertés traditionnelles de la démocratie s’en trouvaient anéanties.

Selon Bernard Charbonneau, «  le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la Terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie  ». [5]

Toujours dans le but de duper le peuple, après l’idéologie mobilisatrice que fut la religion instaurée par l’aristocratie, la bourgeoisie la remplaça par le nationalisme, puissante idée puisqu’elle amena des millions d’ouvriers et de paysans à se sacrifier en son nom. Aujourd’hui, cette idéologie s’essouffle et se trouve récupérée par des mouvements populistes. Pour la bourgeoisie mondialiste, l’autoritarisme vaut mieux que le totalitarisme, plus discret et qui préfère l’adhésion du peuple plutôt que la contrainte, même si cette adhésion est obtenue par la propagande ou par l’utilisation du chantage dans la persuasion. La nouvelle idéologie proposée sera, suite à l’expérience de la Covid-19, la sauvegarde sacralisée de la vie individuelle, sorte d’introduction au transhumanisme qui prône la mort de la mort.

«  On voit mal pourquoi la prémisse selon laquelle la vie est la valeur suprême ne nous conduirait pas, de proche en proche, à sacrifier durablement (et non plus provisoirement) certaines libertés sur l’autel d’un État sanitaire qui nous guérirait de tout…

«  …la fragilité de la santé humaine représente une urgence perpétuelle susceptible de fournir à l’État un alibi permanent pour un état d’exception indéfini. Il faudra juste accepter comme des évidences le tracking numérique, ou les diaboliques caméras de surveillance à reconnaissance faciale venues de Chine et déjà testées, ici et là,…

«  …Au nom de la paix civile ou du bien de tous, naturellement. Et admettre, comme on l’a fait pendant la pandémie, que le bio-pouvoir qui s’exerce sur la vie des corps et des populations puisse s’immiscer jusque dans notre intimité. Ce ne sera peut-être pas si difficile…

«  …on a découvert l’étendue du sentiment de vulnérabilité et du besoin de protection des masses. Jusqu’où seront-elles prêtes à aller au nom de ce besoin  ?…

«  …un homme n’est libre, debout et donc Vivant, au sens fort du terme, que s’il consent à se demander pour quoi, pour quels principes, quels idéaux, quel bien supérieur, il serait prêt, le cas échéant, à engager sa vie et à risquer sa santé  ».(2)

Sans cela, sans cette disponibilité au sacrifice, au choix du risque sur la sécurité, que reste t-il d’une vie pleinement humaine, sinon cette existence propre au troupeau, garante de la nourriture journalière, d’un toit, de la surveillance de la santé, de la vaccination, des antibiotiques, de l’insémination artificielle, etc.  ? La vie organique a pris une telle place dans le domaine du sacré, que tout risque est devenu suspect, pur folie, inconscience, dissidence, incivilité, délinquance.

Cette grande expérience de la Covid-19 a rassuré la bourgeoisie qui désormais connaît le talon d’Achille des populations occidentalisées par ses soins. Elle sait qu’il suffit de maintenir la peur face aux nombreuses menaces pour imposer les mesures liberticides appropriées, et proposer les remèdes technologiques qui permettent de favoriser les retours sur investissements. La docilité avec laquelle les peuples ont accepté de se priver de leurs libertés fondamentales sans broncher et de s’en remettre aux directives de l’État, ouvre une large lueur d’espoir à la classe dominante qui, avant cet épisode, avait de quoi douter de son avenir tant les contestations légitimes commençaient à l’effaroucher et à raviver sa “Peur du peuple”. [6]


[1Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, éd. La Découverte, 2009.

[2Alexandra Laignel-Lavastine, La déraison sanitaire, éd. Le bord de l’eau, 2020.

[3Repenser le futur après la crise du coronavirus. Cette lettre est le résultat d’un processus collaboratif au sein du réseau international de décroissance. Il a été signé par plus de 1 000 experts et 70 organisations de plus de 60 pays à travers le monde. Tribune publiée le 14 mai 2020 sur Internet.

[4Souvent évoquée sous le terme anglo-saxon “the great reset”, depuis la publication par le forum économique mondial en juillet 2020, du livre "Covid-19 : The Great Reset" de Klaus Schwab et Thierry Malleret

[5Bernard Charbonneau, l’État, éd. R&N. réédition 2020.

[6Titre du livre de Francis Dupuis-Déri, éd. Lux, 2016.


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